Gen Lib La Pas-Per-las 730796-19t AVERTISSEMENT Nous ne reprendrons pas, ici, les développements d'analyse exposés déjà dans la préface du volume précédent : Talleyrand et la Société française, qui, d'avance, précisaient l'objet et la substance du nouveau livre : Talleyrand et la Société européenne, tous deux composant une histoire d'ensemble du grand seigneur diplomate, étudié dans son monde, ou plutôt à travers ses milieux successifs sous la double manifestation de sa vie publique et privée. Simplement nous ajouterons qu'il nous a paru utile et neuf d'en resserrer la trame, d'une telle manière qu'il nous fût possible d'y adjoindre une longue série de portraits courts, qui se suivent sans se ressembler, — les médaillons anecdotiques et critiques de la plupart des personnages nommés au courant du récit. On n'y retrouvera pas tous les acteurs de cette «< comédie aux cent actes divers », qui dura près d'un siècle, telles physionomies (MarieAntoinette, Barras, Fouché, Mme de Rémusat, Pauline Borghèse, Joséphine de Beauharnais et maintes autres) s'étant vues portraiturées déjà, en leur cadre même, au bonheur de la rencontre. Le nombre et le choix des figures, reprises une à une, n'en joindront pas moins l'abondance à la variété. Nous aurons apporté un soin attentif à rendre ces notules aussi expressives que possible en leur brièveté, par la sélection des mots ou des faits saillants, qui caractérisent les traits d'une personne et les fixent aussitôt dans l'esprit, avec tout leur relief et toute leur exactitude. Souvent, par de curieux rappels du nom, du souvenir de Talleyrand, d'une réflexion tombée de sa bouche, d'une trace de son passage parmi l'existence de tous ceux-là, on pourra reconnaitre quelle place considérable il tenait dans l'opinion de ses contemporains. Ainsi tant de silhouettes éparses, mais rattachées entre elles par une sorte de lien secret auront-elles servi à fortifier encore l'impression d'unité, que nous avons visé principalement à maintenir, du commencement à la fin de cette œuvre historique en deux parties. Frédéric LOLIÉE. et LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE CHAPITRE PREMIER Au Congrès de Vienne. - Fêtes et négociations. Sous quelle impression de soulagement universel était restée l'Europe, après la chute de Napoléon. Les nouveaux arrivants, aux Tuileries, - Louis XVIII réinstallé dans les meubles de ses ancêtres. Par comparaison avec l'existence de l'avant-veille et de la veille. - État d'esprit des souverains étrangers. Au moment d'ouvrir le Congrès de Vienne. - L'arrivée des ambassadeurs dans la capitale de l'Autriche. Installation malaisée de Talleyrand parmi ses hauts collègues, et le rôle d'effacement où auraient voulu le maintenir les représentants des « Quatre ». - Avec quelle adresse, divisant les esprits, il se glisse bientôt en la meilleure place. État de prépondérance morale inattendue du plénipotentiaire français. Les premiers protocoles. - Tableau de diplomates en séance. Suspension de discours, jusqu'au 1er novembre. De joyeux intermèdes. Bals et festins. - Les aspects de la cité viennoise pendant cette période unique de réjouissances d'empereurs et de rois. A la Cour. Chez Metternich. Chez Talleyrand. - A la table de lord Castlereagh. Dans quelques-uns des salons les plus brillants de la colonie étrangère. - Une élite de femmes. L'une d'elles : Dorothée de Courlande; histoire de ses années de jeunesse jusqu'au moment de son mariage avec le neveu de Talleyrand. Retour aux affaires d'État. Napoléon s'était dit que l'humanité pousserait un grand soupir de soulagement, un ouf! énorme, le jour où elle apprendrait sa suppression du nombre des vivants. On n'avait pas attendu jusque-là pour se reprendre à respirer. Il y eut, après son abdication, infiniment de gens à se réjouir en Europe. Des nations entières avaient vu passer dans leur rêve du lendemain l'espoir que, de longtemps, elles n'auraient plus à suer le sang et l'or pour engraisser les champs de bataille. Et si, du sein des masses populaires avait pu s'exhaler comme un immense souffle de délivrance, d'autres poitrines, en des sphères supérieures, s'étaient dilatées d'aise : celles de tant de privilégiés, rois, princes, diplomates, qu'il avait si terriblement bousculés dans sa course torrentueuse; celles aussi de tant de gentilshommes français rejetés hors du sol natal par la Révolution, naguère déchus, sans famille, sans argent, et tout à coup rendus à une douceur d'habitudes, à une tranquillité d'être, qui leur étaient refusées, depuis un quart de siècle. Talleyrand partageait à froid l'allégresse de tous ceux-là, s'applaudissant de sa conduite et ne se faisant. pas faute d'en porter haut les résultats, quoique s'y fussent mêlées, en sous-ordre, des façons d'agir peu catholiques et malgré qu'il eût rendu difficile à ses meilleurs amis d'absoudre la situation équivoque, où il s'était placé, quand il voulut être, à la fois, le confident de Napoléon et l'agent d'Alexandre. Mais tout était fini. La terre ne tremblait plus. Le démolisseur de trônes avait brisé le sien par contre-coup. Et lui, prince de Bénévent, il demeurait debout, n'ayant rien perdu de son rang ni de ses honneurs, mais se sentant plutôt relevé en face de lui-même et devant sa propre considération. Au moins, il n'entendrait plus sonner fâcheusement à ses oreilles les invectives de cet homme de génie, qu'il jugeait si mal élevé, n'osant pas dire si mal embouché. Quel revirement autour de lui! Que de chants de liesse inattendus! Chacun tendait à se caser, au mieux et au plus vite. Chez Louis XVIII, après une si longue espérance, c'était l'épanouissement des aises royales toutes regagnées (1), avec les insignes du droit divin. Derrière lui, maintes gens étaient revenus des conditions de l'exil, n'ayant l'esprit ni de s'occuper, ni de s'ennuyer, mais faisant nombre élégamment et continuant leur rôle de Cour, comme s'ils ne l'eussent jamais abandonné. Le roi se rappelait et comparait, en soi. On avait passé de bien mauvais moments, à Vérone, à Blankenburg. Que la place était réduite, en cette dernière résidence (2), pour les appartements des princes et des princesses! Une chambre sans feu transformée en dortoir, où les lits s'alignaient côte à côte, c'était le refuge de nuit que devait partager la fille de Louis XVI avec sa gouvernante et ses femmes de chambre. Quelle époque celle-là, où la femme du duc d'Orléans, retirée en un petit village de la Catalogne, n'avait eu d'autre asile qu'une ancienne torrée remplie de rats et composée de deux misérables pièces, garnies de chaises de paille et de tables grossières! Dans les commencements, à Coblentz, alors qu'on voyait venir et s'illusionnait à croire que les troubles révolutionnaires seraient de courte durée, on avait eu des salons, des gardes aux portes, des soldats présentant les armes sur le passage du comte de Provence, des restes de cérémonial, un semblant de (1) La suite impériale, même les Beauharnais et les Bonaparte n'avaient pas été les derniers à rechercher les grâces de l'ancien régime ressuscité comme par miracle. L'ex-impératrice Joséphine avait fait demander qu'on restaurât, en faveur de son fils Eugène, le titre de grand-connétable. L'exreine Hortense, sa fille, qui bientôt fomentera des conspirations contre la Légitimité, se répandait en des démonstrations d'une gratitude infinie pour avoir reçu d'Elle le duché de Saint-Leu. (2) 1796-1798. |