Page images
PDF
EPUB

miens; je sais que M. Bachelier y peut beaucoup, et je viens vous dire que, dans la conjoncture présente, M. l'archevêque d'Embrun peut lui être très-utile par parti qu'il a à la cour, mais aussi qu'il peut lui nuire beaucoup et traverser son retour en faveur et en place.

Hogguer lui a répondusur tout cela que Bachelier n'y pouvait rien, et ne voudrait seulement pas entendre parler de cela. Ils se sont dit encore : « Mais quels changements arriveront à la mort de Son Éminence? - De grands, a dit le marquis; ni le contrôleur général ni M. Amelot ne peuvent rester. - Et qui mettrez-vous en leur place? » a dit Hogguer. Celui-ci a dit qu'il ne prévoyait rien; que M. Chauvelin reviendrait ou ne reviendrait pas; que, dans le premier cas, à la place de M. Orry, viendrait M. d'Argenson l'aîné, qu'on avait bien mis dans l'esprit du roi et qu'on estimait dans le public; et que, si M. Chauvelin ne revenait pas, M. Orry sauterait toujours, et que M. Amelot aurait les finances, et dans les affaires étrangères viendrait toujours M. d'Argenson l'aîné. « Le connaissez-vous? a-t-il dit. — Fort peu, a dit Hogguer; je l'ai vu dans une maison, j'ai été content de ce qu'il m'a dit. Mais, a repris Hogguer, il part pour le Portugal. - Il va partir, bon! a dit le marquis de V..., le croyez-vous? Quel conte! il ne partira pas; j'en sais plus long que cela. »

Mon frère me poussa sur les affaires du parlement et du conseil, par rapport à celles de l'Église, et il me dit : « Vous êtes un peu janseniste, mon frère. » Je lui répondis : « Tant s'en faut; mais voici

ma profession de foi : Je serai toujours très-vif contre la persécution et contre les hypocrites qui, sans avoir la religion, s'en servent pour leur avidité et leur ambition, et je ferai toujours mes efforts pour qu'on les écarte même des audiences de Versailles. >>

- Ce qui m'a donné une bonne et juste opinion de M. Chauvelin, pendant qu'il a été garde des sceaux de France, c'est son grand travail, et je l'ai soutenu ainsi à ceux qui sont contre lui. S'il travaille tant continuellement, leur ai-je dit, c'est qu'il aime le travail : cet amour n'est point naturel; l'homme aime le repos et la liberté ; l'habitude seule ne le produit pas; cela vient d'un fonds de vertu, et d'une vertu utile à l'État. Car ceux qui n'aiment qu'eux, ne travaillent qu'à ce qui paraît au jour le jour, et pour le plus pressé; ils n'ont qu'eux pour objet; mais, dans un travail continuel, il entre nécessairement d'autres vues que l'intérêt personnel, et cette surérogation a pour objet le bien intrinsèque de la charge; ainsi faisait le cardinal de Richelieu qui s'éleva tant, à la vérité, mais qui éleva aussi tellement le royaume, et ne s'intéressa donc pas seulement à ses succès personnels; il s'intéressa aussi aux succès de sa charge. Voilà ce qui fait les grands hommes si rares aujourd'hui; car la pratique est tout le contraire. J'augure d'un M. de Bellisle et d'un M. Chauvelin que ce seront de grands administrateurs, chacun dans leur métier. J'ai vu aussi mon père dans les places, mais il était maladroit et peu empressé dans son avancement personnel, et nous nous en ressentons, sans que j'en sois fàché aucunement.

J'ai montré tout à l'heure à M. Amelot, ministre

des affaires étrangères, une lettre qui contenait des choses dont il avait curiosité. Tout son résumé a été de trouver que la principale phrase exprimait mal, et, même à sens forcé, ne voulait point dire ce qu'elle signifiait; il a longuement insisté sur cela. Quelle petitesse! quel petit critique! quel taquin !

M. Pecquet, son premier commis, homme de grand mérite d'ailleurs, raisonnait tout à l'heure, avec moi et avec un de mes amis, des affaires de Hongrie. Nous avons demandé la carte; il n'y en avait qu'une nouvelle et qu'on venait de lui envoyer, mais qui ne représentait que la Crimée; il n'en avait point d'autres; cela m'a effrayé. Comment, avec du zèle, dans ce métier-là, manque-t-on, à Fontainebleau, pendant deux mois, d'un atlas complet?

