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Examinons maintenant une chatte d'une humeur absolument inverse, tandis qu'elle exprime son affection à son maître par des caresses, et remarquons quel contraste frappant existe dans son attitude. Elle se redresse, le dos légèrement recourbé, ce qui soulève un peu ses poils, mais sans les hérisser; sa queue, au lieu d'être étendue et de fouetter ses flancs, est tenue tout à fait raide et s'élève perpendiculairement; ses oreilles sont droites et dressées; sa gueule est fermée; et elle se frotte contre son maître et le ron-ron remplace le grognement. Observons encore à quel point le chat, dans la manière d'exprimer son affection, diffère par toute sa manière d'être du chien, qui caresse son maître le corps courbé et ondulant, la queue abaissée et mobile, et les oreilles tombantes. Un pareil contraste dans les attitudes et les mouvements de ces deux carnassiers sous l'empire du même état d'esprit agréable et tendre, ne peut trouver une explication, me semble-t-il, que dans l'antithèse complète de ces mouvements avec les mouvements naturels à ces animaux lorsqu'ils sont irrités et se préparent à combattre ou à saisir leur proie.

Dans ces cas du chien et du chat, il y a tout lieu de croire que les gestes qui expriment l'hostilité et l'affection. sont les uns et les autres innés ou héréditaires; car ils sont presque identiquement les mêmes dans les différentes races de ces deux espèces, et chez tous les individus vieux ou jeunes de la même race.

Je vais donner un nouvel exemple du rôle de l'antithèse dans l'Expression. J'ai possédé autrefois un gros chien, qui, comme tous les chiens, aimait beaucoup à aller à la promenade. Il exprimait son plaisir en trottant gravement devant moi, à pas comptés, la tête très-haute, les oreilles un peu relevées et la queue en l'air, mais sans raideur. Non loin de ma maison, un sentier s'offre à droite, qui conduit à la serre; j'avais l'habitude de la visiter souvent

pendant quelques moments pour regarder mes plantes en expérience. C'était toujours pour le chien l'occasion d'un grand désappointement, parce qu'il ne savait pas si je continuerais ma promenade; et il était risible de voir le changement d'expression soudain et radical qui se produisait chez lui dès que j'inclinais le moins du monde vers le sentier (ce que je faisais parfois pour l'observer). Son regard abattu était connu de tous les membres de ma famille, et on l'appelait son air de serre.

Voici en quoi il consistait: la tête s'abaissait beaucoup, tout le corps s'affaissait un peu et demeurait immobile; les oreilles et la queue retombaient brusquement, sans que la queue fût du reste agitée; à ces oreilles basses, à ces mâchoires pendantes, s'ajoutait un grand changement dans l'aspect des yeux, qui me paraissaient moins brillants. Sa mine piteuse exprimait un profond désespoir; et, comme je l'ai dit, elle était risible, vu la cause insignifiante qui l'avait provoquée. Chaque particularité de son attitude était en opposition complète avec sa précédente allure, pleine à la fois d'allégresse et de dignité; et il me semble qu'elle ne peut être expliquée autrement que par le principe de l'antithèse. Si le changement n'avait pas été aussi instantané, j'aurais attribué cette attitude à la réaction de son abattement sur les systèmes nerveux et circulatoire, ainsi qu'on le voit chez l'homme, et par suite sur la tonicité de tout son appareil musculaire; il est même possible que cela entre pour quelque chose dans la production du phénomène.

