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somme très restreinte 1. Les charges les plus accablantes pour l'évêque viennent d'une vingtaine de personnes à peine, parmi lesquelles figurent six Lombards, et portent sur certains articles d'une gravité particulière, l'envoûtement de la reine de France, l'empoisonnement de la reine de Navarre et l'affaire de Jean de Calais. On ne connaît pas assez les témoins, ni quelles furent leurs relations avec l'évêque, pour juger de la valeur de leurs dépositions mais il y en a de fort suspectes, particulièrement celles des Italiens 2; et certains de ces témoignages à tendance hostile ne sont pas toujours en accord les uns avec les autres 3. Toutefois, si des témoins furent achetés, on ne saurait dire, quoi que la suite dût prouver, - que les accusations portées contre l'évêque fussent de pure tendance, qu'elles ne fussent point fondées. Dans les dépositions même les plus suspectes, on trouve des traits naïfs, des longueurs, des détails, une allure du récit qui donne aux faits rapportés toute la saveur de la véracité, et fait croire que les faits purent être exagérés, dénaturés, faussés par la complaisance ou par la haine, mais qu'au fond, l'évêque avait donné prise à presque tous ces griefs.

1. Voici les témoins qui chargent le plus gravement: Angelo Bartholomei, Bianco Baldoyni, Giacopo Aringi, Jean de Trainel, Guillaume Pastourel, Girard de Vauchassis, Jean Margot, Manessier, curé de Corfélix, Étienne, prieur de S. Ayoul, Jean Garnier le jeune, Pierre de S. Nizier, Renier Jean, Pierre Barrière, Niccolo de San Miniato, Gentile de Ficeclo (ou Phisseclo).

2. Bianco Baldoyni, Giacopo Aringi, Jean Margot, Gentile de Ficeclo, Niccolo de San Miniato.

3. Voy. particulièrement les dépositions des Italiens relatives à l'empoisonnement de la reine de Navarre (Dépos., II, 22). — Le rôle des Lombards dans l'histoire de Guichard reste fort obscur. On les rencontre partout: ils sont tantôt ses amis secrets, tantôt ses adversaires déclarés. Des individus comme Tenaille, des sociétés comme les Pulci sont compromis avec l'évêque dans l'affaire de Jean de Calais; d'autre part c'est par eux que Guichard est le plus gravement chargé. Ces gens d'affaires, ces financiers, dont quelques-uns, comme messeigneurs Biche et Mouche, étaient de grands personnages qui obligeaient le roi, étaient en somme suspects, et l'on sait qu'en 1311, tous les Lombards du royaume furent arrêtés.

CHAPITRE XI

FIN DE L'ENQUÊTE ET DÉNOUEMENT DU PROCÈS

Devant un pareil entassement de preuves, - quelle qu'en fût la valeur, l'évêque, privé de moyens matériels de défense, de sa liberté d'action, de l'appui moral du pape complaisant qui l'abandonnait, allait se trouver accablé, incapable de contrôler tous ces dires et de les redresser, réduit à faire au procès une opposition de forme, comme s'il eût dédaigné, enfermé dans sa dignité de prélat, de répondre aux griefs qu'on lui imputait.

Essaya-t-il, comme on le lui offrait, ou plutôt comme on le lui permettait, de prendre connaissance de tous ces témoignages afin d'y pouvoir répondre? La faculté laissée à l'évêque n'était qu'illusoire, puisqu'il n'avait pu avoir communication du procèsverbal des dépositions et qu'on ne lui avait fourni que les noms des témoins avec l'indication de leur domicile. Il ne semble pas que Guichard ait comparu à la date du 17 juin, qu'on lui avait assignée à cet effet 1. D'ailleurs, c'est le 2 octobre seulement que furent produits les deux derniers témoins2. Quand ils eurent déposé, on demanda au procureur de l'évêque, qui le représentait, s'il avait quelque chose à dire contre eux : il répondit que oui, et demanda aux commissaires ecclésiastiques d'accorder à l'évêque un autre délai, parce qu'avec celui qu'on lui avait donné, son procureur et ses autres conseillers ne pouvaient avoir accès. auprès de lui pour savoir ce qu'il entendait opposer aux témoins.

