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suré, nous offrit de l'eau de coco pour nous rafraîchir, et il me dit : « Je suis charmé de vous voir parmi nous; vous pourrez, si cela vous fait plaisir, rester trois mois. Je vais vous faire préparer une bonne maison, et afin que vous ne soyez pas troublés dans votre sommeil, je vais défendre aux danseurs de danser dans le village : ils iront sur le bord de la mer. >>

Ce brave chef, qu'on appelle dans la langue du pays Livouali, me présenta un de ses fils encore jeune. Cet enfant avait à la main une affreuse plaie, qui avait déjà carié les os. Elle me parut incurable, et je dis au père d'envoyer le malade à Zanzibar, où je lui ferais faire l'amputation de la main.

Ce mot d'amputation l'effraya; car, selon les coutumes arabes, on doit plutôt mourir que de se laisser couper un membre. La chose en resta-là.

Après avoir fait l'éloge des Français, qui sont très-aimés sur toute la côte orientale d'Afrique, le Livouali nous conduisit solennellement vers notre demeure. Elle était située à côté du grand pavillon national, devant lequel nous nous assîmes sur des fauteuils en rotin, préparés à cet effet par son ordre.

Placés devant le canon rayé, envoyé par le Sultan de Zanzibar pour tirer aux grandes fêtes arabes, nous eûmes sous les yeux le plus beau spectacle que j'aie vu de ma vie.

Devant nous, se développait, d'un côté l'im

mense port de Tanga, partagé en deux parties égales par une île verdoyante; de l'autre, nous apercevions les belles montagnes, derrière lesquelles s'élève le mont Blanc africain, le gigantesqne Kilimandjaro.

L'infortuné baron de Decken, qui était un ami si dévoué de notre mission et que nous regretterons toujours, me disait à Zanzibar: « Le Kilimandjaro est couvert de neiges éternelles. Je l'ai gravi avec l'excellent docteur Kerstein, également votre ami, jusqu'à une altitude de 4,469 mètres... »

Comme je ne me trouvais qu'à huit jours de marche de cette merveille de la création, le chef m'engagea beaucoup à aller la visiter. Je lui fis comprendre que mon voyage n'avait point, quoi qu'en eût pu dire Mousa, un but scientifique, mais purement apostolique.

Pendant que nous étions occupés à admirer les beautés de la nature, on vint me présenter un aveugle, endoctriné par Mousa, qui me dit : «Seigneur, rendez-moi la vue. » Je lui expliquai l'impossibilité où j'étais de le guérir, le bon Dieu. ne m'ayant pas donné le don des miracles, comme à saint François-Xavier. « Cela ne fait rien, me répond-il: si vous voulez, vous pouvez me guérir, vous avez un remède pour cela. >>>

Je lui réplique : « Mon ami, comprenez bien que vos yeux sont morts, et peut-on faire revivre les morts? Certainement vous le pouvez, Mousa

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VOYAGE A LA CÔTE ORIENTALE D'AFRIQUE.

me l'a dit; vous avez pour cela quelque chose dans un petit verre. >>

Pour avoir la paix je lui versai dans les yeux un peu d'eau de Cologne, mélangée d'eau naturelle. Le voilà qui s'écrie : « Namoma, Namoma, je vois, je vois. »

C'était pure imagination. Cependant le chef, qui crut un moment au miracle, lui dit d'aller à la mosquée remercier le Dieu de Mahomet. En s'en allant, il se heurta contre une maison, ce qui causa une hilarité générale.

Comme le nombre des principaux Arabes, accourus pour nous souhaiter la bienvenue, avait beaucoup augmenté, j'eus l'idée de faire suppléer au manque de chaises par un lit en fer, que le baron de Decken nous avait donné pour faire nos voyages. Ce meuble est excessivement commode, car on peut le réduire à un tout petit volume très-portatif, et en faire tour à tour un lit, une chaise ou un fauteuil.

Je montrai aux assistants les différentes combinaisons, au moyen desquelles on le faisait servir à ces divers usages. Ils en furent émerveillés et s'écrièrent tout d'une voix : « Mgoungou Agili Thele Les blancs ont beaucoup d'esprit. »

Le chef fit aussitôt appeler le Foundi, le mécanicien le plus habile du pays. Il resta vingt minutes à étudier le mécanisme et finit par réussir. D'autres essayèrent mais sans autre succès que de provoquer de longs éclats de rire; ce qui augmenta encore l'idée de l'intelligence des blancs.

CHAPITRE XXII

Les Vadigo. Peuples de l'intérieur. Description.

Cos

tume des hommes et des femmes. Les femmes Vaséguédou.

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Leurs huttes et leur manière de vivre. Leurs danses.
Frayeurs des noirs à la vue des missionnaires.
Doumi, son enceinte. - Mamboni.

- Tanga.
-Fuite de Malbrough.

- Vanga et ses poteries.

A peine installés chez nous, on vint de tous côtés demander de la médecine. Comme Tanga est en grande partie livrée aux erreurs sataniques du faux prophète, les plus riches Arabes vinrent me consulter. Pour être juste, il faut dire que ces gens furent envers nous d'une politesse exquise et nous envoyèrent presque tous des cadeaux.

Mais les visites les plus importunes étaient celles des Vadigo. Ces peuples de l'intérieur vinrent du matin au soir exhiber à nos yeux leurs nudités presque complètes. Hommes et femmes portent pour unique vêtement, une ceinture de toile autour des reins; à leur cou pend un petit chiffon qui est leur talisman universel. Les hommes sont armés de l'arc et des flèches empoisonnéées.

Suivant leur fortune, les femmes ajoutent à leur ceinture une triple rangée de perles blanches et

bleues. Une autre rangée de grosses perles blanches et de petites perles rouges, ornent leur cou noir d'ébène. Le bras droit est marqueté de dixsept excroissances de chair artificielles, et le bras gauche pointillé de trente-deux trous, pratiqués au moyen d'un fer incandescent. La tête est rasée chez les femmes comme chez les hommes, qui vont nutête au soleil. Les femmes qui ont été mères conservent une petite touffe de cheveux sur le sommet de la tête, pour les distinguer de celles qui n'ont point eu d'enfants et qui, pour cette raison, iront en enfer, d'après la croyance religieuse du pays.

Les genoux des mères et des autres sont entourés de cordes faites de poil d'éléphant et les pieds cerclés de gros anneaux de cuivre. Au lieu de perles, les femmes pauvres ne portent au cou que des colliers de bois.

Avec les Vadigo nous vîmes venir quelques femmes des Vaséguedou, peuplade en partie mahométane. Outre le costume des Vadigo, elles ont de grosses balafres aux joues et quatre autres rangées de balafres depuis les épaules jusqu'aux reins. Plusieurs bracelets de perles blanches et bleues ornent leurs bras.

Les plus riches ont des couronnes de perles autour de la tête, ce qui leur donne un air théâtral. Elles ont également la tête rasée, avec un grand toupet de cheveux sur le sommet. Cette précaution ne leur assure pas le ciel, mais elle empêche leurs enfants de mourir.

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