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priétés1, tirant ainsi de lui la valeur de quarante mille livres tournois 2.

L'évêque cependant n'était pas homme à rester inactif : il mettait à se réhabiliter le même acharnement que ses ennemis à machiner sa ruine.

Il avait d'abord pensé que, la reine de Navarre morte, il lui serait plus facile de retrouver son crédit 3: il essaya donc, par l'intermédiaire de ses amis dans l'entourage royal, de rentrer au conseil; il ne put y parvenir l'obstacle venait de la reine. Alors, refoulant sa haine croissante, il se fit souple, il tenta un rapprochement; plusieurs personnes s'entremirent encore, mais en vain, pour le faire rentrer en grâce auprès d'elle: elle était dégoûtée de lui 5.

La réconciliation était désormais impossible. Guichard ne voulut pas du moins s'avouer coupable: la condamnation, c'était, avec la ruine, sa confusion et son discrédit perpétuels 6. Il s'efforça donc de contrarier le procès intenté contre lui, de neutraliser les témoignages produits dans l'affaire de Jean de Calais, soit en leur en opposant d'autres, soit en retournant les premiers. Il y eut là un emmêlement d'intrigues obscures où la vérité et la suite des faits sont difficiles à saisir 7.

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possessions et des rentes que les personnes d'eglise de la baillie de Troyes ont et pevent avoir en ladite baillie, selon l'information faite sus ce << hasteement et secrcement dou mandement le roy fait et envoyé au bail་་ lif de Troyes» (sans date).

1. Dépos., II, 25, Gentile de Ficeclo.

2. Dépos., II, 25, Jean du Tremblay. L'évêque disait qu'elle avait tiré en tout de lui 80.000 livres, avec les 40.000 livres qu'il dut verser en fin de l'affaire.

3. 2 série d'accusations, art. 22: « quod post mortem ejus in curiam « domini regis Francorum melius quam in ejus vita posset sua facta promo« vere.» Cf. Dépos., II, 22, Curé de Corfélix : il comptait faire sa paix plus vite avec le roi.

4. Arch. Nat., J. 438, no 8, art. III.

5. Ibid., art. IV.

6. Ibid., art. III (ob predicta reputans se confusum).

7. Pour établir les faits qui vont suivre, nous avons dû nous servir des témoignages de l'article 17 de la 2a série d'accusations, malgré leur caractère quelquefois suspect: mais nous n'en avons retenu que les faits patents et pour ainsi dire officiels.

L'évêque mena secrètement une double série de négociations: en France, pour obtenir des témoignages favorables et fournir, au procès, une sorte de contre-preuve qui devait détruire les allégations des témoins de la reine; en Italie, pour amener Jean de Calais à le disculper auprès du roi et de la reine de France.

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A la cour du roi, l'évêque se savait appuyé par des amis à lui, des personnages, qui soutiendraient l'affaire quand elle serait en train ; il avait aussi pour lui les ennemis de son principal accusateur, Noffo Dei. Il semble que l'évêque de Meaux, Jean de Montrolles, un des principaux conseillers du roi, ait été, sinon son complice, du moins son auxiliaire et son intermédiaire dans. cette tentative secrète 2. On voit également que Guichard comptait sur l'entremise du cardinal Lemoine pour produire sa justification auprès de la reine 3.

C'est au commencement de l'été de 1303 qu'il fit le suprême effort qui devait « renverser et retourner tout le procès » machiné contre lui. Après Pâques, il envoya à Paris Regnaud, doyen de Saint-Urbain, et Pierre de Saint-Nizier, son procu

1. Dépos., II, 17, Pierre Barrière. Toutes ces machinations feraient croire à une intrigue de cour, peut-être à une lutte d'influences, dont en partie nous échappent et les détails et les causes et les acteurs.

p.

2. Ibid., Pierre Barrière, Pierre de S. Nizier. Nous avons vu plus haut, 10, que Guichard, étant abbé de Montier-la-Celle, s'était trouvé en rapports avec les évèques de Meaux, et que ces relations semblaient avoir été plus qu'officielles. L'év. de Meaux était alors Jean de Montrolles, ou Jean dit Minterole, ancien chantre de l'église de Bayeux, nommé par Boniface VIII évêque de Meaux le 3 octobre 1298 (Reg. de Boniface VIII, n° 2748), m. le 12 ou le 18 février 1303 (Gall, christ. VIII, 1632).

3. Ibid., Hugue Morsel; dépos., III, 7, Jean de Langres. Nous ignorons comment et à quel moment se nouèrent ces relations de Guichard avec le cardinal. Le cardinal Lemoine, envoyé alors par Boniface VIII auprès du roi pour tenter une conciliation, était Français d'origine et ami personnel du roi.

