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Musée pédagogique

et

Bibliothèque centrale de l'Enseignement primaire

Revue pédagogique

Discours

PRONONCÉ A ARBOIS, LE 29 SEPTEMBRE 1901

A l'inauguration de la statue de Pasteur

PAR M. L. LIARD

Membre de l'Institut, directeur de l'Enseignement supérieur,
Représentant le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.

Messieurs,

En me déléguant ici pour exprimer son hommage au grand Pasteur, M. le ministre de l'Instruction publique, empêché de remplir ce devoir, a voulu le confier à quelqu'un que ses fonctions avaient mis en rapport avec l'illustre savant et qui, l'ayant approché, ayant même eu l'honneur d'être parfois le confident de ses espérances, avait conçu pour sa personne et conservé à sa mémoire un sentiment plus haut que le respect, l'admiration et la vénération tout ensemble, quelque chose comme une piété.

Ce fut, parmi les hommes, un homme d'une grandeur exceptionnelle que celui que nous glorifions aujourd'hui dans cette ville, voisine de son berceau, gardienne des tombeaux de ses morts, où il fut transplanté tout petit, où il vécut les jours de son enfance et de son adolescence, aux coteaux de laquelle longtemps il se plut à revenir prendre son laborieux repos, et ce qui fait sa rare grandeur, j'allais dire sa grandeur unique, si Pascal

REVUE PÉDAGOGIQUE, 1901.

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n'avait pas existé, c'est qu'en lui se trouvèrent associées et fondues, deux sortes de grandeurs que l'histoire nous montre plus souvent séparées : la grandeur de l'esprit et la grandeur du cœur.

Le génie de Pasteur fut un mélange admirablement dosé de l'imagination qui invente et de la raison qui prouve, de l'enthousiasme qui crée et de la réflexion qui, sans le refroidir, l'arrête net à l'instant où ses conceptions cessent de correspondre à la réalité et deviennent fictions et chimères. Il se connaissait bien et il savait à merveille ses qualités maîtresses et leurs antécédents, lorsqu'il disait devant l'humble maison où il était né: « O mes chers disparus! c'est à vous que je dois tout... Tes enthousiasmes, ma vaillante mère, tu les as fait passer en moi; ... et toi, mon cher père, tu m'as montré ce que peut faire la patience dans les longs efforts. »>

Devant l'inconnu ou l'inexpliqué, les idées nouvelles lui montaient, souvent en bouillonnant, des profondeurs de sa méditation. Mais il était pour elles le critique le plus froid, le plus impitoyable. Il avait au degré suprême le don de la divination. Mais il avait à un degré égal celui de la démonstration, avec tout ce qu'il comporte dans les sciences de la nature, et spécialement dans l'ordre des recherches poursuivies par lui, de vision pénétrante, de puissance d'attention, de prudence, de volonté, de rigueur dans la déduction, de fertilité dans l'invention des moyens de la preuve. Et il était si sûr de ses méthodes et de luimême, qu'une fois la preuve acquise son affirmation devenait souveraine, bravant toutes les contradictions. Sa vie a été une pesée continue sur les choses, toujours au juste endroit, finissant toujours par les forcer à dire quelqu'un de leurs plus profonds secrets. Au début de sa carrière un de ses contemporains disait : « Pasteur m'effraie. Il ne s'acharne qu'à des questions insolubles. Toute question insoluble que Pasteur regardait en face se résolvait sous son regard. De son esprit jaillit sur les abîmes les plus ténébreux de la nature un faisceau de vive lumière, toujours plus large, toujours plus étendu.

A vingt-deux ans, il est frappé par une propriété paradoxale de certains cristaux, que n'avaient pu expliquer les observateurs les plus sagaces. Il s'y arrête, il s'y applique, et il réduit à des lois ces caprices apparents.

Cette découverte initiale est le commencement d'un monde. La dissymétrie moléculaire le mène aux fermentations, ce phénomène mystérieux qui change la vie en mort, la mort en vie. Dans ce mystère, il fait le jour. Sous sa prise, la fermentation se révèle comme un phénomène d'ordre vital, œuvre d'êtres vivants, infiniment petits, si petits qu'on avait pu croire à la spontanéité de leur apparition, pour n'avoir pas découvert, avant que sa méthode pénétrante les eût discernées, les voies subtiles par lesquelles ils s'insinuent dans la matière.

