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tacle amusant, ils rient, puis ils ne tardent pas à s'énerver; j'en ai vu se trouver mal et qu'on a dû emporter de la salle. Ce sont là des expériences de laboratoire qu'il est dangereux de porter devant le public et surtout devant la jeunesse.

Ce qui serait préférable c'est la conférence intime, la conférence-conversation où l'auditeur est appelé à prendre la parole, à présenter ses objections. C'est ainsi que l'entendait notre vieux Montaigne dans son chapitre des Essais, l'Art de conférer :

« Le plus fructueux et naturel exercice de nostre esprit, c'est, à mon gré, la Conférence : j'en trouve l'usage plus doulx que d'aulcune autre action de notre vie... L'étude des livres, c'est un mouvement languissant et faible qui n'eschauffe point au lieu que la Conférence apprend et exerce en un coup. Lorsque je confère avecque une âme forte et un roide jousteur, il me presse les flancs, me pique à gauche et à dextre; ses imaginations élancent les miennes la jalousie, la gloire, la contention, me poulsent et rehaulsent au dessus de moy-même. »>

Ainsi comprise la Conférence maintient les esprits en éveil. L'enseignement est plus vivant et par conséquent plus fructueux. Si le maître a réussi dans son entreprise, l'enfant sera non seulement préservé, mais convaincu. Il aura alors le désir de convaincre les autres. Il entrera dans une Société de tempérance, s'il ne fait pas déjà partie d'une ligue scolaire contre l'alcool, société d'anciens élèves Ou section cadette d'une société d'adultes.

L'association développe la force morale comme la force physique. Notre résolution s'y fortifie de la résolution des autres. C'est la discipline consentie, mais le but est moins de se surveiller ou se réformer soi-même que de répandre la pensée que l'on croit bonne et de faire partager la conviction qui nous anime. Les sociétés de tempérance et leurs sections cadettes qui se multiplient chaque jour sont nécessairement des sociétés de propagande.

Le passage suivant que nous empruntons à un compte rendu de notre collègue de la Ligue de l'Enseignement, M. Comte, qui dirige l'école communale du faubourg Saint-Honoré, montre le résultat pratique que l'on peut obtenir par la simple contagion du bon exemple :

« Une section cadette de tempérance a été fondée dans l'école, et cette petite association, au fonctionnement des plus simples, compte actuellement 112 adhérents. A noter que les quatre cinquièmes des sociétaires font partie de la mutualité scolaire. En quatre années, deux exclusions seulement ont été prononcées pour infraction à l'engagement contracté. L'usage de l'alcool distillé est seul proscrit : le vin, le cidre et la bière pris modérément ou coupé d'eau sont autorisés.

« L'inscription des sociétaires, âgés d'au moins dix ans, a lieu après assentiment de la famille. Fait digne de remarque tous les enfants de débitants comptent parmi les adhérents. Aucune cotisation n'est exigée. Des versements volontaires de cinq centimes sont opérés par quelques enfants et servent à l'achat de deux journaux : l'Alcool et la Jeunesse, qui circulent de main en main et pénètrent dans les familles.

<< Chaque sociétaire prend, par écrit, l'engagement d'être tempérant durant une période qu'il fixe lui-même. Cette formalité a plus de poids qu'une simple promesse verbale facilement violée.

« Les parents eux-mêmes entrent, par l'exemple, dans le mouvement parti de l'École. Le soir, à la veillée, on commente l'enseignement de la classe, ou le fait divers, hélas! devenu banal, des délits, sinon des crimes dus à l'alcoolisme.

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« Le livre Histoire d'une Bouteille et le fascicule : l'Alcool, remis à chaque enfant, sont parcourus ou même lus par le père et la mère.

« Nous pourrions citer tel élève qui a réussi à détourner un membre de sa famille de l'usage des apéritifs; tel autre qui s'exerce, non sans succès, à prêcher la tempérance aux paysans du village, où il passe ses vacances; tel autre, enfin, fils d'un débitant, qui refuse de boire de l'alcool le jour de sa première communion et dont l'exemple fait enlever de la table les flacons de spiritueux divers qui s'y trouvaient. »

L'enfant convaincu et associé est sauvé. Quand viendra la grande épreuve du passage au régiment, la séparation pendant trois ans d'avec la famille, le maître et les amis, le jeune homme se sentira fort pour résister et combattre.