4. Ce Regnaud semble être le personnage indiqué par les auteurs du Gallia christiana comme étant, dès 1296, doyen de S. Urbain, mort le 29 nov. 1336. Le Gallia l'appelle Renatus de Columbé et dit qu'il fut chanoine de Troyes. Lalore mentionne en 1314-17 (Cartul. de Saint-Pierre, pp. XV, XVIII) un Renaud le Diable (Renaudus Diaboli) doyen de Saint-Urbain et chanoine de Troyes. Selon Méchin (Documents inéd. pour servir à l'histoire

reur 1: il s'agissait, les témoins recrutés et préparés, de les faire parvenir à frère Durand, le confesseur de la reine ou à la reine. elle-même par l'intermédiaire de l'évêque de Meaux 3. Le doyen s'était logé, pour rendre les relations plus faciles, dans une maison. de la Grand-Rue, près de celle de l'évêque1. L'affaire semblait marcher on vit un des témoins qui avaient autrefois déposé pour la reine, causer avec le cardinal, alors à Paris, en présence de l'évêque de Meaux et du doyen de Saint-Urbain. Mais les soupçons furent éveillés : la tentative de l'évêque vint aux oreilles de la reine, qui s'en montra très irritée 6.

La cause à ce moment n'était 'plus entre les mains du seul archevêque de Sens elle avait été portée devant l'official de Paris, assisté d'auditeurs à ce députés par mandement du roi 7 : Me André Porcheron 8, chanoine d'Arras, Pierre de Grès 9,

de la collégiale de Saint-Urbain, p. 104), le doyen Renauld de Colombiers fonda la chapelle Notre-Dame, donna plusieurs revenus à l'église et mourut en 1336. Ces trois noms s'appliquent vraisemblablement à un personnage unique, Regnaud ou Renaud de Coulommiers, celui-là même qui nous occupe. Sur les relations de Guichard avec Saint-Urbain, v. Lalore, Chartes de S. Urbain, p. 316.

1. Pierre était un des familiers de l'évêque : ancien notaire en l'officialité de Troyes, séparé de sa femme, puis « bigame », il n'en avait pas moins été ordonné par Guichard et bénéficié d'une cure (Dépos., III, 3).

2. C'était frère Durand de Champagne, de l'ordre des Mineurs, dit de Folesio ou de Froleyo dans les dépositions du grand procès. Voy, la notice de Léop. Delisle, Hist. litt., XXX, 302 et suiv.

3. Pierre de S. Nizier, Pierre Barrière, Hugue Morsel.

4. Pierre Barrière. Jean de Montrolles avait en effet une maison à Paris qu'il donna plus tard aux chanoines de Meaux (Gall, christ., VIII, 1632).

5. Hugue Morsel.

6. Frère Durand, Pierre Barrière, Guillaume Pastourel.

7. Richard, év. de Béziers, M° André Porcheron. Cf. Arch. Nat., J. 438, no 4, dépos. de Pierre de Villy.

8. Me André Porcheron (Pocheron, Poucheron, Percheron) : signalé comme étant du Parlement d'hiver 1310 (du Tillet, Recueil des rois de France, éd. 1618, p. 370); — du Parlement de 1315 (ibid., p. 371; cf. Ch.-V. Langlois, Textes relat. à l'hist. du Parlement, p. 178); membre de la Grand Chambre (ibid., p. 372); envoyé en Espagne, 1301 (Bibl. Nat., ms. lat.

9783, fol. 55, etc).

9. Pierre de Grès, chanoine et chantre de Paris (pourvu de sa prébende le

chantre de Paris, commissaires de l'archevêque de Sens; Robert de Fouilloy, chantre d'Amiens, Raoul Grosparmi 2, doyen d'Orléans, Richard Leneveu 3, archidiacre d'Auge, monseigneur Guillaume de Plaisians et Me Hélie de Maumont 5, avec Jean d'Orléans pour greffier.

Des témoins déférés devant les auditeurs déclarèrent que l'évêque avait essayé de les suborner pour les faire revenir sur leur premier témoignage; d'autres révélèrent que le doyen de Saint-Urbain, qui poursuivait l'affaire pour Guichard, avait, à Paris, en sa possession, des lettres où l'évêque s'obligeait à payer 2.000 livres à certains faux témoins 7. Le doyen, soit qu'il vît le danger, soit qu'il comprît enfin que l'évêque l'avait abusé en l'employant à produire des témoins achetés, quitta Paris 8; mais il fut poursuivi, et il n'était encore que dans les bois de

7 mars 1296: Reg. de Boniface VIII, no 4035), chancelier de Chartres, chanoine d'Auxerre, mais résidant à Paris (ibid., no 1468), était le frère de Jean de Grès, maréchal de France. C'était un juriste également versé dans le droit civil et le droit canon. Chancelier de Navarre, Brie et Champagne, il devint en 1308 évêque d'Auxerre; m. en 1325.

