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1886 à 1888, et, fait navrant, chez les femmes, les chiffres passent, en moins de trois ans, de 111 à 143. En quinze ans, la moyenne annuelle a passé, comme vous le voyez, de 367 à 729, elle a double! et si on prend les chiffres relatifs à la femme seule, la moyenne passe de 52-56 à 125,33 dans la période triennale 1886-1888.

Mettant à profit tout ce que l'admirable clinique de l'Infirmerie du Dépôt lui apportait, M. Garnier a étudié les influences saisonnières sur la marche de la folie et démontré que les mois de printemps, d'avril à juin, étaient les plus chargés; si cela n'est pas tout à fait conforme à la légende, c'est d'accord avec les faits; les statistiques le démontrent. Elles apprennent aussi une relation assez curieuse entre l'évolution de l'alcoolisme et celle de la paralysie générale : les deux courbes se suivent de très près. Cette constatation a inspiré à M. le D' Garnier d'intéressantes considérations sur le surmenage cérébral, sur les conditions de la vie dans les grands centres d'activité. Pour lui, l'accroissement rapide de l'aliénation mentale, dans ces vingt dernières années, est dû surtout au plus grand nombre d'alcooliques et de paralytiques généraux. Le chiffre des vésanies proprement dites reste à peu près stationnaire.

Cette première partie du volume est du plus grand intérêt. Il y a des chiffres qu'on ne peut trouver que là, et il est désirable que M. Garnier continue à recueillir la statistique de son impor

tant service.

Avec une prédilection marquée, il étudie l'intoxication alcoolique dans la seconde partie de son livre les formes simples de l'ivresse vulgaire n'y devaient pas trouver place, mais les formes compliquées ont été décrites avec grand soin, et des observations intéressantes animent des tableaux cliniques d'aspects assez variés, selon qu'il s'agit de l'ivresse excitomotrice, de l'ivresse hallucinatoire ou de l'ivresse délirante. Non moins instructives sont les observations fournies par la classe si nombreuse des dégénérés, c'est-à-dire de ces aliénés dont le délire est fait surtout de syndromes épisodiques, chez lesquels les obsessions tyranniques sont suivies des déterminations les plus imprévues pour leur entourage, et qui, presque toujours impulsifs, sont un danger permanent pour la sécurité des personnes. Les délirants persécutés devaient avoir leur place dans cette exposition clinique. M. Garnier la leur a faite, en montrant avec beaucoup d'à-propos combien il est regrettable

qu'on ne prenne pas plus tôt les mesures que le médecin conseille vis-à-vis de ces aliénés que des hallucinations impérieuses commandent et qui, convaincus qu'ils sont les victimes d'une odieuse et persévérante hostilité, fatigués par les voix qui leur jettent de grossières injures, à bout de patience, s'arment et tuent, et, sans remords, déclarent qu'il fallait bien qu'ils se fissent justice.

La troisième partie du volume ne le cède pas en intérêt aux deux précédentes. Sous le titre : Crime et folie, M. Garnier publie un certain nombre de rapports médico-légaux dont les conclusions, toujours claires, toujours précises, ne sont après tout que le résumé très judicieux de l'observation du malade. C'est la clinique avec ses procédés sévères qui se trouve mise ainsi au service du magistrat chargé de l'instruction. Mais, combien de cas difficiles sont soumis à l'examen du médecin! L'auteur expose avec une grande expérience les embarras, les difficultés que créent les alcooliques, par exemple, les aliénés persécutés-persécuteurs, el, reprenant une thèse que nous avons, il y a déjà bien longtemps, soutenue nous-même, que M. Théophile Roussel a défendue à son tour dans son remarquable rapport au Sénat, sur la loi des aliénés, il demande énergiquement que des asiles spéciaux soient créés pour les aliénés criminels, dont la garde est mal assurée dans les asiles ordinaires, où, d'ailleurs, leur présence est pour les autres malades et pour leur famille, un grave sujet de plaintes justifiées.

Le 2o volume que vous présente M. le D' Garnier, sous la date de 1896, a pour titre: Les Fétichistes, pervertis et invertis sexuels; observations médico-légales.

