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retour. On chercha à lui faire résigner son évêché, mais Guichard s'obstina,

N'oncques son anel ne vault rendre 2.

A la demande d'Enguerrand de Marigny 3, le pape le transféra à un autre siège pendant qu'il nommait à l'évêché de Troyes, sur la prière du roi de France, Jean d'Auxois, chantre d'Orléans. Le chroniqueur ne dit point que l'instance d'Enguerrand fût favorable à Guichard. Il semblerait plutôt qu'Enguerrand, qui avait procédé pour la reine à l'inventaire des biens.

1. Après la mort de Jeanne de Navarre, la Champagne avait été de nouveau détachée de la couronne, comme héritage de son fils aîné, Louis le Hutin, celui qui avait poursuivi l'évêque. Le roi de Navarre avait un caractère jeune et même enfantin (admodum puerilis : Contin. de Girard de Frachet, Histor. de Fr., XXI, 35); il était aussi, comme son père, trop enclin à écouter ses conseillers :

2. Voy. p. 234.

Car trop légèrement il crut...

(Geffroi de Paris, Histor. de Fr., XXII, 164).

3. Jean de S. Victor (ibid., XXI, 644).

« aliam sedem ad instantiam Enjorenni.

(( per papam translatus est ad Enguerrand passait pour très

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puissant auprès du pape, si l'on en croit Geffroi de Paris, et Clément V l'avait comblé de faveurs :

Arcevesques, évesques fist

Qui po avoient de science,

Car il avait en s'ordenance

Roys et royaus et apostoille, etc.

Et plus loin, XXII, 150:

Ce fu cil qui fist cardonnaus,

(Ibid., XXII, 143).

Et si le pape tint en ses las

Que de petitz clercs fist prélas.

Cf. Reg. de Clément V, passim, et partic. à l'année 1309, les nombreuses faveurs accordées par le pape à Enguerrand et aux siens (nos 4537 et suiv.) Cf. encore aux années 1312-1313.

4. Jean d'Auxois, chantre d'Orléans, chanoine d'Autun et d'Auxerre (Gall. christ., XII, 510; Reg. de Clément V, no 2851), avait été en 1308 élu, concurremment avec Pierre de Grès, évêque d'Auxerre; mais Clément V avait cassé l'élection. C'était un clerc du roi et sa nomination à l'évêché de Troyes fut faite cette fois par provision pontificale (14 mars 1314). Voy. la suite.

de l'évêque en 1303 1, et qui l'avait chargé au cours du premier procès 2, qui devait, dans le second, prouver que Guichard était parjure 3, - lui fût hostile. La situation du nouvel évêché où on voulut l'envoyer, la répugnance de l'évêque pour son nouveau siège prouverait en faveur de cette opinion.

Guichard fut en effet transféré au siège de Diakovar, en Bosnie, presque aux confins de la chrétienté, en pays slave, à moitié barbare 5. La nomination fut faite entre le 23 janvier 1314, date à laquelle Clément V accepte la résignation de son prédécesseur en Bosnie 6, et le 14 mars 1314, date à laquelle le pape nomme par provision Jean d'Auxois au siège de Troyes, vacant. par la translation de Guichard à l'église de Bosnie 7.

1. V. p. 28.

2. Dép. II, 26. Frère Durand. Enguerrand avait dit à la reine que Guichard s'était concerté avec un juif pour qu'un diable lui apparût.

3. On comptait sur lui pour le prouver, J. 438, no 5, art. VII. En 1308, il avait entre ses mains l'enquête faite sur le meurtre du curé de Laubressel (J. 438, no 4. Pierre de Villy).

4. J. Launoi (Regii Navarrae gymnasii Paris. historia, p. 14) va même jusqu'à penser, sur cette simple apparence, que ce fut Enguerrand qui suscita le procès de Guichard : « Ad me quod attinet, ego vehementer sus«< picor Marinium odisse Trecensem episcopum et tali usum esse artificio «< ut acceptam ab eo injuriam ulcisceretur... » Nous pouvons croire du moins qu'Enguerrand fut un des ennemis de Guichard.

5. Le pays était alors couvert de forêts, les hommes encore à moitié sauvages (Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Albigeois, I, p. 104 et suiv).