4. Me Robert de Fouilloy, signalé comme étant du Parlement postérieurement à 1307 (Ch.-V. Langlois, ouv. cit., p. 178); plus tard évêque d'Amiens, 1308.

2. Raoul Grosparmi, légiste distingué et clerc du roi (Gall. christ., VIII, 507), d'abord doyen d'Orléans (Reg. de Clément V, nos 376, 2383), devint évêque d'Orléans en 1308, m. le 18 sept. 1311 (Bibl. Nat., ms. lat. 9069, p. 93).

3. Richard Leneveu avait déjà été enquêteur dans l'affaire de Bernard Saisset; il devint évêque de Béziers, 15 déc. 1305 10 mai 1309. Voy. la notice de B. Hauréau, Hist. littér., XXVI, 539-551.

4. Sur Guillaume de Plaisians, v. E. Renan, Hist. lit., XXVII, 374; A. Henry, Guillaume de Plaisians, ministre de Philippe le Bel (Moyen âge, 1892, p. 32).

5. Me Hélie de Maumont, « nepos magistri Giraut », signalé au Parlement de 1298 (Ch.-V. Langlois, ouv. cit., p. 169). Il était chanoine de Bourges, et de plusieurs autres églises (Reg. de Boniface VIII, no 1774). Cf. Boutaric, Actes du Parlement de Paris, no 3144.

6. Jean d'Orléans, alors notaire en l'officialité de Paris, était en 1308 chanoine de Paris.

7. Dépos., II, 17, Richard, év. de Béziers, frère Durand.

8. Ibid., Pierre de S. Nizier, frère Durand.

Tournan quand il fut arrêté, avec Pierre de Saint-Nizier, par des sergents du Châtelet 1: on le conduisit dans la prison de l'évêque de Paris 2. Peu après, on le vit s'excuser auprès de la reine, disant qu'il n'avait rien su de la subornation des témoins 3. On arrêta encore d'autres agents de l'évêque, Me Pierre Barrière, Me Hugue Morsel et Gui de Cas, qui s'étaient employés à faire rétracter des témoignages, et qui déclarèrent, devant les auditeurs, qu'ils avaient reçu de Guichard des promesses et des présents, et qu'ils étaient convenus de mener l'affaire si des personnages de la cour du roi voulaient s'entremettre 5. Les lettres d'obligation de l'évêque vis-à-vis d'eux, dont le doyen était porteur, furent exhibées en manière de preuve 6, et il fut patent par cette enquête que l'évêque avait corrompu des témoins pour chercher à se disculper 7.

1. Pierre de S. Nizier. (Tournan, con et arr. de Melun).

2. Ibid., Pierre de S. Nizier, Frère Durand.

3. Ibid., Frère Durand.

4. Sur le rôle joué par ces personnages, v. les dépositions de Pierre de S. Nizier, Pierre Barrière, Hugue Morsel. Ce Pierre Barrière, qualifié dans les dépositions du grand procès: Me Pierre Barrière, de Périgueux, clerc, est vraisemblablement le même que celui qu'on trouve dans les Tablettes de cire à l'année 1308 (Histor. de Fr., XXII, 561-62) : « magister « P. Barrerii ou Barrerius, notarius ». Faut-il les identifier avec « magister << Petrus Barrerrie », pricur séculier de l'église de S. Girons, au dioc. de Conserans, chapelain de Clément V, que le pape substitue le 6 juin 1311 à Pierre, doyen du Mans, dans l'administration des biens du Temple (Reg. de Clément V, no 7522); chanoine et trésorier de l'église de Noyon, 1313 (ibid., no 8958); nommé chanoine de Bourges, 30 déc. 1312, en considération du roi de France, nonobstant qu'il fût déjà pourvu de canonicats à Saint-Honoré de Paris, à Saint-Ursin de Bourges, à Notre-Dame de Melun, etc., et qu'il eût d'autres prébendes en expectative (ibid., no 9169) ?

Me Hugue Morsel, prêtre; les dépositions ne le font pas connaître autrement.

Gui de Cas (Guido Cassi) était un Lombard qu'il faut peut-être identifier avec un Pazzi. Voy. C. Piton, Les Lombards en France, pp. 132, 138. 5. Dépos., II, 17, Pierre Barrière, Richard, év. de Béziers.

6. Ibid., Richard, év. de Béziers.

7. Arch. Nat., J. 438, no 4, dépos. de Pierre de Villy. L'enquête était en 1308, au moment du grand procès, entre les mains de l'évêque de Meaux, alors Simon Festu, l'ex-archidiacre de Vendôme, qui avait pour

Mem, et Doc. de l'Ec. des Chartes.

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