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Musée pédagogique

et

Bibliothèque centrale de l'Enseignement primaire

Revue pédagogique

L'Art et l'École.

[Répondant à une invitation qui lui avait été adressée par le comité de l'Association des anciens élèves de l'École Normale des instituteurs de la Seine, M. Bayet, directeur de l'enseignement primaire, a fait, le 17 avril dernier, à la Sorbonne, une causerie sur l' « Art dans ses rapports avec la démocratie et avec l'école ».

En nous autorisant à reproduire la dernière partie de cette causerie où se trouve plus spécialement traitée la question de l'art à l'école, M. Bayet a exprimé le désir de voir signaler en même temps à nos lecteurs la conférence pédagogique qui a eu lieu, le 4 juin dernier, dans le deuxième arrondissement de Paris, sous la direction de M. l'inspecteur primaire Belot, et dont le sujet était l'Éducation du goût.

Nous ne croyons pouvoir mieux faire que de publier, à la suite de l'extrait de la causerie de M. Bayet, le résumé de la conférence pédagogique du í juin, tel que M. Belot a pris soin de le communiquer à tous les instituteurs et institutrices de sa circonscription. La Rédaction.]

.....Si nous arrivons à l'école elle-même, que pouvons-nous y faire pour préparer le peuple à l'art? Je ne parle ici ni de la poésie, ni du chant, je m'arrête à l'art du dessin, des couleurs, de la forme.

A ce point de vue, quelle est la situation de l'enfant quand il REVUE PÉDAGOGIQUE, 1901. 2 SEM.

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arrive à l'école? Y a-t-il déjà en lui ce qu'on pourrait appeler une certaine tendance artistique?

L'enfant, au moment où il entre à l'école, vers six ans, trouve plaisir à regarder des images, et, d'autre part, à crayonner des représentations, très souvent informes, d'un objet familier. Seulement, si l'enfant aime à regarder des images, il ne sait pas les regarder, il les regarde mal; un enfant, à qui on met un livre d'images entre les mains, le feuillette seulement et presque jamais ne s'arrête pour examiner, avec attention et pendant un certain temps; une image déterminée. Et ce défaut est tel que, comme jusqu'ici on ne fait rien le plus souvent pour le corriger, il nous suit à travers l'existence. Les jeunes gens regardent de la même façon superficielle et les hommes mûrs encore. J'ai même constaté ce fait que des élèves qui se destinaient aux Beaux-Arts, qui suivaient des cours de peinture et de sculpture, ne savaient pas encore regarder des gravures et des photographies, qu'ils ne se rendaient pas un compte exact de ce qu'elles présentaient et voyaient en gros comme l'enfant.

Quant au dessin de l'enfant, c'est tout ce qu'il y a de moins rapproché de la nature. Plusieurs psychologues ont fait des études sur ce sujet, je citerai notamment James Sully en Angleterre, Ricci en Italie, Bernard Perez en France. Tous sont d'accord pour constater que l'enfant, quand il dessine, est impuissant à analyser. Les représentations qu'il fait sont conventionnelles et mêmes symboliques.

• Ainsi, veut-il dessiner une figure, il lui arrive de supprimer le nez ou la bouche, et même tous les deux. Chose curieuse! il ne supprimera pas les yeux; il ne les indiquera souvent que par un point, mais il les indiquera, parce que ce sont les yeux qui donnent l'expression de la vie à la figure. Par contre, il ne pensera presque jamais aux oreilles. L'oreille est pour lui un accessoire inutile.

L'enfant n'a aucun sens ni de la position des divers détails de la figure, ni de la position des membres, ni de leur forme exacte. S'il veut représenter l'homme en pied, très souvent il fait reposer directement la tête sur les jambes; à l'endroit où il attache la tête, il amorce deux appendices qui figurent les bras. Quant au trone, il n'y prête aucune importance. C'est que les jambes et les

bras donnent le mouvement, de même que l'œil donne la vie. Et l'enfant est curieux de mouvement et de vie. Le tronc pour lui ne vit pas, ne remue pas, et il n'en tient pas compte.

Une autre observation générale. L'enfant commence toujours par représenter la figure de face; il la fait ronde ou carrée. Ce n'est que plus tard qu'il essaie de la placer de profil, et encore ne manque-t-il guère de mettre d'abord deux yeux dans la figure de profil, ou, s'il ne place qu'un œil, il l'indique comme si la figure était de face.

On peut dire, d'une façon générale, qu'il y a dans les dessins d'enfants un mélange étrange d'observation et d'inobservation. Il a bien observé que l'être humain a deux yeux, deux jambes, deux bras, mais, lorsqu'il dessine d'après nature, lorsque par hasard il veut faire le portrait de son père ou de sa mère et qu'il prend le crayon en main, c'est son imagination et sa mémoire qui entrent en jeu plutôt que l'observation. Ainsi, il sait que son père a deux yeux, et, s'il le dessine de profil, il faut qu'il lui donne deux yeux. C'est un devoir filial.

Donc, l'enfant ne sait voir ni simplement, ni exactement. Il y a conflit chez lui entre les données des sens et sa raison naissante. Qu'allons-nous faire à l'école pour développer chez lui le sentiment artistique? Il y a d'abord une sorte d'éducation prélimi naire à instituer.

La première chose à lui apprendre, c'est l'ordre. Je sais que cela paraît aller à l'encontre des idées reçues; un poète classique entre les classiques n'a-t-il pas dit :

Souvent un beau désordre est un effet de l'art,

et ne voyons-nous pas de braves jeunes gens qui ne se croient apprentis, artistes qu'à la condition d'affecter le désordre dans leur tenue et dans ce qui les entoure? J'en suis fâché pour eux, mais ils se trompent. L'ordre est la condition nécessaire de l'art. Et, bien entendu, je ne veux point parler d'un ordre de pure apparence, de l'ordre mécanique; je veux parler de l'ordre méthodique, intelligent. Je voudrais que, dès que l'enfant arrive à l'école, l'instituteur et l'institutrice cherchassent à lui faire comprendre que, dans la salle d'école, chaque objet a une place déterminée, et une place qui lui convient, soit au point de vue de

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