Nous allons voir maintenant quelle est l'origine du principe de l'antithèse. Chez les animaux qui vivent en société, il est de la plus haute importance de pouvoir communiquer entre meinbres d'une même communauté, et chez les autres espèces ce besoin existe entre les animaux de sexes différents, entre les jeunes et les vieux. Ce but est ordinairement

atteint au moyen de la voix, mais il est certain que les gestes et les signes expressifs servent jusqu'à un certain point à l'intelligence mutuelle. L'homme ne s'est pas borné à l'usage de cris inarticulés, de gestes et de signes expressifs, il a inventé le langage articulé; si tant est qu'on puisse appliquer le mot d'invention à un progrès accompli grâce à d'innombrables perfectionnements à peine raisonnés. Il suffit d'avoir observé les singes pour être convaincu qu'ils comprennent parfaitement les gestes et les signes les uns des autres, et dans une large mesure ceux de l'homme, ainsi que l'affirme Rengger 1. Un animal, quand il va en attaquer un autre, ou quand il a peur d'un autre, se donne souvent un air terrible en hérissant ses poils, ce qui le fait paraître plus gros, en montrant ses dents, en brandissant ses cornes, ou en poussant des cris féroces.

Le pouvoir de communiquer entre eux est certainement d'une très-grande utilité à beaucoup d'animaux; aussi n'est-il pas à priori improbable que des gestes manifestement opposés à ceux qui exprimaient déjà certains sentiments aient pu à l'origine se produire naturellement sous l'empire d'un sentiment opposé; le fait que ces gestes sont maintenant innés ne suffit pas pour empêcher de croire qu'ils aient été accomplis tout d'abord intentionnellement; car après plusieurs générations ils seraient probablement devenus héréditaires. Quoi qu'il en soit, il est plus que douteux, comme nous allons le voir, qu'aucun des cas auxquels va s'appliquer le principe de l'antithèse ait eu une pareille origine.

Des signes conventionnels qui ne sont pas innés, tels que ceux qu'emploient les sourds-muets et les sauvages, ont en partie mis en œuvre le principe d'opposition ou d'an

4. Naturgeschichte der Saugethiere von Paraguay. 1830, s. 55.

tithèse. Les moines de Citeaux croyaient pécher en parlant; ils inventèrent un langage mimique où le principe de l'opposition paraît avoir été employé. Le docteur Scott, de l'Institution des sourds-muets d'Exeter, m'écrit « que les oppositions sont très-usitées pour l'instruction des sourds et muets, qui les sentent très-vivement. » Cependant j'ai été surpris du peu d'exemples incontestables que l'on peut en donner. Cela provient en partie de ce que tous les signes ont ordinairement eu quelque origine naturelle, et en partie de l'habitude prise par les sourds-muets et par les sauvages d'abréger le plus possible leurs signes pour les rendre plus rapides 3. De là vient que leur source ou leur origine est souvent douteuse ou même complétement perdue, ainsi que cela se rencontre pour le langage articulé.

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Beaucoup de signes, d'ailleurs, qui sont évidemment opposés les uns aux autres, paraissent avoir eu chacun de leur côté une signification propre à leur origine. Il semble qu'il en ait été ainsi des signes qu'emploient les sourdsmuets pour désigner la lumière et l'obscurité, la force et la faiblesse, etc., etc. Dans un autre chapitre, je m'efforcerai de montrer que les gestes opposés d'affirmation et de négation, à savoir, celui d'abaisser verticalement la tête et celui de la secouer latéralement, ont été probablement tous les deux naturels au début. L'agitation de la main de droite à gauche, dont se servent quelques sauvages pour dire non, a

2. M. Tylor parle du langage mimique des moines de Citeaux dans son Early History of Mankind (2e édit., 1870, p. 40) et fait quelques remarques sur le principe de l'opposition dans les gestes.

3. Voyez sur ce sujet l'ouvrage intéressant du docteur W. R. Scott, The Deaf and Iumb, 2e édit., 1870, p. 12. « Cette manière, dit-il, d'abréger les gestes naturels, et d'en faire des gestes plus concis que ne le réclame l'expression naturelle, est très-commune parmi les sourdsmuets. Ce geste abrégé est parfois tellement tronqué qu'il perd presque toute ressemblance avec le geste naturel; mais pour le sourd-muet qui l'emploie il n'en conserve pas moins l'énergie et l'expression originelles.

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