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nous manque, dit M. Foncin, dans l'enseignement secondaire ». Le directeur de l'École centrale la relève aussi, cette différence, au profit des modernes elle tient sans doute à l'origine primaire et populaire, mais aussi d'autre part à l'erreur trop souvent commise dans l'enseignement classique de demander à l'élève un travail littéraire, les qualités de forme et de distinction dont le goût achemine au dilettantisme. Si l'on observe parmi les écrivains et les critiques certains esprits qui peuvent être considérés, en dehors de leur valeur propre, comme les chefs-d'œuvre de la formation classique et littéraire, on est frappé de leurs efforts pour réagir contre la tendance à parler de tout avec la supériorité ironique de l'intellectualisme raffiné, efforts méritoires en dépit desquels la finesse railleuse et hypercritique reparait toujours. M. Couyba, et toute l'enquête réclament une éducation secondaire moins littéraire, plus voisine du réalisme et de la solidité primaires.

Dans l'élaboration des programmes, ou du moins dans la préparation générale de ce travail à laquelle la commission a pu penser, un emprunt aux programmes primaires apparaît: la commission et son rapporteur mettent en bonne place la morale et l'instruction civique parmi les matières de l'enseignement moderne ou classique, même élémentaire. Un vigoureux article de M. Belot, professeur de philosophie au lycée Louis-le-Grand, paru dans la Revue universitaire du 15 mai 1901, nous apprend combien l'idée d'enseigner la morale pratique au collège a pris de consistance et de crédit parmi les professeurs de l'enseignement secondaire, qui l'ont ardemment discutée dans un congrès récent. Un père de famille demandait un jour naïvement au professeur de philosophie de son fils de faire de bonne morale à ce grand collégien afin de le décourager de prendre goût au café et au libertinage le professeur écouta ce propos avec un étonnement narquois, mais le père réclamait à bon droit en faveur de quelques articles de la morale pratique; on peut penser sans témérité qu'il est temps de l'enseigner tout entière au lycée, comme à l'école.

Une des préoccupations qui dominent l'enquête aura été de chercher à établir des passages faciles entre les diverses formes de l'enseignement national de demain, du moderne au classique, du primaire supérieur au moderne et au classique même. La division des études secondaires en deux cycles de trois ans, très chaudement soutenue par M. Couyba, permettrait à l'école supérieure dont le cours d'études dure normalement trois ans, d'envoyer à l'enseignement secondaire moderne un groupe choisi; quelques enfants d'écoles primaires supérieures dont on aurait reconnu l'aptitude à réussir dans les études classiques élevées pourraient être dirigés sur le collège un an plus tôt; exception rare d'ailleurs : c'est au début du second cycle d'études modernes que devra devenir possible ce que la Chambre de commerce de Bordeaux appelle heureusement « une greffe de l'enseignement primaire supérieur sur l'enseignement secondaire ». La solidarité, la

continuité même du primaire et du secondaire, est un des éléments sur lesquels M. Couyba insiste dans sa définition même de l'enseignement secondaire nouveau.

Les conclusions de l'enquête sont, il fallait le prévoir, un compromis entre la réalité présente et les idées réformistes, pour lesquelles M. Couyba éprouve la plus vive sympathie. Mais il est prudent, lui aussi, et sa prudence lui inspire même cette assertion très conciliante : « Vivre et laisser vivre, telle doit être la devise de tous ». Maintenir le classique, en réduisant et sélectionnant sa clientèle, telle est la première résolution de la commission les ingénieurs rétrécissent un chenal pour en rendre le courant plus vif et l'envasement plus lent. Le moderne subsiste, à peu près tel quel. Un enseignement pratique, complémentaire ou annexe » serait institué : quelle figure prendrait ce troisième hôte des lycées et collèges? Cela reste incertain, comme son nom. Le collège ferait un pas de plus vers l'école primaire supérieure, si cette dernière résolution devenait loi ou décret. Mais la division en deux cycles du classique et du moderne, - autre résolution avec intercalation d'une épreuve de passage sérieusement éliminatoire, apportera sans doute une solution toute prête de cette création d'un enseignement pratique : les gens pressés n'aborderont pas le second cycle.

Telles sont quelques-unes des conclusions pratiques essentielles de l'enquête M. Couyba en fait ressortir une autre qui est de doctrine et de direction générale; elle est plus importante encore : c'est que l'idée qui devra inspirer la réforme de l'enseignement secondaire est une idée sociale, ce qui veut dire l'éducation secondaire ne devra pas désormais avoir pour fin la culture individuelle, mais elle devra, par la formation des caractères, des corps, de la moralité et de l'esprit, viser au bien commun, à la réalisation par l'activité de chacun du plus grand bien social possible.

