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Pour ce qu'il est ses congnoissans
Et qu'en Champaigne fu naissans.
Certes moult grant honneur lui vint
Quant [de] moisne evesque devint.
Tousjours bonheur y lui courut
Jusques la royne morut,

Jhenne de France couronnée
Et qui fu de Champaigne née,
Femme du roy Philipe le Bel.
De sa mort ne fu pas revel

Quant honneur deust Champaigne avoir
Quant elle perdi ung tel hoir.
Champegnoise et Champaigne ama.

Male semence cil sema

Qui celle dame a la mort mist,
Car pour vray, se elle vesquist,
Bourguignons pour riens ne fesissent,
En Champaigne riens ne tenissent,
Ne point n'y oseroient acquerre
Chateau, seignourie ne terre 2....
Jusqu'a ce jour qu'elle morut.
Bonheur sur cellui 3 courut :
Lui morte, ceulx qui le hairent
De lui grande malichon dirent,
Sur lui mirent moult d'acoisons,
Murdres, bougueries, poisons,

Qu'il n'avoit point esté filz d'home,
Pluseurs dolleurs que je ne nomme.
Qui plus controuver en pooit

Cil plus volentiers en ooit '.

1. Tout ce passage est encore supprimé dans Tarbé, jusqu'à :

Sur lui mirent moult d'acoisons.

fo 60

2. Ceci montre assez combien l'influence de la reine était restée grande en Champagne même après la réunion à la couronne.

3. Le poète revient à Guichard. Tarbé ajoute ici :

Puis avint il qu'on anorta
(Cil qui queroient son annui)
Le roi de France encontre lui.

4. Et plus voulentiers l'en looit.

Prins fu et moult vilment mené,

De parole et de fait pené :

A Paris fu mis en prison.

On lui metoit sus traison 1,

Tous cas vilains, tous cas obscurs,
Dont en la fin fut trouvé purs.
Articles ot et audicteurs;
Chascun fu ses persecuteurs 2;
Tesmoingz y ot plus d'un millier.
Chascun tendoit a 3 lui pillier.
Trestoudis lui aidoit son sens 1.
Livré fu l'archevesque a Sens,
Qui en sa fort prison le mist
Tant que le pappe le requist,
Et ses articles et ses fais,
Pour pugnir selon ses meffais :
Lors fut il a Romme envoyé,
De bonnes gardes bien loyé :
La n'eust il mais son bonheur,
Et si fu petit asseur 6 :
Car le Roy estoit son contraire
Jusqu'a la vye du corpz traire,
Et l'Apostole le heeoit.
Qui a condempner le beeoit.
Peu estoient gens qui ne deissent,
Qui de ses fais parler oyssent".

Mais quant le pappe ot veus

Ses fais, et ses escripz leus,

1. Notre ms. renverse l'ordre de ces deux vers; nous le rétablissons comme dans Tarbé.

2. Tuit furent si persécuteurs.

3. Courroit pour.

4. Et tousjours li duroit ses senz.

5. S'agit-il du premier emprisonnement de l'évêque (août 1308), - ou bien Guichard, relàché par le roi pour être envoyé au pape, fut-il remis à la garde de l'archevêque, son métropolitain? Nous croyons plutôt à cette seconde hypothèse, mais la date n'en reste pas moins très incertaine. 6. Ne il ne fu point asseur.

7.

N'il n'estoit nulz qui ne l'haïst,
Qui de telz fais parler oïst.

8. Nous rétablissons : veus et leus comme dans Tarbé.

Et tout le depost des tesmoingz,
Plus l'ama' et l'en hay moins.
Si fu il en fort prison mis,
Mais toudis fu Dieu ses amis,

N'oncquez son anel ne vault rendre,
N'aultre eveschié il ne vaul prendre,
Combien que une on lui donna
Qui est es terres 2 par
2 dela 3
Mais ne l'acheta ne retint',
Ne n'en rechut ne quart ne quint.
Mais le pappe qui poeult sur droit,
Qui la foy ayme moult et croit,
Pour obeyr à sa priere
Donna ce qui a Guichart yere
A ung
sien clerc son eveschié.
Or garde bien s'il fist pechié :
Jehan ot nom, mais peu le tint,
En son temps a Troyez ne vint,
Jusques la mort sus lui courut 6.
Et Guichard en cel an morut :
Tous deux a Saint Pierre enfouis 7.
Bien fu Guichart par eur 8 mis
De bas en hault, de hault en bas.
Tel heur ne me laisse pas 9.