Ce n'est pas un traité sur la matière. L'auteur se défend d'avoir voulu étudier l'ensemble de ces curieuses anomalies sur lesquelles l'attention est vivement appelée depuis quelques années. Déjà Charcot et Magnan, Westphal, Krafft-Ebing, Tarnowski, Moll, et Moreau de Tours, ont décrit les perversions et les inversions sexuelles, et en ont démontré le caractère pathologique. M. Garnier a pris, plus particulièrement, le fétichisme, c'est-à-dire cette singulière aberration par laquelle un malade, un aliéné, trouve dans un objet ayant appartenu à un être d'un sexe différent du sien, les conditions d'une excitation génitale; il le définit : « Une anomalie de l'instinct sexuel, conférant, tantôt à un objet de la toilette féminine, ou des vêtements masculins, tantôt à un costume déterminé, tantôt enfin à une

partie du corps de l'un ou de l'autre sexe, le pouvoir exclusif d'éveiller les sensations amoureuses et de produire l'orgasme voluptueux. » L'auteur passe en revue toutes les combinaisons étranges de ces obsédés qui, parfois, sont très dangereux; il s'attache, avec raison, à montrer que ces manifestations appartiennent aux dégénérescences et ne sont que des syndromes épisodiques. Nous ne croyons pas devoir insister davantage; le livre est fait pour des médecins; ils y trouveront des faits relativement assez rares, et qui ne sont bien connus que de ceux que la nature de leurs fonctions mettent à même de les observer.

Le 3° volume de M. Garnier, a pour titre : Internement des aliénés, thérapeutique et législation. C'est une étude des plus complètes de la loi de 1838. Dans un esprit de critique des plus sages, l'auteur rend justice à cette loi qui, à l'époque où elle fut promulguée, réalisait un progrès considérable. Il n'a pas de peine à démontrer que les attaques si passionnées dont elle a été l'objet, ne reposent que sur des faits plus que contestables. Il reprend une opinion déjà formulée par lui dans son livre La Folie à Paris, et insiste sur la nécessité de la création d'asiles spéciaux pour les aliénés criminels, et voudrait qu'on étendit aux délirants alcooliques récidivistes, contre lesquels la société. ne peut efficacement se défendre, les précautions qu'il réclame pour les premiers. Le Congrès des médecins aliénistes et neurologistes tenu à Nancy. en 1896, a adopté les conclusions de cet important travail, qui reste l'une des études les plus complètes qui aient été publiées sur ce sujet.

Sous le n° 2, M. le D' Paris, médecin en chef de la division des femmes de l'asile de Maréville, près Nancy, vous soumet trois mémoires, le premier, La Folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices, a déjà été récompensé par vous en 1896 (Prix Boullard). Bien que M. Paris l'ait revu et augmenté, il ne saurait nous en vouloir de ne pas vous en rendre compte de nouveau.

Le second mémoire n'est autre qu'un Rapport médical et administratif, adressé au préfet de Meurthe-et-Moselle, sur le service de la section des femmes.

M. Paris ne s'est pas borné seulement à relever des chiffres. Il a visé plus haut, et ses recherches ont porté sur les causes de l'aliénation mentale, sur son accroissement numérique dans le 1898. - N° 42. - 3 SÉRIE, TOME XL.

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département de Meurthe-et-Moselle. L'alcoolisme lui parait jouer un rôle de plus en plus actif dans la progression, et il en trouve l'explication dans le développement rapide de la grande industrie. En cela, il a certainement raison, mais les moyens qu'il préconise pour y porter remède nous paraissent d'une sévérité bien excessive, et nous craignons que le législateur ne se montre pas de sitôt disposé à les adopter. A part cette légère critique, nous ne pouvons que louer M. Paris du soin avec lequel il a étudié toutes les questions de détail relatives à son important service. Entrées, sorties, décès, sont pour lui l'occasion de présenter des aperçus très originaux, très justes; tout ce qui se rapporte à l'hygiène, à l'alimentation, aux conditions. générales de la vie de l'aliéné dans l'asile, n'est pas moins sérieusement étudié, et les vues de l'auteur sur l'administration proprement dite, sur la manière dont elle pourrait être comprise, méritent de retenir l'attention. C'est l'œuvre d'un médecin consciencieux et sincèrement dévoué à ses malades.