Le public se félicitera de ce que le rapporteur de la commission parlementaire ne se soit pas borné à adresser son rapport au Parlement éducateurs et pères de famille de France remercieront M. Couyba d'avoir écrit pour eux son livre, vivante et claire synthèse d'un vaste labeur.

V. BONNARIC.

Les écoles primaires de France (Frankreichs Schulen), par M. OSCAR MEY, professeur à Unna (Westphalie); 2e édition. Leipzig, Teubner, 1901.

Plutarque dit quelque part que si un peuple veut relever son armée, ses finances, son administration, sa politique, il faut qu'il commence par élever le niveau intellectuel et moral dans toutes les classes de la société. En rappelant cette parole, M. Mey veut montrer que dès 1871, après la guerre franco-allemande, la France s'est appliquée à mettre en pratique la pensée du philosophe grec.

La première édition de cet ouvrage a paru en 1893, à la suite d'un premier voyage que l'auteur a fait en France; la deuxième, considérablement augmentée, en 1901. M. Mey a su observer, il est parfaitement informé; mais il rend témoignage aussi à la courtoisie, à l'obligeant accueil qu'il a trouvé partout, à l'empressement avec lequel on lui a donné chez nous les renseignements et les documents dont il avait besoin.

M. Mey ne connaissait pas notre enseignement primaire avant son voyage en France; il croit qu'il date de 1880; il partage l'erreur de beaucoup de gens qui ne se doutent pas que nous avions, avant 1870 déjà, d'excellents instituteurs formés dans les Écoles normales; que les méthodes d'enseignement rationnelles, préconisées et généralisées aujourd'hui, étaient depuis longtemps connues et pratiquées par les bons maîtres... Il attribue la faiblesse de l'ancien enseignement primaire à l'action ou plutôt à l'inaction du clergé. Au lieu de pousser à la création et à la régulière fréquentation des écoles, le curé a regardé l'école communale avec défiance, et elle s'est créée à côté de lui, parfois malgré lui. Il en est résulté que les deux agents de l'éducation dans les communes rurales n'ont pas toujours travaillé de concert à ce qui aurait dû être leur objectif commun: éclairer et élever le peuple. En Allemagne, les curés, comme les pasteurs, sont les pères et les protecteurs de l'école. Luther n'avait-il pas dit, il y a plus de trois siècles « Si je n'étais le serviteur de l'Évangile, je voudrais être instituteur. Je ne sais d'ailleurs pas lequel des deux vaut plus ».

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L'auteur veut initier le public cultivé en Allemagne au travail intellectuel qui s'est produit dans la grande masse du peuple français, faire connaître l'heureuse et féconde crise que la nation traverse depuis 1871, et montrer avec quel esprit de suite et quelle persévéon poursuit l'œuvre du salut par l'éducation. Il voudrait surtout contribuer pour sa part au rapprochement des deux pays par l'estime réciproque des Français et des Allemands, qui tiennent en définitive la tête de nations civilisées par les sciences et les lettres, le commerce et l'industrie.

rance

M. Mey a divisé son ouvrage en cinq grands chapitres dont le premier est consacré aux universités régionales créées par la loi du 10 juillet 1896, à l'Institut, à toutes les écoles d'enseignement supérieur. Puis c'est la description, très détaillée, des garanties de savoir demandées aux professeurs; des cours, des examens que les élèves devront suivre ou subir comme attestation des études faites. M. Mey a lu à peu près tout ce qui a été publié sur les réformes opérées dans notre enseignement secondaire et le tableau qu'il trace de la vie dans les collèges est présenté d'une manière très complète et très fidèle. La seconde moitié du livre, cent pages, est consacrée à l'enseignement primaire. Ici encore il remonte aux sources et montre comment, par une gradation naturelle et logique et avec l'établissement définitif de la République, Jules Ferry et ses collaborateurs menèrent à bonne

fin les lois établissant l'enseignement gratuit, obligatoire et laïque. Le dernier chapitre traite de la situation de l'instituteur, des bibliothèques dont on entoure l'école et le maître, du musée pédagogique et de sa bibliothèque circulante, du budget.

L'ensemble constitue un tableau vivant de notre instruction publique. Les appréciations sont saines et justes et laissent percer à chaque page l'approbation et l'admiration de l'auteur.

G. J.

Esquisse d'une histoire de l'école populaire dans l'Europe occidentale (au moyen âge), par NICOLAS SPÉRANSKI. Moscou, 1896, 1 vol. in-8. Mamontof, éditeur (en russe).

Nous sommes très en retard pour recommander l'important traité de M. Spéranski. Quand il parut, il était question, nous avait-on dit, d'en publier une traduction française, et nous attendions, pour en rendre compte, qu'il se présentât sous une forme plus accessible. Ce projet a sans doute été abandonné et nous nous décidons à signaler au moins cet ouvrage aux lecteurs de la Revue pédagogique.