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Honneur ay eu: or suis meschans,
Sur trestous hommes mal seans.
Se Guichart voulsist ou daignast
Qu'avecques lui m'acompaignast,
Bien peusiesmes d'un livre lire
Qu'on apelle de mal em pire.

Ce fut l'opinion que la tradition perpétua dans l'église de Troyes sur l'évêque Guichard. L'auteur d'une histoire manuscrite de l'abbaye de Montier-la-Celle, au XVIe siècle, s'attendrit sur l'infortune de Guichard : « Dieu voulant faire paroistre de nou

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veau l'innocence persequtée de l'ancien Joseph en ce véné«rable prélat (quoy qu'en chose différente), permit qu'il fut « emprisonné sur un soubson mal fondé... Mais Dieu l'assista <«<dans la fraude de ceux qui le vouloient tromper... 1» Des Guerrois prend un ton semblable pour en parler : « A la vérité, ce << Guichard estoit un bon evesque, mais il avoit quelques domestiques qui firent un peu de grabuge, et n'y a eu evesque qui ait «tant souffert... : vous le verrez ci après et en aurez compas«<sion... 2 »

((

De nos jours, on a voulu voir dans l'affaire de Guichard un procès politique. Boissy d'Anglas3, remarquant que le procès de Guichard avait beaucoup de ressemblance avec celui des Templiers dans sa marche et dans ses formes, ajoute dans son objet, et dit : « On pourrait présumer que Guichard encourut << la haine du roi en se prononçant ouvertement comme il le fit « pour le pape, et en se rendant à Rome ainsi que plusieurs évêques de France pour assister à un concile convoqué par << Boniface dans lequel on devait condamner Philippe; » propos du dénouement : « le roi n'ayant plus à craindre Boni

((

1. Arch. départ. Aube, 7 II. 397 bis, fol. 14.

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et, à

2. Nicolas des Guerrois, Vies des évêques de Troyes (dans La Sainteté Chrétienne, du même), Troyes, 1637, in-4o, fol. 365-66.

3. Boissy d'Anglas, Mémoire sur le procès de Guichard, évêque de Troyes (Mém. Acad. Inscript, et Belles-Lettres, 1822, VI, pp. 604, 606, 618.

« face ni l'effet de ses prétentions, put renoncer à faire pro<«<noncer une condamnation politique qui avait cessé de lui « paraître utile. »

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Boutiot, après Boissy d'Anglas, a affirmé que le procès de Guichard avait été le contre-coup de sa conduite dans la querelle de Philippe le Bel et de Boniface VIII, que « le roi n'avait pas « pardonné à l'évêque son ultramontanisme déclaré1. »

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Mais si Guichard fut au nombre des prélats qui se rendirent à Rome sur la convocation de Boniface VIII, si des agents du pape furent arrêtés à Troyes au moment le plus critique du différend, on n'en peut conclure que l'évêque fut « un adversaire avoué de la politique du roi » : on n'en a pas en tout cas de preuve directe, et d'ailleurs rien ne laisse soupçonner qu'il ait été poursuivi de ce chef.

contre

Le véritable et premier motif de son procès est plus intime. Avant l'arrestation des agents du pape à Troyes, avant que l'évêque même n'allât à Rome, s'il y alla jamais, lui déjà des haines étaient amassées, un procès accablant se trouvait entamé, qui dura quatre ans et fut mal étouffé. Le grand procès de 1308 ne fut qu'une reprise, sur fond nouveau, des premières accusations, et ceux qui soutinrent cette deuxième action avaient été, dans la première, les adversaires les plus acharnés de Guichard. Ce procès n'était que la suite, la complication de l'affaire, d'abord toute personnelle, de Jean de Calais ; les haines n'en devaient être que plus vives, et l'on ne peut s'étonner qu'elles se soient transmises de la mère à la fille et au petit-fils.

Que des griefs politiques se soient greffés sur cette intrigue de cour et soient venus, sourdement, aggraver l'accusation, rien de plus vraisemblable: l'évêque, persécuté par la cour, put être soupçonné d'incliner naturellement du côté adverse. Mais la chose n'est rien moins que certaine. On supposerait plus aisément que Guichard eut contre lui, pour achever sa disgrâce, les rancunes et les jalousies de la cour, tous ceux, clercs ou seigneurs, qu'il

1. Boutiot, Hist. de Troyes, II, 9-10, 17.

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