6. Reg. de Clément V, no 10192. « Dilecto filio fratri Gregorio, ordinis Heremitarum Sancti Augustini, olim episcopo Boznensi seu de Diaco..... Dat. Montiliis, Carpentoratensis diocesis, X kal. februarii anno nono. »

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7. Ibid., no 10302 (Reg. Vatican, 61, fol. 63 vo, no 205) : « Nuper siqui<< dem Trecensis ecclesia per translationem venerabilis fratris nostri Gui«<chardi, Bosnensis, olim Trecensis episcopi, per nos factam ad ecclesiam « Bosnensem, tunc vacantem, pastoris solatio destituta, nos ad provisionem ejusdem Trecensis ecclesie, cum de ipsius ordinatione nullus preter «nos se intromittere potuerit, pro eo quod nos... provisiones omnium « ecclesiarum cathedralium tunc apud apostolicam sedem vacantium... dispositioni nostre ac sedis ejusdem specialiter reservantes... » Cf. Gams, Series episcoporum, p. 368 : « Bosnia (Diacovar, de Diaco): circiter 1314. « Guiscardus. » Gams semble ignorer que ce « Guiscardus » soit le même que Guichard, évêque de Troyes. Personne d'ailleurs jusqu'ici n'avait su ce

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L'église de Bosnie, qui avait pour siège Diakovar, était suffragante de l'archevêché de Colocza 1, et dans la dépendance du royaume de Hongrie; mais la Bosnie était en quelque sorte indépendante avec des « bans » ou chefs militaires à sa tête 2 : elle n'en était que plus troublée, et la situation des chrétiens dans ce pays était au moins précaire. Une lettre de Jean XXII au roi de Hongrie montre qu'il n'y avait guère alors de sécurité dans ce royaume pour les églises et le clergé 3. Le pays était à peine chrétien. Le même pape, écrivant le 18 juillet 1319 à Mladin, ban de Croatie et de Bosnie, pour qu'il réprimât les hérétiques de Bosnie, disait : « Nous n'avons pas sans grande douleur appris

qu'était devenu Guichard à la suite de son procès. Jean de S. Victor dit seulement qu'on le transféra sur un autre siège, et les historiens troyens rapportaient, sans doute par une fausse interprétation du texte du Gallia, qu'il était mort et qu'il avait été enterré dans la ville de Bône ou de Beaune. Guichard ne fut d'ailleurs pas enterré en Bosnie, s'il y mourut. Voy. p. 234.

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La nomination de Jean d'Auxois au siège de Troyes « par provision montre que Guichard se trouvait à la cour pontificale quand la vacance fut déclarée.

1. Theiner, Vetera monum. historica Hungariam sacram illustrantia, I, 451 (no DCLXXXVIII). — Diakovar est aujourd'hui une petite ville entre Drave et Save, à une cinquantaine de kilomètres du confluent de la Drave et du Danube, à 40 kilomètres environ d'Eszek (Osjek).

2. Schwandtner, Scriptores rerum Hungaricarum, III, 412.

3. Theiner, ibid., p. 457. « Ecclesias et personas ecclesiasticas regni tui <«< habebis, ut condecet, in honore, ab eorum gravaminibus et oppressioni<«< bus quibus in partibus illis multipliciter impeti et enormiter molestari « feruntur, nedum penitus temporalibus, quin etiam eis adversus quoslibet << opprimentes et gravantes easdem in libertatibus suis et juribus, efficaci «< presidio regie tuicionis assistes, ac illas in suis bonis, possessionibus, << rebus et juribus manutenere curabis. >> (7 juillet 1317).

4. Schwandtner, ibid., liv. IV, ch. 13. Mladin était lui-même un protecteur des hérétiques (Schmidt, ouv. cit., I, 125), et la Bosnie avait été au XIII° siècle un des foyers du catharisme. Boniface VIII y avait porté l'inquisition en 1299.

5. Theiner, ibid., p. 463 « Sepe namque non absque gravi turbatione men«<tis relatione fide digna percepimus quod terra Bosnensis ejusque patria, <«< hereticorum ob rectorum negligentiam longo tempore ibidem degentium << tanta sit infidelitatis labe polluta, quod ibi desolentur ecclesie, clericalis << ordo sit extirpatus radicitus et Christi sacra irrisione pestifera con«< culcentur, non ibi crucis reverentia... non vivifici sacramenti commu«nio, ipsius etiam baptismi nomen in plerisque partibus ignoretur a genti<< bus.... >>

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que la terre de Bosnie, par la négligence des prètres hérésiarques qui y sont installés depuis longtemps, est à ce point souillée de la peste infidèle, qu'on y voit les églises désolées, l'ordre du clergé entièrement déraciné : les choses sacrées du Christ y sont l'objet d'une dérision sacrilège, on n'y respecte plus la croix, on n'y croit plus au vivifiant sacrement de la communion, et le nom même du baptême est presque partout ignoré des peuples 1.

