Page images
PDF
EPUB

bouche doivent s'ouvrir et les sourcils se relever, autant du moins que le permet l'action antagoniste des sourciliers. Une photographie du docteur Duchenne (fig. 21) nous montre le vieillard dont il a déjà été question, les yeux

27

[graphic][merged small][merged small]

fixes, les sourcils un peu relevés, mais très-froncés en même temps, la bouche ouverte, et le peaucier contracté, le tout par l'effet de l'électrisation. L'expression ainsi obtenue exprime, selon M. Duchenne, une extrême terreur, accom

27. Mécanisme de la Physionomie, Album, pl. 65, pp. 44-45.

pagnée d'une douleur horrible, d'une véritable torture. Il est à croire qu'un homme mis à la question offrirait l'expression d'une horreur extrême, à supposer que ses soufrances lui permissent de concevoir des craintes pour l'avenir qui pourrait succéder à ses maux présents. J'ai montré l'épreuve de la photographie en question à vingt-trois personnes des deux sexes et de divers âges; treize d'entre elles ont immédiatement prononcé les mots d'horreur, de grande souffrance, de torture ou d'agonie; trois pensèrent à une grande frayeur; en tout seize avis, qui concordaient à peu près avec la manière de voir de M. Duchenne. Il y en eut six cependant qui crurent y reconnaître une expression de colère, frappées sans doute par la forte contraction des sourcils et négligeant l'ouverture particulière de la bouche. Une autre crut y découvrir le dégoût. En somme, il est évident que nous avons là une excellente représentation de l'horreur et de l'angoisse. La photographie mentionnée plus haut (Pl. VII, fig. 2) exprime également l'horreur; mais la position oblique des sourcils que l'on y remarque indique, au lieu d'énergie, une détresse morale profonde.

L'horreur est ordinairement accompagnée de divers gestes, qui varient suivant les individus. Si l'on en juge d'après certains tableaux, le corps entier est souvent détourné ou tremblant, ou bien les bras sont violemment projetés en avant, comme pour repousser quelque objet effrayant. Le geste qui se produit le plus souvent, autant du moins qu'on peut en juger d'après la manière d'agir de ceux qui essaient de représenter d'une manière frappante une scène d'horreur, c'est l'élévation des épaules, tandis que les bras sont étroitement serrés sur les côtés ou au devant de la poitrine. Ces mouvements sont presque les mêmes que ceux qu'on exécute, en général, lorsqu'on a très-froid, et ils s'accompagnent ordinairement d'un frisson, ainsi que d'une profonde expiration ou inspiration, suivant que la

poitrine se trouve être à ce moment dilatée ou contractée. Les sons qui se produisent dans ces circonstances peuvent se représenter plus ou moins exactement par les consonnances euh ou ough 28. Quoi qu'il en soit, il est difficile d'expliquer pourquoi, lorsque nous ressentons du froid ou lorsque nous exprimons un sentiment d'horreur, nous serrons nos bras contre notre corps, nous levons les épaules et nous frissonnons.

Conclusion. Je viens d'essayer de décrire les diverses expressions de la peur dans les gradations qu'elle suit, depuis la simple attention et le tressaillement de la surprise jusqu'à la terreur extrême et jusqu'à l'horreur. On peut expliquer quelques-uns des modes expressifs qui la révèlent au moyen des principes de l'habitude, de l'association et de l'hérédité; il en est ainsi par exemple de l'acte qui consiste à ouvrir tout grands les yeux et la bouche, en relevant les sourcils de façon à jeter le plus rapidement possible nos regards autour de nous, et à entendre distinctement le moindre son qui puisse frapper nos oreilles; c'est en effet ainsi que nous nous sommes mis d'habitude en état de reconnaître ou d'affronter un danger quelconque. On peut, à l'aide des mêmes principes, se rendre compte encore, en partie du moins, de quelques autres signes de la frayeur. Depuis des générations innombrables, par exemple, les hommes ont cherché à se soustraire à leurs ennemis ou au danger, soit par une fuite précipitée, soit par une lutte à outrance; or de pareils efforts ont dù avoir pour effet de faire battre le cœur avec rapidité, d'accélérer la respiration, de soulever la poitrine et