Les évêques se déclarèrent prêts à entendre ce que le procureur voudrait dire contre les témoins et à admettre ses protesta

1. Arch. Nat., J. 438, no 7.

2. Ibid., c'étaient Jean de Hancy et Jean de Viaspres.

tions, protestant pour leur part qu'il ne tenait pas à eux qu'on ne procédât en cette affaire. Avec le consentement du procureur et sur sa demande, ils assignèrent l'évêque à comparaître devant eux à Paris pour le mercredi 3 décembre, afin de répondre, en second lieu et sans délai, aux dépositions des témoins après, on procéderait définitivement selon que droit serait.

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Le 3 décembre, l'évêque comparut à Sainte-Geneviève, mais l'évêque d'Orléans étant malade, la procédure fut reportée au 12 décembre, puis au 13. Ce jour-là, l'évêque comparut en personne avec ses avocats et son procureur. Il fit exposer par ses conseillers que, du jour où il avait été pris, il avait été dépouillé par Guillaume de Hangest, bailli de Sens, et se trouvait encore privé de tous ses biens temporels et de la majeure partie de ses biens mobiliers : qu'en conséquence il n'avait pas de quoi se défendre et ne pouvait faire avancer ce qu'il voulait contre les témoins 2; que, dans le cas où il voudrait avancer quoi que ce fût, il ne pourrait trouver de témoins qui osassent déposer pour lui la vérité. Il fit ajouter que, même s'il avait la faculté de répondre aux témoins, néanmoins, attendu qu'il ne pouvait avoir copie de leurs dépositions, il ne voulait rien avancer contre eux. Il supplia les évêques de lui faire, s'ils le pouvaient, restituer ses biens et de lui fournir la copie des dépositions. Les prélats lui demandèrent s'il avait été privé de ses biens avant le jour à lui assigné pour répondre aux témoins : il l'affirma, et dit qu'il s'en trouvait encore dépouillé à cette heure. Il demanda enfin aux commissaires de faire remettre l'enquête au pape avec ses protestations, déclarant une dernière fois que

1. «... Ipse episcopus, a tempore captionis ipsius episcopi, nudatus. « fuerat et adhuc erat omnibus bonis suis temporalibus et majori parte <«<< bonorum suorum mobilium per Guillelmum de Hangesto, baillivum «Senonensem, ita quod ipse episcopus non haberet unde posset se deffen«dere nec proponi facere ea que vellet dicere contra dictos testes, ac si aliquid proponeret, non posset habere aliquos testes qui ausi essent << deponere veritatem pro dicto episcopo ad reprobationem dictorum << testium contra ipsum episcopum productorum ». Cf. p. justif., no XV. 2. Cf. Dupuy, ouv. cit., p. 651, les protestations de Bernard Saisset.

lorsqu'il aurait la copie des dépositions, il y répondrait devant le juge qui les lui aurait fournies. On lui répliqua encore qu'on ne pouvait les lui communiquer, et, qu'ayant accepté le jour à lui assigné pour répondre, il ne serait plus admis à le faire à l'avenir. Une dernière fois on lui offrit de recevoir tout ce qu'il aurait à dire contre les témoins pour qu'on pût envoyer au pape une enquête plus complète1.

L'enquête était close: elle avait duré près d'un an et demi. Cependant l'évêque restait étroitement gardé dans la prison du Louvre, contre le privilège de clergie. On lui avait donné, comme garde de sa personne, sans doute pour sauver l'apparence du droit et pour atténuer la rigueur du procédé, un ecclésiastique, Me Denis, doyen de Sens, chapelain du roi2: c'était le doyen qui, à chaque citation, amenait Guichard devant les prélats enquêteurs.

