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L'Enseignement antialcoolique.

L'exemple. La leçon, les tableaux et la conférence. L'association. La propagande 1.

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Le XXI Congrès de la Ligue française de l'Enseignement a porté en tête de son ordre du jour la question de l'Enseignement antialcoolique.

C'est après mûre délibération, en pleine connaissance du mal que l'alcoolisme fait en France et particulièrement dans nos départements de l'Ouest, que le Conseil général de la Ligue a décidé de saisir le Congrès de Caen de l'étude de cette ques

tion.

Son importance est trop connue pour qu'il y ait lieu d'y insister longuement.

L'alcoolisme menace la génération actuelle, celle de demain, le pays lui-même. Si la France veut conserver une population saine, robuste, gaie et vaillante, si nous voulons sauver la belle race normande, il n'est que temps d'agir et d'agir vigoureuse

ment.

Les ravages ne sont déjà que trop grands; ils sont démontrés d'une façon irréfutable. On sait que la France tient aujourd'hui le premier rang parmi les peuples civilisés dans la consommation des boissons alcooliques, si bien que notre pays semble, avant tout autre, devoir être frappé de déchéance.

Chez nous, l'augmentation de la consommation annuelle de l'alcool est si rapide qu'on en est vraiment effrayé.

En 1830, c'était 2 litres par habitant;

En 1880, c'était 8 litres par habitant;
En 1900, c'est 12 litres par habitant.

1. Rapport présenté au 21° congrès de la Ligue française de l'Enseignement.

M. l'inspecteur Baudrillard affirme que la « France boit plus d'absinthe que le reste du monde »>, il cite les chiffres suivants : En 1885, nous buvions 85000 hectolitres d'absinthe;

En 1892, nous buvions 171 000 hectolitres d'absinthe;

En 1896, nous buvions 256 000 hectolitres.

En onze ans, la consommation de l'absinthe a triplé. Ce poison était connu il y a quelques années dans les grandes villes seulement, aujourd'hui il a pénétré dans les plus petits villages.

La criminalité, la folie, le rachitisme, la tuberculose semblent se développer dans une proportion analogue; la moitié des meurtres et des suicides provient de l'alcool.

« Si l'on considère, dit M. Duclaux, que l'alcoolisme est le grand pourvoyeur des maisons d'aliénés; que 60 à 80 p. 100 des épileptiques le sont grâce à l'alcoolisme; que l'alcoolisme est une cause d'abrutissement et de dégénérescence pour la Nation; qu'au surplus l'alcoolique est prédisposé à prendre toutes les maladies, on peut dire que l'alcoolisme est une maladie et une maladie sociale. » Contre ce fléau envahissant, l'union de tous les gens de bonne volonté et de courage s'est faite.

Les économistes, les philosophes, les hygiénistes, les sociologues, les hommes politiques ont cherché le mal et proposé le remède.

Un devoir spécial incombe aux hommes d'enseignement et d'éducation, aux membres de l'Université; ce devoir consiste à s'adresser à la jeunesse auprès de laquelle ils ont accès, à user auprès d'elle de leur faculté d'enseignement, de leur pouvoir éducatif. Ils voudront se limiter. Ils laisseront de côté les questions d'ordre législatif ou administratif : liberté de commerce des boissons, impôt sur l'alcool, licence des débitants, privilège des bouilleurs de cru, surveillances des cabarets, application de la loi sur l'ivresse publique, etc., ce sont là des problèmes que d'autres ont le soin d'étudier et de résoudre. Notre tâche se limite à l'examen d'un point d'éducation et d'une méthode d'enseignement. Au surplus, nous ne nous targuons pas d'un rigorisme absolu. Nous demandons la tempérance et non l'abstinence, nous voulons la sobriété et non le renoncement.

Dans cette entreprise, nous saurons nous garder de toute exagération, convaincus qu'exagérer c'est manquer le but. Il faut procéder scientifiquement, n'avancer que des faits démontrés, ne produire que des preuves contròlables. Toute déclamation, toute violence de parole est nuisible; c'est manquer du sangfroid nécessaire à l'œuvre de vérité qu'il s'agit d'accomplir.

N'est-ce pas aux membres de l'Université qu'il appartient de tourner vers ce but les nouvelles générations, d'inspirer aux enfants puis aux jeunes gens, avec l'aversion de l'ivrognerie, un sentiment de répulsion et de dégoût pour l'alcool; de les convaincre qu'il y a là un devoir civique, de faire partager ce sentiment à leurs camarades, puis de les suivre à l'atelier, au chantier, au magasin, au bureau, à l'école de droit et à l'école de médecine, au régiment et de les amener ainsi à l'âge d'homme, à la vie libre et consciente, prémunis contre les tentations, forts de leurs convictions, plus forts par l'association qui les unit, devenus des propagandistes et des apôtres.

Tel est, selon nous, le plan de la campagne de préservation sociale qu'il convient d'ouvrir à l'école.