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Le clergé lui-même, dans ce milieu d'inconvertis et d'hérétiques, laissait tomber sa foi et son orthodoxie2.

C'est là que fut transféré Guichard : il est difficile de croire que la requête de Marigny lui fût favorable. L'évêque d'ailleurs n'aurait pas accepté sa nomination :

N'aultre eveschié il ne vaul prendre,
Combien que une on lui donna
Qui est es terres par dela:

Mais ne l'accepta ne ne tint,

Ne n'en rechut ne quart ne quint 3.

S'il occupa jamais son nouveau siège, il ne tarda pas à le résigner. Il mourut peu après, le 22 janvier 13175.

1. Cf. Theiner, ibid., p. 436 (Du registre de la collecte faite en Hongrie dans les bénéfices vacants: 1317): « In civitate et diocesi Boxinensi, nichil « vacavit quod ascenderet ultra VI marchas.... quia illa civitas et diocesis <«< ejus sunt prope scismaticos et sunt quasi destructe. »

2. Ibid., p. 458. Lettre de Jean XXII au roi de Hongrie : « Inter cetera «quibus in Strigoniensi provincia decor ecclesie dehonestatus esse dinos<«< citur, pudicicie lapsus graviter deploratur, dum ecclesiastici viri, eciam «< sacerdotes, servituti carnis expositi et motum sequentes ipsius, concubi<< nas, ymmo foccarias tenere publice non verentur. » (10 juillet 1317). 3. Voy. p. 234.

4. Theiner, ibid., pp. 458-59. Le 3 juillet 1317, Jean XXII nomme, par provision, Pierre évêque de Bosnie : «Olim siquidem bone memorie Guiczardo, <«< tunc Bosnensi episcopo, regimen Bosniensis ecclesie, cui tunc preerat, <«< in manibus nostris sponte et libere resignante, nos hujusmodi resigna«tione admissa... » Cf. Gams, Series episcopor., pp. 368-69.

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5. Contin. de la Chron. de Guill. de Nangis (Histor. de France, XX, 617): « Decesserunt etiam Guichardus, quondam Trecensis episcopus, et Johannes, quondam cantor Aurelianensis, qui in episcopatu Trecensi suc

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Mém, et doc. de l'Éc. des Chartes.

13

Il n'est guère probable qu'après sa résignation Guichard soit resté en Bosnie, — s'il y alla jamais, — et qu'il y ait été enterré, comme le pensent les auteurs du Gallia christiana 1. D'après une autre version plus vraisemblable, il fut enterré à SaintPierre, son ancienne église cathédrale, avec Jean d'Auxois, ce clerc du roi que le pape avait nommé pour lui succéder à l'évêché de Troyes, et qui mourut en même temps que Guichard, sans avoir même occupé son siège 2.

«< cesserat, ipso die consecrationis sue. » La mort de Jean d'Auxois est rapportée par le Gallia christ. (XII, 510) au 9 janvier 1317. Mais la mort de Guichard est rapportée au 22 janvier dans le nécrologe de l'église de Troyes (Camuzat, ouv. cit., fol. 196). Cf. Arch. dép. Aube, G. 2576 (liasse): « 17 janvier : Ce jour 1313 mourut l'évesque Guichard... Il est au nombre <«<< des bienfaiteurs; il donna pour son anniversaire les coutumes de Pouilly... «Et les exécuteurs de son testament donnèrent encore 100 livres tour« nois... >> (Lalore, Collect. des princip. obituaires du diocèse de Troyes, p. 82). Cf. Bibl. de Troyes, ms. 2605 : 13 janvier (Lalore, ibid., p. 418). Voy. encore Lalore, ibid. (obit. de Saint-Pierre, p. 18) : l'évêque Guichard figure dans les « Recommandises qui se faisaient tous les dimanches à la «cathédrale de Troyes devant la chapelle Saint-Sauveur après la proces«sion » (d'ap. un ms, du xive siècle de la Bibl. de Troyes.)

1. XII, 309: « terrae mandatus in ecclesia Bosniae. »

2. Voy. p. 234: « Tous deux a Saint-Pierre enfouis. » Il s'agit bien de la cathédrale de Troyes : c'est là en effet que fut enterré Jean d'Auxois, en face du grand autel (Gall. christ., XII, 511). Les tombes existaient encore au siècle dernier elles furent enlevées quand le chœur fut pavé en marbre (Courtalon, ouv. cit., I, pp. 363 et 368).

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