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s'adressent à la foule, aux gens de peu,

de rien.

C'était, en effet, pour ce public que Grimarest avait travaillé, et la pleine conscience de son effort littéraire, ou mieux de sa visée morale, paraît assez dans sa Réponse, où se montre aussi, sous des formes encore soumises et respectueuses, la liberté d'esprit d'un écrivain à la suite de Fontenelle, habitué des Entretiens sur la pluralité des mondes et de l'Histoire des oracles : « Oui, dit-il, tout petit qu'étoit Molière par sa naissance et par sa profession, j'ai rapporté des traits de sa vie que les personnes les plus élevées se feroient gloire d'imiter, et ces traits doivent plus toucher dans Molière que dans un héros. » Et il énumère longuement les actes de générosité, de bonté, de fermeté, de droiture de ce héros d'un nouveau genre, de son héros, en y mêlant des témoignages de l'estime universelle qu'il

inspirait, et aussi, par habitude de déférence, des preuves de son respect pour les puissances établies. La conclusion, en douceur, est que tous ces traits n'ont pas été rassemblés par lui pour le simple amusement du public.

Notons en passant que Grimarest avait eu Fontenelle lui-même pour censeur, et comme on le verra plus loin, celui-ci s'intéressait à l'œuvre, et n'épargnait pas à l'auteur les conseils de ménagement et de prudence.

S'il importe peu que Voltaire, trente ans plus tard, ait déprécié le livre de Grimarest, en se contentant toutefois de l'abréger, on ne peut taire que BoileauDespréaux ne l'approuva pas lorsqu'il parut. Ce grand témoin, même incomparable, du génie de Molière, qu'il avait confessé plus hautement que personne, se prévalant de ce que Grimarest n'avait pas connu l'homme, contesta la vérité des détails biographiques, sans en infir

mer ni rectifier aucun. Représentant des vieilles mœurs, janséniste et quelque peu septuagénaire, il devait juger puérile, condamnable même, cette singulière curiosité pour des faits et gestes de nature, en somme, à diminuer les idées de gravité et de respect. On n'est jamais que de son temps.

La mode a été, de nos jours, de rabaisser Grimarest et de déconsidérer son livre, comme insuffisant, par rapport aux recherches de documents originaux, inaugurées par Beffara, qui ont rendu possible un renouvellement de l'histoire de Molière, en fournissant de nouveaux points d'appui à ses futurs biographes. Cette inquisition de pièces d'état civil, d'archives, et d'actes notariés s'est produite, comme l'œuvre de notre auteur, et se poursuit en temps favorable (1). Si, par impossible, celui-ci en avait eu l'idée,

(1) Depuis cinquante-six ans, 1821-1877.

XI

avec le pouvoir de s'y livrer, et de la faire aboutir sur quelques points, il n'en eût tiré que peu de profit, et d'honneur, encore moins. On le trouverait plus exact sur un petit nombre de noms et de dates, mais pas plus qu'aucun autre écrivain, en 1705, il n'eût songé à tirer des conséquences, plus ou moins légitimes, à la moderne, de l'éducation si complète de Molière, de ses longues caravanes dramatiques dans les provinces, de l'inventaire après décès de son mobilier, et de ceux de ses ascendants ou descendants. Il s'agit aujourd'hui, ce semble, de déterminer les éléments complexes dont se forma le génie du poëte comique. Pour Grimarest, la situation était tout autre, sinon plus simple. Ses contemporains s'inquiétaient surtout d'un Molière qui ne démentît pas dans sa vie les idées de dignité, de noblesse d'âme, de bonté, de parfait bon sens qu'il leur inspirait par la lecture et la représentation

de ses œuvres. Ce Molière imaginé, ce Molière souhaité, avait été, par bonheur, le Molière réel, et Grimarest le leur donna conforme à la vérité, comme à leurs vœux. Il le leur donna sincèrement, en toute bonne foi, car les mémoires que lui fournit Baron exceptés, son livre n'est rien de plus qu'une enquête suivie, longue, minutieuse, sur les Actes de Molière, à la pluralité des voix.

Le nombre et la qualité des témoignages, c'est toute la critique du biographe; lui-même en convient, et ses aveux se réitèrent dans sa lettre, retrouvée, au président de Lamoignon, à propos d'une anecdote qui avait circulé sur quelques mots adressés par Molière au public, après l'interdiction de la seconde représentation du Tartufe (1):

(1) Cette lettre, publiée par Taschereau dans la troisième édition de son Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, Paris, Hetzel, 1844, in-18, lui avait été communiquée en original par Villenave.

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