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Victimes humaines. Résolution d'entrer dans le pays des Refus du capitaine. Trois contrariétés.

Vadoé.

- Ar

rivée au port de Kipombouy. - Accueil fait au missionnaire. - Influence de la mission catholique. Visite au chef. Case offerte au missionnaire et à ses compagnons: description.

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Après avoir passé dix jours à Bagamoyo, nous cinglâmes vers le nord, en passant devant l'embouchure du Kingani. Ce beau fleuve sépare le pays des Vazaramo, de celui des Vadoé. La dernière peuplade que je viens de nommer est essentiellement anthropophage.

Elle se tient derrière les montagnes élevées de Sandani, dont l'agréable vue me rappelait les gigantesques Salazes de l'île de la Réunion. Ces belles montagnes de Sandani, sur lesquelles on aperçoit des arbres à encens et à copal, s'élèvent vis-à-vis de Zanzibar, d'où on les voit distinctement, n'étant qu'à une distance de dix lieues.

Un peu au delà du Kingani, on rencontre la rivière Vouami, entre les ports de Sadani et de Whindi. Whindi est un village fortifié,parce qu'on

se défie beaucoup des Vadoé, qui sont la terreur de tout le voisinage : ce n'est pas sans raison. Les Vahamba eux-mêmes, quoique très-forts et trèsbraves, n'osent plus les attaquer.

Le fait suivant explique leur crainte. Un jour sur le point de succomber dans un combat contre les Vahamba, les Vadoé se mirent à rôtir et à manger les morts, tombés sur le champ de bataille. C'était un stratagème horrible; mais il suffit pour mettre en fuite les premiers, qui ne voulurent pas servir de pâture aux derniers.

Continuant notre voyage, nous arrivâmes à Kipombouy, où nous rencontrâmes quelques Vadoé. Ils ont l'air de démons. Les hommes et les femmes vous présentent, comme ornement de tête, deux larges cicatrices rouges, courant depuis les tempes jusqu'au bas du menton. A leur bouche, manquent les deux incisives de la mâchoire supérieure, qu'ils ont soin d'arracher. Leur costume, formé de peaux teintes en jaune, achève de leur donner un aspect sauvage.

Outre les armes ordinaires aux Africains, les hommes portent un grand couteau à double tranchant, une massue, une hache de bataille, un bouclier de peau de rhinocéros, et ce qui est épouvantable, des crânes humains pour y boire.

Lorsqu'un homme libre meurt, on enterre avec lui deux esclaves vivants de sexe différent. L'un, armé d'une hache, doit couper le bois à feu pour chauffer son maître dans l'humide région des morts.

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L'autre est destinée à supporter la tête du défunt et à lui servir à des usages qu'on devine facilement.

Comme j'avais souvent entendu parler des Vadoé, à Zanzibar, où leursauvagerie est connue, l'échantillon qui était sous nos yeux ne me suffisait pas. Mon grand désir était d'aller visiter chez elle cette horde barbare. Mais j'avais compté sans la lâcheté de notre capitaine. Arrivé devant le petit port de Sadani, je dis donc à notre vaillant marin: «Nahousa, nanda, Sadani houa Vadoé: Capitaine, allez mouiller à Sadani, chez les Vadoé. »

A ces mots, le brave qui avait une peur bleue d'être mangé, fit une exclamation et une mine impossible à rendre. Par un trait de finesse orientale, il me répond: « Naïfaï, Mavoué thélé: Oh! c'est impossible; il y a là trop de récifs. >>

Je marchande avec lui en lui disant de carguer la voile et de mettre les hommes à la rame, afin de ne pas compromettre le boutre. Naïfaï, naïfaï, fut encore sa réponse. N'osant avouer sa poltronnerie, le pauvre capitaine se retrancha derrière son argumentation sur les récifs, et je fus obligé de céder.

Il eût été assez facile de nous consoler de cette mésaventure, si d'autres contrariétés ne nous étaient survenues. La première fut un calme plat qui nous prit tout à coup et qui dura deux jours. Le calme plat est ennuyeux même sur un navire, où l'on peut se garantir des ardeurs du soleil, au moyen des

voiles. Sur le boutre arabe, il est impossible de se procurer un pareil soulagement.

La seconde contrariété fut donc pour nous l'obligation de rester, pendant toute la journée, sous un soleil de plomb, dont l'ardeur nous faisait tellement monter le sang à la tête, que nous craignions à chaque instant d'être frappés d'appoplexie. La nuit, les courants marins produisaient un tel roulis, que notre embarcation fut vingt fois au moment de chavirer.

La troisième fut une soif ardente qui nous dévorait. Par surcroît de malheur, nous manquions d'eau douce. Il en restait bien un peu, dans laquelle les noirs matelots se lavaient les mains et la figure. De plus, elle était dans la cale nouvellement calfatée d'huile de poisson, dont elle avait pris l'odeur infecte. Mais l'ardeur de la soif nous forçait à surmonter toute répugnance et à boire de cette infection.

Après deux jours et deux nuits de souffrances, une petite brise nous permit de mouiller dans le port de Kipombouy, où nous pûmes faire nos provisions d'eau pour nous et de paille pour nos ânes.

L'accueil que nous reçûmes des indigènes fut si chaleureux, qu'il me fit croire un instant à un stratagème. Un grand nombre d'hommes, accourus sur la plage, s'empressèrent de nous donner d'affectueuses poignées de main: ce qui était loin de dissiper ma défiance.

Mais je fus complétement rassuré, l'orsqu'un de ces bons indigènes, prenant la parole, me dit: «Nous vous connaissons bien; vous êtes le prêtre français qui soigne les pauvres et les malades. « Nous vous connaissons, car plusieurs d'entre nous ont été à Zanzibar. >> << Ne me reconnaissez-vous pas, dit un autre? j'ai été quelque temps votre voisin à Zanzibar, où vous m'avez soigné pendant ma maladie. Soyez le bienvenu, nous sommes heureux de vous voir ici.>>

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Alors le jambo sana, comment vous portez-vous, recommença de plus belle. Puis, on s'empressa de nous apporter des cocos pour nous rafraîchir. Cet accueil plein de respect et de cordialité, fut pour moi une grande consolation. Il était la preuve certaine de l'influence de la mission catholique, dont les œuvres de charité étaient connues au loin.

Aussi nous étions à peine arrivés près du village, qu'on vint de tous côtés nous demander du dava, des médicaments.

Mais épuisé par la fièvre, la fatigue, les insomnies et les privations supportées à bord du boutre, je fus obligé de m'appliquer le dicton: Medice, cura te ipsum 1, et de me coucher au milieu du village, en attendant que notre case fût choisie. Dans cet état je me disais : « Il faut que ces Souahili soient bien bons, pour qu'il ne leur vienne pas l'idée de nous voler le peu d'argent que nous avons. >>

1 Médecin, guéris-toi toi-même.

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