C'est en effet à l'école qu'il faut commencer et pour cette œuvre nouvelle l'instituteur doit être préparé intellectuellement et moralement. Intellectuellement, c'est-à-dire qu'il doit bien posséder son sujet; avoir entendu au moins une conférence de son inspecteur primaire, lu un bon livre, posséder un manuel. Il serait bon qu'il n'ignorât pas absolument les origines de la question.

Dès 1887, M. Claude au Sénat, le Dr Gadaud à la Chambre, à l'Académie de Médecine, MM. les Drs Bergeron, Lancereau, Laborde, Magnan et Dujardin-Beaumetz avaient signalé le mal. Mais c'est à la suite d'un remarquable discours du professeur Lannelongue à la Chambre des députés que le 2 août 1895, M. Poincaré, ministre de l'Instruction publique, informait les préfets qu'il avait réuni une commission pour s'occuper de l'alcoolisme et de ses ravages inquiétants; il estimait que l'Université avait un devoir à remplir et pouvait agir efficacement, il annonçait la publication d'un guide pratique et d'un programme pour l'instituteur. C'est ainsi que la question entra dans la voie pédagogique.

Par une circulaire du 30 janvier 1896, M. Combes, qui avait

succédé à M. Poincaré au ministère de l'Instruction publique, invitait les professeurs de l'enseignement secondaire à combattre le fléau. «< De la sorte, dès leur temps de collège, tous ceux qui sont appelés à jouer un certain rôle dans la société seront bien convaincus et pénétrés des dangers de l'alcoolisme, et en mesure de prémunir eux-mêmes contre ses dangers les ouvriers et les employés dont ils auront plus tard la direction. »>

Le 9 mars 1897, une circulaire de M. Rambaud, ministre de l'Instruction publique, recommandait d'agir par des conférences et des sociétés de tempérance en dehors des heures de classes : « J'ai pensé qu'il appartenait à l'Université de donner l'exemple... Les professeurs et instituteurs s'acquitteront de ce rôle avec la conscience de faire œuvre de salut public.

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C'est en janvier 1897, que le conseil supérieur modifia le programme d'hygiène et de morale en introduisant l'enseignement antialcoolique parmi les matières des écoles primaires, des collèges et des lycées. L'an dernier le ministre de l'Instruction. publique, M. Leygues, rappelant cette importante réforme, disait dans une circulaire : « Nul ne peut exercer une action plus efficace que l'instituteur et le professeur... L'enseignement antialcoolique ne doit pas être considéré comme un accessoire. Je désire qu'il prenne dans nos programmes, une place officielle au même titre que la grammaire et l'arithmétique. Mon intention est de placer la sanction de cet enseignement dans les examens qui terminent nos différents cours d'études primaires et secondaires. >>

Le programme adopté par le Conseil supérieur de l'Instruction publique en janvier 1897 que l'instituteur doit avoir toujours sous les yeux est ainsi conçu :

I. PARTIE HYGIénique.

BOISSONS FERMENTÉES. Cidre, bière, vin. Action physiologique de ces boissons. Effets pathologiques de leur abus. BOISSONS DISTILLÉES (eaux-de-vie). Effets pathologiques de leur usage habituel.

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BOISSONS ALCOOLIQUES ADDITIONNÉES D'ESSENCES. Graves effets pathologiques de leur usage.

L'ivresse et l'alcoolisme. Influence de l'alcoolisme sur la race.

II. PARTIE ÉCONOMIQUE.

Influence de l'alcoolisme sur l'appauvrissement et parfois la misère de l'individu et de la famille.

Effets sur la richesse publique. Ce que l'alcoolisme coûte à la France. Action sur la criminalité, le suicide, les accidents. du travail.

III.

PARTIE PSYCHOLOGIQUE ET MORALE.

Influence de l'alcoolisme sur la genèse de la folie. Affaiblisse· ment de l'intelligence et de la volonté par l'usage des boissons. alcooliques.

Torts causés par l'alcoolisme à la race, à la famille, à la société. »

Celui qui a mission d'enseigner la doctrine antialcoolique doit d'abord y croire, y croire et la mettre en pratique.

Il faut mettre le poids d'une vie exemplaire

Dans les corrections qu'aux autres on veut faire.

Quand on prêche d'exemple on est déjà éloquent et persuasif avant d'avoir ouvert la bouche. La parole du maître prend ensuite une autorité plus grande, sa leçon une portée plus large. L'exemple ne porte-t-il pas en soi une force irrésistible et n'a-t-on pas pu dire qu'on redresse les autres en marchant droit?

Nos maîtres de la jeunesse sont tempérants, ils le seraient par nécessité s'ils ne l'étaient pas par raison et par caractère. Mais il faut qu'on sache qu'ils s'abstiennent volontairement, qu'on ne les voie ni au cabaret, ni au café, il faut qu'ils sachent refuser sinon l'inutile verre de vin, au moins le dangereux verre d'eau-de-vie et qu'ils disent pourquoi ils refusent.

S'ils y joignent l'accent de la conviction et l'ardeur de l'esprit de propagande, leur force sera irrésistible. Quand l'élève estime et admire son maître, celui-ci acquiert une autorité qui donne à ses leçons un effet durable, et en quelque sorte indélébile. La leçon ne sera pas toujours facile à faire.

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