Le roi, par la mainmise sur le temporel de l'évêché, avait privé Guichard de ses revenus 3; mais l'évêque, quoique emprisonné, n'en gardait pas moins les droits attachés à son office spirituel il restait en communications avec le clergé pour les affaires ecclésiastiques. Le 5 avril 1310, il nommait un curé à la paroisse de Pel-et-Der; le 4 juin, il obligeait, par un autre acte,

:

1. Tous ces renseignements sont tirés du rouleau, Arch. Nat., J. 438, n° 7.

2. Me Denis, doyen de Sens, appelé Denis de Sens, clerc du roi, son chapelain, il fut pourvu, après la résignation de Simon Festu, devenu en 1308 évêque de Meaux, du doyenné de Sens, et malgré les réclamations de Thomas de Varesio, chanoine de Sens, fut confirmé dans cette place par Clément V en considération du roi, 30 août 1309 (Reg. de Clément V, no 4541). Le 7 sept. 1311, le pape l'autorisait à cumuler un autre office avec son doyenné et les prébendes canoniales dont il jouissait dans les églises de Reims et d'Auxerre (ibid., no 7326). C'était un juriste distingué. Il est signalé comme faisant partie du Parlement postérieurement à 1307 (Ch. V. Langlois, Textes relatifs à l'histoire du Parlement, p. 178); comme siégeant aux Grands Jours de Troyes (ibid., p. 180). Il fut exécuteur testamentaire du roi (déc. 1314); mort en 1324 (Gall. Christ., XII, 111). 3. Voy. plus haut, p. 60, et p. justif., no XV.

4. Arch. départ. Aube, G. 776 (p. justif., n° XIX). Brienne-le-Château.

Pel-et-Der, con de

les chapelains de Notre-Dame-aux-Nonnains à remplir leur office; le 15 juillet 1311, l'évêque de Chartres lui mandait de la part de l'archevêque de Sens de convoquer les chapitres, abbés et prieurs de son diocèse pour un concile provincial qui devait être tenu à Paris à l'Assomption?; enfin, Guichard encourut l'excommunication de son métropolitain, l'archevêque de Sens, pour ne s'être point rendu au concile 3. Il semble qu'on ait quelque temps privé l'évêque de son sceau: il ne pouvait en faire usage quand il nomma, le 5 avril 1310, un curé à la paroisse de Pel-et-Der, et dut faire mettre aux lettres de nomination le sceau de l'official de Paris. Mais cette faculté lui fut bientôt rendue, car l'acte du 4 juin suivant est donné sous son sceau 5.

L'enquête était achevée depuis six mois et l'année 1310 était à moitié écoulée : l'affaire restait pendante. Le pape, à qui revenait de droit le jugement du procès, inquiet de la lenteur de cette procédure, intervint. Le 18 juillet 1310, il adressait du prieuré de Groseau une lettre aux prélats enquêteurs.

<«< L'information par vous faite étant depuis longtemps close, à ce que l'on dit, nous mandons à Votre Fraternité de nous envoyer l'évêque de Troyes, et, avec lui, ladite enquête, enfermée sous vos sceaux, si elle est achevée; de nous faire parvenir l'évêque sous bonne garde pour le recevoir selon qu'il le mérite; et, s'il était nécessaire, nous vous enjoignons d'aller trouver notre très cher fils en Christ, Philippe, roi de France, pour lui parler à ce sujet ... >>

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Que se passait-il à Paris? Le roi, ne voulant pas se dessaisir

1. Lalore, Documents relatifs à l'abbaye de Notre-Dame-aux-Nonnains, pp. 139-140. La lettre de l'évêque est adressée à Me Barthélemy, «< sigillifero nostro curie nostre Trecensis. »

2. Lebeuf, Hist. d'Auxerre, II, 295, col. 2.

des diplômes, VIII, 197.

3. Reg. de Clément V, no 9154.

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Bréquigny, Table chronol.

4. Arch. départ. Aube, G. 776 (p. justif., no XIX).

5. Lalore, ouv. cit., p. 140.

6. Reg. de Clément V, no 5509.

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