[ocr errors]

- Le prétendu roi Théodore a débarqué en Corse avec un gros vaisseau de guerre et deux frégates, le tout bien muni d'argent, provisions et officiers, et à l'instant les rebelles vont se montrer difficiles et insolents à l'égard de nous autres Français qui prétendions les assujettir. Les Génois crient contre nous, et il est à craindre que nous n'ayons le dessous dans cette entreprise. Bientôt ces mutins vont changer de note et nous assiéger autour de Bastia; ils tomberont, de ce grand air de respect pour la France, dans l'insolence extrême. Les Génois demandent du renfort, et tout le demande pour eux, ou ils seront forcés de quitter leur patrie. Je viens de m'en entretenir avec M. de Brignoles, leur envoyé extraordinaire. Il dit qu'il annonce depuis longtemps ce contretemps; qu'il n'a pas tenu à lui ni à sa république;

qu'il représente que ces mutins nous abusaient, qu'ils voulaient seulement mettre leur récolte en sûreté, ce qu'ils ont fait; qu'ils nous ont seulement donné quel ques méchants otages, dont même l'un a eu la permission d'aller se promener à Marseille sur sa parole, et on ne sait ce qu'il est devenu; que, pour les autres, ce ne sont pas des gens si importants ni si chers aux autres qu'on a cru, et qu'à tout hasard on sait bien que nous ne sommes pas des barbares pour les égorger de sang-froid, et que même de tels révoltés sont toujours prêts à se dévouer pour leur patrie. Les Génois disent que la lenteur et la douceur impolitique de notre cardinal gâtent tout; qu'il fallait au moins une négociation plus serrée, et qu'on remet ici tout au lendemain; mais qu'il fallait envoyer quatre fois plus de forces que les trois mille hommes qu'on y a envoyés.

D'ailleurs, on a mis à leur tête un des plus sots hommes qu'il y ait; Boissieux n'est qu'un ivrogne, brave homme si vous voulez, mais nullement officier général, et encore moins négociateur, quoiqu'il ait été nommé pendant quelques mois ambassadeur en Danemark; mais on le dénomma après l'avoir nommé, par considération de ce choix

Mais d'où vient ce secours? Les partisans de l'Espagne et de Théodore prétendent qu'il vient des juifs d'Amsterdam. Je veux croire que, par espoir de commerce privilégié, les juifs lui prêtent quelques centaines d'écus; mais c'est tout, si cela allait là.

1. Louis de Frétat, comte de Boissieux, lieutenant général le 24 février 1738. Il etait neveu du maréchal de Villars.

Certainement c'est l'Espagne qui l'appuie et l'appuiera bientôt de toutes ses forces, avec toutes sortes de finesses et de tours; par là, elle se ménage un autre port pour ses desseins sur l'Italie, et le parti que nous avons pris de secourir les Génois a augmenté sa jalousie contre eux, étant parvenue à un point extrême contre notre ministère qui la traite si mal. Et, comme voilà présentement l'Espagne en toute bonne intelligence avec l'Angleterre, celle-ci est très-soupçon-nable d'assister les Corses révoltés. On voyait, du reste, où allaient nos desseins de nous impatroniser et de rester les maîtres des Génois; en nous rendant garants de cette pacification, nous aurions eu des places de sûreté, et cela nous eût donné un ascendant nécessaire dans tout le commerce des Génois. Les Anglais ne songent qu'au commerce et font peu de cas de l'honneur politique, comme je l'ai établi cidessus; ils sont très-chatouilleux sur le commerce et nous ont devinés sur ceci, et je crois ne me pas méprendre dans le soupçon qu'ils nous traversent, et que, de concert avec l'Espagne, ou séparément, ils assistent Théodore mieux que personne.

Voilà donc la France, cette médiatrice universelle, disait-on; depuis la disgrâce de M. Chauvelin, voilà comme vont ses entreprises. On a refusé net notre médiation pour ces brouilleries d'Angleterre et d'Espagne; nous n'avons encore réussi qu'à celle de Genève. Je viens de dire ce qui arrive sur la Corse, et voici que, pour les quatre duchés contentieux de la future succession de Juliers et Berg, tout est accroché, et pour la durée du ministère de M. le cardinal. Nous nous sommes montrés d'une partialité déclarée

« PreviousContinue »