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CHAPITRE IV

Première messe sur la côte africaine.

Messe de minuit.

Première visite des indigènes à la mission. État matériel

et moral de la population.

des malades.

- Cruel abandon des pauvres et - Esclavage de la femme.

L'aménagement marcha si bien que le 25 décembre, à minuit, la petite chrétienté de Zanzibar était réunie dans une chapelle provisoire, au pied d'un autel tout resplendissant de lumières.

<<< Parmi les assistants on remarquait MM. Jablonski, chancelier du consulat, Peyronnet et Bérard, représentants des maisons de commerce de France établies à Zanzibar; leurs employés, quel-ques autres Français ; des Espagnols, des Portugais qui habitent le pays: en tout, une soixantaine de personnes. Le père Schimpff toucha l'orgue; les sœurs entonnèrent des chants de Noël, auxquels l'assistance s'unit de toute son âme.

<< Il y avait dans cette messe de minuit, continue M. Fava, la première que nous célébrions à Zanzibar, quelque chose de si insolite; elle éveillait en nous tant de sentiments divers que nous pouvions

à peine nous rendre compte de ce qui se passait en nous et autour de nous.

« Nous étions à Zanzibar, au milieu d'une ville moitié mahométane, moitié païenne; dans une maison bâtie par un Arabe, au pied d'un autel consacré au vrai Dieu, le seul qui fût sur ces immenses rivages, et au sein de ces vastes mers. Nos chants catholiques retentissaient librement à travers la ville, pendant le silence de la nuit. Le fils de Dieu descendait pour la première fois au milieu de nous, de nous venus de la France, sur cet îlot perdu.

« Cette présence auguste, ces pensées, les souvenirs d'enfance rappelés par les chants et la nuit de Noël, nous remplissaient d'un indicible émotion. Plusieurs parmi les assistants voulurent inutilement cacher leurs larmes.

<< Pour nous, prêtres et religieuses, nous sentions que nous étions désormais privés des grandes cérémonies du culte catholique; mais nous étions heureux que Dieu eût bien voulu nous amener là, au pied de cet autel ignoré.

<< Afin de nous encourager dans notre isolement, nous nous disions avant longtemps peut-être la mission ne portera des fruits; au moins Notre-Seigneur sera adoré sur cette terre où il est inconnu. Résidant en personne à l'entrée de ces vastes régions de l'Afrique encore inexplorées, le divin berger tôt ou tard appellera jusqu'à lui ces millions

de mahométans et d'idolâtres, chères brebis rachetées comme nous de son sang précieux. La mission est l'instrument de Dieu pour le salut du monde. >>

Cependant la nouvelle de l'arrivée des missionnaires s'était répandue rapidement dans la ville. Chacun voulut voir les muzongo, les nouveaux blancs. Les gens du peuple s'arrêtaient à l'entrée de la Providence. Les missionnaires allaient y causer avec eux sans distinction et les faire rire un peu. En général l'Africain de la côte orientale est d'une humeur gaie. Il rit de bon cœur et de toutes ses forces.

Les personnes de la classe aisée se hasardaient à entrer. On les recevait le mieux possible. Le père Eymard leur montrait les ateliers, les outils et leur en expliquait l'usage. Arrivés à la chambre du supérieur, ils étaient invités à prendre, selon l'usage, le café et le verre de sirop; puis commençaient les questions.

Père, c'est le nom qu'ils donnent au prêtre catholique, qu'est-ce que ce meuble? C'est ce qu'on appelle un piano. - Pourquoi faire? - Le père Schimpff, qui était souvent avec le supérieur, les éblouissait alors par quelques airs rapides.

Rien ne plaît tant aux Àrabes, en fait d'harmonie, comme ce qui ressemble au galop de leur cheval. Ensuite on faisait le voyage autour de la chambre. Qu'est-ce que ceci ? — C'est le por

trait d'Iça, c'est le nom qu'ils donnent à Notre-Sei

gneur Jésus-Christ.

Ceci ? C'est le portrait de

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Mariem, Marie. Ceci?

Iça, descendu de la

croix où les Juifs l'avaient attaché.

«Nos visiteurs, ajoute le missionnaire, nous répondaient : Nous avons déjà entendu dire ce que tu expliques, mais nous ne croyons pas qu'Iça soit mort. Les juifs ont voulu le crucifier. Mais Allah (Dieu) a fait quelque chose qui ressemblait à Iça, et c'est ce fantôme que les Juifs ont crucifié. Pour Iça, il n'est pas mort.

((— - Qu'est-il donc devenu? leur demandais-je. <«<-Nous croyons qu'il est au ciel avec Allah, et qu'il viendra à la fin du monde juger les hommes. Est-ce que Iça va juger aussi Mohammed (Mahomet)?

« Oui, tous les hommes. Sauriez-vous me dire pourquoi Iça est le juge de tous les hommes, même de Mohammed? - Non, père. Je vais vous le dire: nous croyons, nous chrétiens, que Iça est fils de Dieu, Dieu lui-même, maître et Seigneur de tous les hommes ; c'est pour cela qu'il a le pouvoir de les juger tous. - Marrhabba (merci); répondaient-ils d'un air distrait.

<< Le sol n'est pas préparé ; la semence n'y prend pas. Espérons que Dieu aura pitié de ces populations. A travers leurs croyances, comme à travers les compilations du Coran, on voit percer le christianisme. En outre, ces populations prient et ont le

sens religieux. Le mahométan fait intervenir Dieu presque dans les moindres questions. Il mêle le nom de Dieu à toutes ses conversations, et aux affaires auxquelles la religion paraîtrait devoir être étrangère.

« Qu'on en juge par la lettre suivante. Elle me fut adressée par le gouverneur de Zanzibar, Saïd-Soliman, vieillard arabe, réputé pour ses grandes richesses, sa finesse et sa haute influence, dans l'île et sur toute la côte de Zanzibar.

« Que Dieu soit glorifié !

« De Soliman Ben-Ahmed à son excellence le très-digne, le très-généreux, le très-distingué et le très-élevé le Père. Que Dieu Très-haut l'aime, le conserve et le garde ! S'il plaît à Dieu (in cha allah).

<< Puis, ce dont nous vous faisons part, c'est que nous avons chez nous une pompe en mauvais état. Soyez assez bon pour donner ordre aux ouvriers qui sont avec vous, de la mettre en bon état, et pour cela Dieu vous récompensera, s'il plaît à Dieu (in cha allah).

« Et il est bien entendu que les ouvriers seront payés de leur travail, quand la pompe fonctionnera. Et pour tout ce dont vous pourriez avoir besoin, vous n'avez qu'à nous le faire savoir.

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