Ce premier mémoire imprimé a une suite manuscrite, une deuxième partie consacrée à l'assistance des aliénés, à l'organisation médicale des asiles, assistance familiale, asiles, colonies, traitement moral, etc.

Sous une forme un peu vive, M. Paris critique des opinions qui s'affirment aujourd'hui avec plus d'entrain, selon lui, que d'à-propos. Il n'est pas ennemi, tant s'en faut, du progrès; mais il demande qu'on lui démontre le progrès, et n'admet pas volontiers que nous soyions en France, au point de vue de l'assistance des aliénés, en retard sur les pays étrangers. Je suis d'avis qu'il a raison de défendre les médecins des asiles d'aliénés de province contre certains reproches qu'on leur adresse, bien à tort. Son argumentation me paraît sans réplique lorsqu'il démontre qu'un médecin d'asile de province, que rien ne vient distraire de ses fonctions, est parfaitement capable de suffire à un très nombreux service, à la condition cependant que le mouvement annuel d'admission ne dépasse pas de 100 à 150 malades. Sa pensée se résume dans cette conclusion: «J'estime qu'il y aurait lieu d'augmenter, dans une certaine mesure, le nombre des médecins pour dédoubler quelques grands services; mais, je crois que la création proposée de toute une nouvelle armée de médecins-fonctionnaires, n'est pas du tout justifiée et qu'elle constituerait une innovation aussi peu démocratique que possible. »

Nous ne saurions, sans entrer dans de trop longs développements, analyser toutes les parties du travail, très documenté, de M. Paris, mais nous pouvons vous donner sa physionomie très personnelle. C'est l'œuvre d'un homme qui sait bien les choses dont il parle, qui aime sa profession, qui n'est pas rétrograde et ne s'immobilise pas. Mais qui, précisément parce qu'il connaît les aliénés, leurs besoins, et qu'il a conscience des services qu'il leur rend, se croit en droit de résister à des entraînements qui ne lui paraissent pas justifiés. Il y a une phrase que j'ai retenue et que je vous citerai avec une réelle satisfaction : « Donnezmoi, dit-il, de bonnes surveillantes, des installations où il me sera possible de traiter un petit nombre d'aliénés, multipliez, dans le grand asile, ces installations, et je vous donnerai de nombreuses guérisons. » Et comme corollaire, suit toute une série d'observations sur l'importance de l'association du traitement moral et de la thérapeutique médico-hygiénique proprement dite des aliénations mentales.

Le mémoire n° 3, sans nom d'auteur, avec la devise: « Et adhue sub judice lis est», vous apporte une étude sur la question des aliénés criminels, sur l'assistance toute spéciale qu'il serait nécessaire d'organiser pour eux.

Il était difficile de dire quelque chose de nouveau sur une question depuis bien longtemps débattue à l'étranger comme chez nous. Nous avons, en France, multiplié les communications, sollicité l'intervention des pouvoirs publics. M. Th. Roussel, dans son rapport au Sénat, a introduit une importante addition sur ce sujet, au projet de réforme de la loi de 1838; dans différents congrès médicaux, pénitentiaires, nous avons réclamé la création d'asiles spéciaux pour une catégorie spéciale d'aliénés; tout le monde a reconnu combien nos observations étaient justes, combien il était nécessaire de trancher par un texte de loi, par des mesures administratives, une situation pleine d'embarras et de dangers, et rien n'a été fait jusqu'à présent.

Aussi accueillons-nous avec une véritable satisfaction un travail fait, certainement, par un médecin qui connait très bien la question et l'a serrée de près. Très au courant de tout ce qui a été publié, et l'ayant rappelé dans une note bibliographique, l'auteur se propose de mettre en lumière les inconvénients d'ordre moral, social, administratif, qui résultent du séjour des

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