L'Afrique est le pays des sacrifices humains, ou plutôt inhumains, dans lesquels on immole chaque année des milliers de victimes humaines. L'Afrique est le pays où les guerres de tribus à tribus sont en permanence; où la chasse aux hommes se fait, comme dans nos pays, la chasse aux bêtes; où les instincts de cruauté sont tels, que les uns boivent le sang de leurs troupeaux et les autres se nourrissent de chair humaine. L'Afrique est le pays des bêtes féroces les plus redoutables, le pays des grands lions, des tigres, des panthères, des léopards, des rhinocéros, auxquels il faut joindre les crocodiles et les plus affreux serpents. L'Afrique est le pays des reptiles et des insectes de mille espèces différentes, plus incommodes plus venimeux, plus destructeurs les uns que les autres. Citons seulement ces nuées de sauterelles, tellement larges et tellement épaisses qu'elles obscurcissent l'horizon à plusieurs lieues d'étendue. Il faut ajouter, et tellement ravageuses que, tombant sur la terre, comme les avalanches du haut des montagnes, elles dévorent en quelques instants toutes les herbes des prairies, toutes les feuilles des arbres, et ne laissent après elles que la désolation, la famine et la peste. L'Afrique est le pays des vastes déserts aux sables mouvants, que des vents affreux soulèvent comme les vagues de la mer et qui, en retombant, englou tissent les caravanes, les habitants et leurs cases. L'Afrique, située en grande partie dans les limites de la zone torride, est le pays des chaleurs dévorantes et des fièvres meurtrières. Dans de pareilles conditions, morales et matérielles, on comprend que l'Afrique, surtout l'Afrique centrale, inhabitable pour les Européens, est la partie du monde la moins connue, la plus malheureuse et la plus abandonnée. En effet, c'est à peine si quelques intrépides voyageurs ont réussi, dans de rapides excursions et en bravant mille périls, à visiter certaines parties de l'intérieur des terres. Cependant, l'Afrique tient une large place sur le globe. Elle ne mesure pas moins de 1,875 lieues de longueur, sur 1,750 de largeur; et, d'après les calculs qui approchent le plus de la vérité, elle compte de 90 à 100,000,000 d'habitants. La malheureuse terre de Cham restera-t-elle toujours dans son abjection? Il répugne à le croire. Disons plutôt que l'heure de sa délivrance va sonner. La Providence qui, depuis bientôt un siècle, lève peu à peu l'anathème, dix-huit fois séculaire, qui pèse sur la race juive, semble aussi vouloir mettre un terme aux terribles effets de la malédiction qui a frappé la race de Chanaan. Dans ces derniers temps, Dieu a suscité des hommes remplis de son esprit et dont le cœur s'est profondément ému à la vue de tant de misères à secourir, et de tant d'âmes à sauver. Le premier qui se présente, par ordre de date, est le prêtre génois, Nicolas Olivieri. Depuis 1838, jusqu'en 1864, époque de sa mort, ce saint homme consacra sa fortune et sa vie au rachat des enfants nègres. Accompagné de sa pieuse et héroïque servante, on le vit traverser vingt-six fois la Méditerranée, pour se rendre des côtes d'Italie aux marchés d'Alexandrie et du Caire. Négociant d'un nouveau genre, il achetait de jeunes esclaves qu'il amenait en Europe et plaçait dans les maisons religieuses. Grâce à lui, plus de huit cents petites négresses ont dû le double bonheur d'être délivrées de l'esclavage et faites par le baptême les enfants de Dieu. Plusieurs sont mortes en odeur de sainteté; d'autres sont devenues des religieuses, admirables de piété et de dévouement. L'œuvre du vénérable prêtre était, en petit, la résurrection de l'œuvre des grands ordres religieux du moyen âge : l'ordre de Notre-Dame de la Merci, et l'ordre de la Très-Sainte Trinité, pour le rachat des captifs. Qu'il en fût ainsi, tel était le pressentiment de l'homme de Dieu. Dans une relation publiée sur sa charitable entreprise, il disait : « Qui donc ne s'empressera de concourir à une œuvre, laquelle, si je ne me trompe, paraît destinée à perpétuer dans la chrétienté le but de l'ordre de la Très-Sainte Trinité? » Ce pressentiment n'était pas trompeur. Avant sa mort, Olivieri eut la consolation de voir les religieux Trinitaires adopter et continuer son œuvre. Cette substitution a été accompagnée de circonstances que nous raconterons bientôt, parce qu'on y découvre clairement l'intervention de la divine Providence. Avant qu'elle eût lieu, le Seigneur avait tiré des trésors de sa miséricorde, celui qu'on peut appeler le véritable rédempteur de la race noire, soit en Afrique, soit dans les colonies: nous avons nommé le vénérable père Libermann, mort à Paris, le 2 février 1852. Une fois de plus, ce nouvel apôtre a vérifié dans sa personne la grande loi de la Providence, qui aime à choisir ce qu'il y a de plus faible, pour accomplir les choses les plus difficiles. Né au sein du judaïsme, atteint pendant de longues années d'une maladie terrible, sans fortune, sans talents supérieurs, sans appui humain; mais riche d'une humilité profonde, d'une rare confiance en Dieu, d'un courage à toute épreuve et d'une charité sans limites pour les pauvres populations africaines, le père Libermann comprit sans peine que des efforts isolés ne donneraient jamais que de faibles résultats, insuffisants pour conduire à la régénération de la race noire. Par quelle voie y parvenir? Comme celui de saint Paul, à la vue d'Athènes idolâtre, le cœur du jeune lévite palpitait, et ses yeux se remplissaient de larmes à la pensée de tant de millions d'âmes abandonnées, et auxquelles d'énormes difficultés morales et matérielles empêchaient de porter secours 1. Cependant monsieur Libermann, miraculeusement guéri, avait pu être admis au sacerdoce. Après avoir longtemps prié, comme les saints savent prier, ses vœux furent exaucés: des prêtres dignes de lui entrèrent dans ses vues. Sous sa direction, ces hommes apostoliques devinrent les éléments d'une famille religieuse, spécialement dévouée à l'évangélisation de la race noire et décidée à tout entreprendre pour la sauver, sous quelque climat qu'elle habite. Nous avons nommé la Congrégation du SaintCoeur de Marie, modèle des vertus religieuses et de dévouement au Saint-Siége. Depuis plus de vingt ans, cette Congrégation, unie à celle du SaintEsprit, travaille avec un courage héroïque et un succès toujours croissant, à la grande œuvre entreprise par son vénérable fondateur. Sont venues ensuite d'autres fondations, également destinées à la conversion des nègres. Tels sont en particulier le Séminaire établi à Vérone, pour donner des missionnaires au Sahara et au Soudan Oriental, ainsi que le Séminaire des Missions Africaines, dont Lyon est redevable à Mon 1 Incitabatur spiritus ejus in ipso, videns idololatriæ deditam civitatem. Act., xvii, 16. |