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sacrifier la mienne, en m'opposant ainsi aux caprices d'un tyran; mais dans ces caprices mêmes je trouvai mon salut et celui de la pauvre victime. Mon intervention, par sa nouveauté hardie, arracha un sourire au despote africain, et la prisonnière fut immédiatement relâchée 1. »

Si elle varie dans la forme, la cruauté envers la femme reste la même, quant au fond, sur la malheureuse terre d'Afrique. « Dagara, roi du Karagué, étant mort, continue le capitaine Speke, son corps fut porté sur une montagne. Au lieu de l'enterrer, le peuple construisit une hutte pour l'abriter. On y fit entrer de force cinq jeunes filles et cinquante vaches, et, toutes les issues solidement barricadées, on les y laissa mourir de faim 2. >>

En Chine, on estropie la femme en s'efforçant de lui rendre les pieds si petits, qu'elle peut à peine marcher, Ici, dans le royaume du Karagué, la malheureuse fille d'Ève est soumise à un genre de déformation tout opposé.

Avant d'arriver chez Rumanika, roi de ce pays, le capitaine Speke avait appris d'un Arabe, que les femmes des rois et des princes étaient soumises à un système d'engraissement tout particulier. « J'avais à cœur, dit le célèbre et véridique voyageur, de vérifier ce détail de mœurs. Ce fut le principal

1 Tour du monde, n. 231, p. 355.

2 lbid., n. 229, p. 322.

motif de la visite que je fis au frère du roi. Mon Arabe ne m'avait rien dit de trop.

«En pénétrant dans la hutte, je trouvai le vieillard et sa principale femme assis côte à côte, sur un banc de terre gazonnée, au milieu des trophées d'arcs, de javelines et de sagaies, suspendus aux poteaux qui soutenaient la toiture en forme de niche.

<< Les dimensions tout à fait extraordinaires de l'opulente et plantureuse maîtresse du logis passaient toutes les idées que j'aurais pu me faire d'après les récits de l'Arabe. Cependant sous le débordement de cet embonpoint formidable, quelques traits de beauté subsistaient encore.

«Quant à se tenir debout, ceci lui était littéralement impossible. Elle en eût été empêchée, au besoin, par le seul poids de ses bras aux jointures desquels pendaient, comme autant de puddings trop délayés, des masses de chair abondante et molle.

<«<L'accueil du prince et de ses fils, ces derniers du plus beau type abyssinien, fut marqué au sceau d'une politesse exquise. Ils avaient entendu, parler de nos peintures et prirent un grand plaisir à les regarder, surtout celles des animaux qu'ils pouvaient reconnaître et qu'ils nommaient en riant aux éclats.

« Je m'enquis de la raison pour laquelle tous ces pots de lait se trouvaient ainsi réunis autour d'eux. Leur père se chargea de me l'expliquer en

me montrant sa femme. «C'est de là, me dit-il, que lui vient toute cette rotondité. C'est en les gorgeant de lait dès leur plus jeune âge, que nous obtenons des femmes dignes de nous et de notre rang1.>>

Cette première visite du capitaine anglais avait eu lieu le 26 novembre. Afin de s'assurer que le phénomène dont il avait été témoin n'était pas un fait exceptionuel, le 14 décembre, il fit une seconde visite dans une autre case royale. « Je suis allé, dit-il, chez une des belles-sœurs du roi, pour étudier de plus près un de ces phénomènes d'obésité dont je viens de parler.

<< Celle-ci, comme l'autre, ne peut marcher qu'à la façon des quadrupèdes. Pour l'amener à se laisser examiner en détail et à me permettre de prendre la mesure exacte de toutes ses dimensions, je lui propose de lui montrer mes bras et mes jambes à l'état de nature.

« La fille d'Ève mord à la pomme, et lorsque, serpentant et se traînant, je l'ai fait arriver au milieu de la hutte, je prends sur elle, ma promesse tenue, les mesures suivantes : Tour du bras, un pied onze pouces; buste, quatre pieds quatre pouces; cuisse, deux pieds sept pouces; mollet, un pied huit pouces; hauteur du sujet, cinq pieds huit pouces 2.

1 Tour du monde, n. 228, p. 318.

2 Il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici de pieds et de pouces anglais. Le pied de 12 pouces équivaut à 304 millimètres, le pouce à 25 millimètres et une fraction.

162 VOYAGE A LA CÔTE ORIENTALE D'AFRIQUE.

<<< Pendant cette opération, la fille de la princesse, qui achève sa seizième année, se tenait assise devant nous, dépouillée de tout vêtement, absorbant à petites gorgées un pot de lait, sous l'œil de son père, qui, baguette en main, et prêt à la châtier pour l'y contraindre, préside à cette monstrueuse déformation, que la mode impose aux femmes de ce pays 1.»

1 Tour du monde, n. 229, p. 346.

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Horribles superstitions.- Victimes immolées dans la maladie ou à la mort des chefs.

- Le fétichisme.

Croyance à la vie future. Conséquences désastreuses du fétichisme. - Besoin de missionnaires.

Je reviens à nos Mouézi. Mieux que tous les raisonnements, l'état dans lequel ils se trouvent démontre que la foi est la mère de l'intelligence et le catholicisme le père de la civilisation.

Malgré la bonté de leur naturel et la fertilité de leur sol, les Mouézi sont relativement très-malheureux, non-seulement sous le rapport moral, mais même sous le rapport physique. Encore quelques détails sur ce peuple, dont l'évangélisation sera un des premiers soins de la Congrégation du Saint-Cœur de Marie.

Les maisons ou mieux les huttes, dans certaines tribus, sont ornées de grossières figures d'hommes et de serpents, faites avec du mortier, de la cendre et de la terre rouge. On aperçoit même sur les maisons et dans les champs des croix assez nombreuses. Elles sont aujourd'hui de pure ornementation;

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