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Je connais un Arabe qui avait deux esclaves, qui mouraient presque de faim. Pressés par le besoin, ces malheureux prennent un peu de manioc, qu'on pourrait appeler les pommes de terre d'Afrique. Ils le dévorent avidement.

Que fait le maître? Il ordonne de creuser un trou dans le sable, y place les deux esclaves, les entoure de bois et d'herbes sèches, y met le feu et brûle vifs ces pauvres gens.

Le barbare en a été quitte pour huit jours de prison. Encore ne lui ont-ils été infligés que pour la forme, afin de donner satisfaction aux Européens qui avaient demandé un châtiment exemplaire.

Je ne finirais jamais, si je voulais raconter toutes les horreurs et tous les abus de l'esclavage. Là où cette plaie sociale règne en souveraine, le malheur est sans limite et le crime sans frein. L'Arabe arrache un enfant des bras de sa mère pour le vendre, puisque tous les produits quelconques de ses esclaves lui appartiennent. Il vend les appas d'une vierge, puisque chez lui tout doit rapporter de l'argent.

Que dirai-je de ces pauvres vieillards qu'on porte vivants au cimetière, puisqu'ils sont incapables de travailler et qu'on ne veut rien dépenser pour les nourrir? Tel est le sort de l'esclave qui ne peut plus rien gagner pour son maître. Ces actes de cruauté sont assez fréquents, pour que nous ayons pu trouver, le même jour, jusqu'à quatre vieillards

jetés au cimetière par leurs maîtres inhumains.

Mais on ne jette pas seulement des vieillards au cimetière, on y jette encore des enfants malades qu'on désespère de guérir. Nous avons à la Mission un certain nombre de ces petites créatures, que nous avons ramassées au cimetière. Je termine par un trait dont je viens d'être témoin et qui mettra le cachet à tout ce qui précède.

Il y a quelques jours, revenant de la campagne, je trouvai étendue, sur le chemin, une pauvre vieille femme dont le dos était tout labouré par des coups de bâton. Je lui demande la cause de ces mauvais traitements.

Elle me répond: « Mon maître m'a chassée puisque je suis vieille et que je ne peux plus travailler ; va-t'en, m'a-t-il dit, mourir au cimetière. Comme la faim me tourmentait, je suis retournée chez lui. Ma vue l'a mis en fureur, et il m'a accablée de coups de bâton pour me faire partir. J'ai frappé à la porte des voisins, demandant un peu de nourriture. Pour toute réponse j'ai reçu des coups de bâton abandonnée de tout le monde, je n'ai plus qu'à mourir. >>

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Touché de compassion à ce récit, malheureusement trop vrai, je lui dis : « Pauvre femme, voulez-vous venir dans notre maison, où vous recevrez de quoi manger.-Oh! oui, me dit-elle, en joignant les mains pour me remercier, Marhaba Nataka : Merci, je le veux bien, mais je ne puis marcher. »>

Éloigné de la ville, et sur le point d'être surpris par la nuit, je parcours les environs pour chercher des hommes capables de porter la pauvre femme, qui pouvait à peine se tenir debout. J'en trouve deux.

A la vue de la pauvre vieille, mes prétendus porteurs se mettent à rire à gorge déployée et me disent «Les blancs sont drôles. Ils ne connaissent ni le pays ni ses habitants. Jamais vous ne réussirez à engraisser cette vieille, de manière à pouvoir la revendre elle est trop malade pour cela. >>

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Plus peiné que surpris de ces étranges paroles, je leur répondis que ce n'était pas pour gagner de l'argent que je voulais faire soigner cette pauvre créature, mais uniquement par charité et pour l'amour de Dieu. Ils se mettent à rire encore plus fort, en me disant : « Mais vous ne voyez donc pas que c'est une vieille carcasse, dont vous ne pourrez rien tirer? >>

Je leur parle du ciel, de l'âme; et leur réponse fut toujours la même : « Vous ne pourrez pas revendre cette femme; elle est trop vieille. Vous ne la guérirez pas. Vous perdrez votre argent en lui donnant à manger, attendu qu'elle va mourir. >>

Malgré l'argent que je leur promis, aucun d'eux ne consentit à la porter. Pendant que je parlementais avec ces misérables pour leur inspirer un peu de compassion, il en est un qui prit un bâton dont il frappa fortement la malheureuse créature, en disant: «Nenda oupessi: Va-t'en bien vite. »

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VOYAGE A LA CÔTE ORIENTALE D'AFRIQUE. Je ne cacherai pas que je lui arrachai le bâton avec force, et qu'il fallut me faire une violence extrême pour ne pas lui en faire goûter les caresses, car le sang me bouillonnait dans les veines.

J'adressai à cet être sans entrailles les reproches les plus vifs, dont il se mit à rire. Ne pouvant moimême emporter cette pauvre vieille esclave, je dus l'abandonner. Malheureusement je ne pus la retrouver le lendemain.

Entre mille, ce trait peint le pays, à la régénération duquel nous sommes appelés. Qu'on ne parle ni de charité, ni même d'humanité en dehors du christianisme. Ah! si l'Europe pouvait voir de ses yeux ce que je vois, sentir ce que je sens au spectacle de la dégradation morale de ces pauvres peuples, comme elle viendrait à leur secours !

On estime à près de cent millions la population totale du continent africain.

Voilà donc cent millions de créatures raisonnables à tirer de l'abrutissement, de la misère et de l'esclavage avec toutes ses horreurs.

Voilà cent millions d'âmes, rachetées comme nous du sang de Jésus-Christ, à régénérer et à sauver.

Quel objet plus digne du zèle des cœurs généreux! Des ressources donc et encore des ressources. Des prières et encore des prières.

Des missionnaires et encore des missionnaires.

FIN.

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