Le voilà maître des ferments. Il les gouverne à sa guise, et du coup c'est une révolution dans les industries du vin, du vinaigre et de la bière.

Des ferments, il est conduit aux maladies infectieuses. Il établit avec la même sûreté de méthode, la même clarté d'évidence, qu'elles aussi ne naissent pas spontanément, mais qu'elles sont comme les ferments, l'œuvre de germes invisibles. Du coup, c'est une révolution dans la chirurgie. Désormais, pour empêcher dans l'organisme la naissance de l'infection, il suffira de le protéger contre l'invasion de ces germes. Et voilà, avec l'antisepsie et l'asepsie, toute audace permise à la chirurgie parce que désormais toute sécurité lui est donnée.

Son génie conquérant rêve davantage. Après avoir déterminé les monstres, il entreprend de les dompter. Alors, sous ses doigts, le principe de mort devient principe de vie. Par une méthode d'une portée générale, dont il a eu le bonheur de faire lui-même quelques applications éclatantes, il atténue les virus; il en fait des vaccins, des agents de salut. Du coup, c'est dans la médecine un changement absolu de face, une révolution dont nous n'avons encore vu que les premiers effets, et qui ouvre à la douleur des corps des perspectives infinies d'espérances. En ses mains, ce fut la rage vaincue; aux mains de ses disciples, mais par ses méthodes et par une application de sa doctrine, ce fut hier la défaite du croup, épouvante des mères; celle de la peste, épouvante des peuples; ce sera demain, ici ou là, mais toujours par ses méthodes et par une application de sa doctrine, la défaite de la tuberculose, cent fois plus terrible que la peste, et ainsi de suite, jusqu'à épuisement du mal.

Ce qui aiguillonnait son génie, c'était sans doute l'amour du

savant pour la vérité en elle-même. Mais, dans le choix des vérités nouvelles à rechercher, toujours il était porté par un sentiment très simple et très ardent du devoir, par un amour brûlant pour sa patrie et, plus tard, quand le succès de ses travaux eut légitimé à ses yeux une ambition plus haute, par un amour frémissant pour l'humanité. Dans cette tête qui a créé un monde se sont certainement agités d'autres mondes possibles, qui ne sont pas venus à l'existence. Il a fait confidence à celui qui vient de nous donner un tableau si complet et si émouvant de sa vie qu'après ses travaux sur les cristaux il avait entrevu tout un ordre de recherches sur la dissymétrie dans l'univers.

Qui sait si cette vision, aux horizons lointains, ne recélait pas en puissance tout un système cosmique? Au lieu de se laisser aller au droit fil de ces conceptions théoriques, il obliqua vers l'étude des fermentations. C'est qu'il venait d'être nommé professeur de chimie et doyen de la faculté des sciences de Lille et que, dans ce pays d'industrie, il regarda comme un devoir de s'appliquer à des problèmes dont la solution pût avoir des conséquences pratiques.

Il est tout entier dans ce trait. Toutes ses recherches s'articulent les unes avec les autres et forment, en lignes parfois brisées, un ensemble continu dont il est facile de suivre l'enchaînement. Mais, à part les premières, il n'en est pas une qui n'ait été provoquée par un mal à combattre, pas une qui n'ait été une lutte contre un fléau. C'était sa façon à lui de servir sa patrie, que de lui donner des méthodes assurées pour la meilleure fabrication du vinaigre et de la bière, que de triompher des maladies de ses vins, de celles de ses vers à soie, de celles de ses troupeaux.

« J'ai la tête pleine des plus beaux projets de travaux », écrivait-il à un de ses élèves après l'année terrible. « Je suis prêt pour de nouvelles productions. Pauvre France! que ne puis-je contribuer à te relever de tes désastres! » Quelques années plus tard, le savant anglais Huxley rendait de lui ce témoignage : « Les travaux de M. Pasteur ont plus rapporté à la France que ne lui a coûté l'indemnité de guerre. »

La dernière fois que la parole de Pasteur fut entendue en public, à cette fête de ses soixante-dix ans, où tous, Français et

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