Les entraînements sont nombreux pendant la vie de caserne, on n'ose pas refuser par esprit de camaraderie, et c'est souvent

par suite d'un bon sentiment que l'on cède; d'autre part, l'isolement est grand; il semble que le jeune soldat n'ait pas d'autre plaisir que le cabaret, qu'il doive trouver dans le vin et dans l'alcool une distraction et une consolation, le rêve et l'oubli, en un mot un idéal qui lui manque. Renan a dit : << Le Breton cherche l'infini au fond d'un verre ». S'il en est ainsi, c'est un autre idéal, un autre infini qu'il faut chercher pour relever et exalter la jeunesse. Il faut habituer les nouvelles générations à comprendre qu'il y a d'autres façons de se distraire qu'en buvant avec excès, que chercher l'oubli dans la boisson c'est se dégrader, qu'il y a d'autres griseries plus nobles et plus saines que celles qui proviennent de l'alcool et des excès de boisson, qu'il ne faut pas chercher l'idéal dans un verre, ni la fraternité au fond d'une bouteille.

La pratique de la tempérance, la conscience de l'effort accompli et du résultat obtenu donne la force d'âme. L'éducation de la volonté se fait ainsi. C'est la première étape. Le jeune homme qui l'a franchie ne tarde pas à aller plus loin, il a su que dans cette lutte contre l'alcoolisme l'individu seul n'est pas en cause, que le mal et le bien sont contagieux, que les êtres humains sont solidaires de l'idée individuelle il arrive à l'idée sociale. Sa générosité est éveillée. C'est alors un vaillant prêt à la lutte, désireux de gagner à la bonne cause les hésitants et les faibles; il a conscience qu'une tâche lui incombe. La notion du devoir lui apparaît nettement : s'élever et élever les autres en dignité; il a trouvé son idéal dans la vie et il a la force d'y rester fidèle.

Conclusions.

Le maître doit être convaincu des dangers de l'alcoolisme et donner l'exemple de la tempérance.

Il est nécessaire de mettre à la disposition du maître tous les documents nécessaires, brochures, livres, tableaux, pour qu'il puisse enseigner l'antialcoolisme d'une façon à la fois scientifique et intéressante.

Cet enseignement doit montrer non seulement les dangers que court l'individu qui s'adonne à l'alcoolisme, mais ceux qu'il fait

courir à la famille, à la société. L'idée de solidarité et le sentiment de la dignité doivent toujours être sensibles dans la leçon. Il ne suffit pas au jeune Français de s'abstenir, il faut qu'il s'associe, il faut qu'il lutte effectivement contre l'alcoolisme. PAUL BEURDeley.

A propos d'une enquête.

Chaque année, M. le vice-recteur de l'Académie de Paris indique pour les conférences de professeurs qu'il a instituées dans les Écoles normales de son ressort un sujet qui doit être traité dans tous les établissements. Un des Inspecteurs d'Académie est chargé de résumer dans un rapport d'ensemble les observations qui ont été échangées et les propositions qui ont été faites.

Le sujet à l'étude pour l'année 1900 était : De l'éducation à l'Ecole normale.

Le rapport d'ensemble a été préparé par M. Dauzat, inspecteur d'Académie d'Eure-et-Loir. Composé de traits empruntés aux documents et procès-verbaux des diverses écoles, ce rapport est trop étendu pour qu'il soit possible de le reproduire in extenso. Nous avons tenu du moins à en détacher quelques passages qui montreront aux lecteurs de la Revue pédagogique avec quel soin la question a été étudiée et sur quelles observations attentives reposent les conclusions et les vœux du personnel des Écoles normales de l'Académie de

Paris.

Suivant la méthode adoptée par M. Dauzat dans son rapport, nous avons groupé sous quelques rubriques les extraits des communications émanant des divers établissements. La Rédaction.]

1.

Ce que doit être l'éducation morale.

L'objet de l'éducation morale n'est pas différent à l'École normale de ce qu'il est à l'école primaire ou dans la famille. Il s'agit toujours de réaliser cette autonomie de la volonté, cette liberté supérieure, qui rend l'âme capable de se plier volontairement au bien. Pour arriver à ce résultat il faut éclairer la conscience, développer les bons sentiments, créer et fortifier les bonnes habitudes. » (Versailles. G.)

L'éducation à l'École normale, « est à la fois œuvre d'autorité et de liberté d'autorité, pour achever de fixer en habitudes les REVUE PÉDAGOGIQUE, 1901.

2o SEM.

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