Tous ceux qui ont étudié l'histoire de l'enseignement au moyen âge savent que, si les documents sont d'une extrême richesse, leur interprétation atteint à une extrême fantaisie. La plupart des ouvrages ont été écrits dans des vues intéressées ou avec une information insuffisante. Les conclusions de plaidoyers comme le traité des écoles épiscopales et ecclésiastiques de Claude Joly, ont été et sont fréquemment encore acceptées sans contrôle. A force d'être répétées, des affirmations, qui ne reposent sur rien, finissent par être acceptées comme articles de foi. Il semblerait que la critique historique moderne eût définitivement triomphé de tels procédés : il n'en est rien. Les écrivains qui apportent dans l'histoire de la pédagogie la même rigueur que dans n'importe quelle autre partie du domaine historique, forment une minorité. Pour la plupart, il s'agit de démontrer que l'instruction était très répandue au moyen âge et que l'œuvre scolaire de la Révolution est une légende.

C'est contre cette méthode erronée que M. Spéranski s'élève dans son esquisse. Il essaie de déblayer le terrain des erreurs qu'on y a accumulées. Il remonte aux sources, choisit parmi les nombreux textes des documents typiques, interprète à nouveau ceux dont le sens lui paraît avoir été faussé, reprend les chiffres et les statistiques souvent invoqués et en montre la véritable valeur. De plus M. Spéranski a soin de ne pas isoler l'enseignement du milieu social dans lequel il s'est développé, et il se garantit de la sorte contre des théories qui apparaissent comme de véritables non-sens, dès qu'on examine les faits historiques. Son livre n'est pas, à proprement parler, un tableau de l'enseignement au moyen âge; c'est une enquête documentée et impartiale sur les conditions dans lesquelles l'instruction a été et pouvait être donnée à cette époque. Les titres seuls de quelques

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chapitres indiquent le caractère et l'intérêt de l'ouvrage : Question de l'existence de l'école populaire au moyen âge; nécessité de l'étudier dans ses rapports avec la marche générale du développement des institutions scolaires en Europe. Condition du progrès intellectuel au moyen âge. Composition de la population scolaire au moyen âge. Les maîtres au moyen âge, leur préparation et leur position sociale. L'école et la vie : place de l'école dans le système général des institutions d'enseignement au moyen âge. Organisation du travail dans les moyennes et basses écoles à la fin du moyen âge, etc. Autant de questions controversées, discutées, obscurcies à plaisir, et qu'il est indispensable d'amener à une solution exacte ou tout au moins vraisemblable. M. Spéranski s'y est employé; on ne saurait lui en être trop reconnaissant.

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A la fin de son esquisse il a publié une traduction russe de la vie de Thomas Platter, si instructive pour l'histoire de la vie scolaire dans la première moitié du xvIe siècle. Nous saisissons cette occasion de rappeler qu'en 1895, M, Aug. Bernus a fait paraître une seconde édition de la traduction française que Fick en avait autrefois donnée et qui était depuis longtemps épuisée.

M. R.

Rapport sur la section pédagogique à l'Exposition Universelle de 1900, par M. IVAN JOUK, Maître Inspecteur de l'école urbaine Saint-Vladimir, à Kieff. Kief, Kuchneref, éditeur, 1901. 1 vol. in-8 (en russe).

M. Ivan Jouk, maître inspecteur de l'école urbaine Saint-Vladimir à Kieff a été notre hôte pendant l'Exposition universelle. Il a étudié avec le soin qu'elle méritait la section pédagogique, et à son retour il a rédigé un rapport qu'il a lu à l'Hôtel de Ville de Kieff. C'est ce travail dont nous allons présenter une brève analyse.

M. Jouk a divisé son rapport en quatre parties: les trois premières sont consacrées aux expositions russe, française et américaine. Dans la quatrième sont groupées les autres nations, étudiées dans de très courtes notices. Nous insisterons surtout sur les observations que la section française lui a inspirées.

M. Jouk a décrit, sans rien omettre, les classes modèles; il a dressé un inventaire complet de tout ce qu'elles renferment tables, bancs, armoires, tableaux, cartes, etc., y compris l'horloge, le buste de la République, les portraits du Président et de Pasteur, et les arrêtés préfectoraux rappelant la loi scolaire. En l'entendant, ses auditeurs de Kieff ont eu vraiment la représentation exacte d'une école française, et sans doute M. Jouk a encore précisé leur impression en leur montrant les nombreuses photographies, les nombreux croquis reproduits à la fin de son rapport. En homme qui sait par expérience que rien n'est indifférent en pédagogie, il note les moindres particularités dans la disposition des classes et dans le matériel. Au

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