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soixante quinze-francs, à cause des espérances qu'il m'a fait concevoir. Il a environ douze ans et promet de devenir un excellent chrétien, et peutêtre un ministre de Notre-Seigneur Jésus-Christ. << Impossible de dire le bonheur du petit garçon quand on lui donna des vêtements, car il était tout nu. Il se regardait plus de cent fois de la tête aux pieds, et ne pouvant exprimer son contentement, il sautait de joie en s'écriant: « Ah! que c'est bien; que c'est joli d'être vêtu; comme cela on n'a plus l'air d'une bête. >>

<<Qu'il est navrant pour le cœur du missionnaire, de ne pas pouvoir porter secours à tant d'âmes auxquelles, moyennant un peu d'argent, on ouvrirait la porte du Ciel! Quelle triste pensée que celle de songer que pour cinquante francs, on pourrait racheter de l'esclavage un enfant de six à sept ans, et qu'on n'a pas cette somme insignifiante en elle-même, et que souvent dans le monde on dépense pour des choses frivoles ou dangereuses! Que de bien on pourrait faire avec plus de ressources 1! >>

1 Lettre du 1er juillet 1869.

CHAPITRE VII

Ambition apostolique du père Horner. - Commencement de son voyage sur la grande terre africaine. Bonté du Sultan.

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Escorte donnée au père Horner. Les soldats et les musiciens. La table. - Arrivée à Mzizima. Excursion sur le fleuve du même nom. Visite à Magagoni et au lac aux hippopotames. Les Banians. Description détaillée et curieuse de ce peuple singulier.

L'histoire rapporte qu'un de ces fameux ravageurs de province, qu'on appelle conquérants, Alexandre de Macédoine, trouvait le monde trop petit pour son ambition. Non moins insatiable, mais mille fois plus noble, est l'ambition du missionnaire catholique. Entre une foule d'autres, le père Horner est un de ces ambitieux, à qui rien ne coûte quand il s'agit de faire de nouvelles conquêtes.

Après s'être rendu compte du bon état de la mission confiée à sa sollicitude et s'être assuré qu'elle ne souffrirait pas de son absence, il partit pour une expédition lointaine sur la grande terre d'Afrique. Dieu était avec lui, car il voyageait sous la conduite de l'obéissance. Personne ne peut, aussi bien que lui, nous faire le récit de son voyage. Le voici tel qu'il l'a écrit lui-même à son supérieur général.

Zanzibar, le 7 janvier 1869.

Mon très-révérend et très-cher Père, votre dernière lettre m'ayant recommandé de visiter plusieurs points de la côte orientale d'Afrique, dans le but de connaître l'endroit le plus favorable à l'établissement d'une nouvelle mission, je me suis empressé de satisfaire vos désirs, en exécutant pendant le mois de septembre et d'octobre derniers, le pénible mais intéressant voyage dont je viens aujourd'hui vous faire le récit.

Son Altesse, le Sultan de Zanzibar, avait entendu parler de mon projet. Quel ne fut pas mon étonnement, en recevant un jour la visite de son amiral qui me dit : «< Afin de vous prouver son amitié, le roi met à votre disposition son bateau à vapeur pour faire votre voyage. »

Non content de m'offrir le passage gratuit, le bon Sultan voulut encore subvenir à tous les frais de l'excursion. Il me fit avertir par trois fois de ne porter absolument rien que mon linge; que son secrétaire avait ordre de m'accompagner et de pourvoir en son nom à tous les besoins de la vie.

Inutile de dire que je fus traité d'une manière royale. Une garde d'honneur de quarante soldats me fut donnée, avec une escorte de six musiciens portugais. En signe de réjouissance, les premiers tiraient des coups de fusil pendant nos repas, rendus somptueux par ordre du Souverain; tandis que

les autres jouaient des airs de musique européens.

La musique, la fusillade, la marche majestueuse du beau vapeur royal, sur une mer tranquille et limpide, la vue des montagnes du continent dorées par le coucher du soleil, formaient un spectacle ravissant pour le missionnaire catholique, voyageant aux frais d'un sectateur de Mahomet.

On avait fait avant le départ d'énormes provisions de toutes sortes. Chaque matin un mouton dut sacrifier sa vie, en compagnie d'autres animaux, pour servir à la nourriture des passagers. Le Koran fut relégué au fond de la cale. Le magasin d'un marchand portugais avait été à peu près vidé, par l'achat de vins et de liqueurs dont nous devions être pourvus en bonne et due forme.

Le café et le sirop furent servis dix ou douze fois par jour. Il y avait en tout une immense profusion dont je souffrais en ma qualité de missionnaire, habitué à la pauvreté et à la simplicité.

Je me permis d'en faire l'observation au secrétaire, qui est mon ami. « L'ordre m'a été donné, me fut-il répondu, de mettre toujours douze plats de viande sur la table. On en peut mettre plus, mais pas moins. >> Comme telle était la volonté du César africain, il fallut s'incliner et accepter avec le plus d'humilité possible ces honneurs princiers.

Le premier jour de la traversée nous jetâmes l'ancre près d'un banc de sable, littéralement couvert d'oiseaux de mer auxquels nous fimes la

chasse. Un grand nombre furent tués par nos soldats arabes, qui en général tirent très-bien.

Le lendemain nous arrivâmes à Mzizima, mot qui veut dire Perle. Cette localité possède un port qui peut contenir trois mille navires, d'après l'estimation de notre capitaine, qui est un habile marin anglais. Le fleuve Mzizima se jette dans le port susdit. Son nom n'est pas marqué sur les cartes géographiques, puisque jusqu'ici aucun Européen n'avait approché de ces parages.

Le beau-frère du Sultan, ancien gouverneur de Quiloa, se trouvait là pour diriger les travaux de construction du palais de Son Altesse. Il vint nous chercher à bord et nous reçut sous une grande tente, construite pour la circonstance avec des voiles de navire. Après les compliments d'usage et le café servi bouillant, on nous amena de grands chevaux arabes, sellés à l'européenne et mis à notre disposition pour visiter le pays.

Notre garde d'honneur nous suivit. Les musiciens exécutaient divers morceaux. Les soldats qui marchaient devant nous, faisaient toutes sortes de fantasias, en chantant et en tirant force coups de fusil.

Nos chevaux, sentant la poudre et croyant aller au combat, commencèrent à hennir, à sauter et à nous faire faire sur la plage des courses dont nous nous serions passés volontiers. Mais que faire? tout se faisait en mon honneur, et il fallut me résigner de bonne grâce.

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