28. Voyez, à ce sujet, les remarques de M. Wedgwood dans l'introduction de son Dictionary of English Etymology, 2e édit. 1872, p. xxxvII. Il montre, par l'exemple de formes intermédiaires, que les sons mentionnés ici ont probablement servi à former quelques mots tels que ugly, huge (laid, énorme), etc.

de dilater les narines. Comme ces efforts ont souvent été prolongés jusqu'à toute extrémité, le résultat final a dû être une prostration complète, de la pâleur, de la transpiration, le tremblement de tous les muscles ou leur complet relâchement. Maintenant encore, chaque fois que l'on ressent vivement un sentiment de frayeur, alors même que ce sentiment ne devrait amener aucun effort, les mêmes phénomènes tendent à reparaître, en vertu du pouvoir de l'hérédité et de l'association.

Néanmoins il est probable que, sinon presque tous, au moins un grand nombre des symptômes de terreur indiqués plus haut, tels que le battement du cœur, le tremblement des muscles, la sueur froide, etc., sont en grande partie dus directement à des perturbations survenues dans la transmission de la force nerveuse que le système cérébro-spinal distribue aux diverses parties du corps, ou même à son interruption totale, par suite de l'impression profonde faite sur l'esprit de l'individu. Nous pouvons rapporter sûrement à cette cause, entièrement indépendante de l'habitude et de l'association, les exemples dans lesquels les sécrétions du canal intestinal sont modifiées, et ceux où les fonctions de certaines glandes sont abolies. Quant à l'érection involontaire des poils, chez les animaux, nous avons de bonnes raisons. de croire que ce phénomène, quelle qu'ait été d'ailleurs son origine, concourt avec certains mouvements volontaires à leur donner un aspect formidable pour leurs ennemis; or, comme les mêmes mouvements, involontaires et volontaires, sont accomplis par des animaux qui touchent à l'homme. de très-près, nous sommes conduits à croire que celui-ci en a conservé, par voie héréditaire, des vestiges devenus maintenant inutiles. C'est assurément un fait bien remarquable que la permanence jusqu'à l'époque actuelle des petits muscles lisses qui font dresser les poils si clair-semés sur le corps presque entièrement glabre de l'homme; il n'est pas

et ainsi de suite; mais nous ne pouvons provoquer la rougeur, suivant une remarque du docteur Burgess', par aucun moyen physique, c'est-à-dire par aucune action portée sur le corps. C'est l'esprit qui doit être impressionné. La rougeur n'est pas seulement involontaire; le désir même de la réprimer, en attirant l'attention sur notre propre personne, vient encore y disposer.

La jeunesse rougit beaucoup plus facilement que la vieillesse; on ne peut en dire autant de l'enfance; particularité remarquable, puisque nous savons que les enfants en bas-âge deviennent rouges de colère. J'ai appris pourtant de source très-certaine que deux petites filles rougissaient à l'âge de deux et trois ans ; je pourrais citer encore l'exemple d'un autre enfant très-impressionnable, d'un an plus âgé, et qui rougissait lorsqu'on le reprenait de quelque faute. Il y a beaucoup d'enfants qui rougissent d'une manière extrêmement marquée, lorsqu'ils ont atteint un âge un peu plus avancé. Il semble que les facultés intellectuelles des jeunes enfants ne soient pas encore suffisamment développées pour leur permettre de rougir. De là vient aussi que les idiots rougissent rarement. Le docteur Crichton Browne a entrepris pour moi des observations sur ceux qui étaient confiés à ses soins; il ne les a jamais vus rougir à proprement parler; il a seulement vu leur visage se colorer, de joie apparemment, à l'aspect de leurs aliments, et parfois aussi de colère. Néanmoins, ceux qui ne sont pas entièrement abrutis sont capables de rougir. C'est ainsi qu'un idiot microcéphale, âgé de treize ans, dont le regard s'éclairait un peu lorsqu'il était content ou qu'il s'amusait, se mit à rougir et détourna le

4. The Physiology or Mechanism of Blushing, 1839, p. 156. J'aurai souvent l'occasion de citer cet ouvrage dans le courant de ce chapitre.

2. Docteur Burgess, ibid., p. 56. A la page 33, il remarque également que les femmes rougissent plus aisément que les hommes, comme nous le verrons plus loin.

« PreviousContinue »