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pas de jouer plus longtemps un rôle à la cour et dans l'administration. Une affaire scandaleuse vint tout à coup mettre fin à sa fortune.

CHAPITRE III

AFFAIRE DE JEAN DE CALAIS

Jean de Calais, chanoine de Saint-Étienne de Troyes, avait été, du temps d'Edmond de Lancastre, trésorier du comte. Depuis le départ du prince anglais (1294) 1, il était resté receveur particulier des revenus de la reine douairière en Champagne 2.

Ayant « malicieusement » soustrait à la reine Blanche et à son mari de nombreux biens qui devaient revenir à la reine après la

1. Edmond de Lancastre prit congé du roi de France lors de la guerre de Gascogne (Chron. anonyme, Histor. de France, XXI, 133).

2. Arch. Nat., J. 438, nos 1 et 2. Jean de Calais eut-il proprement la charge de receveur de Champagne? Il y en avait toujours deux en fonctions, un laïc et un ecclésiastique. A Renier Accorre qui en tint l'emploi comme laïc jusque dans les premières années de Philippe le Bel, M. d'Arbois de Jubainville ne connaît que deux collègues ecclésiastiques, le clerc Jacques d'Ervy et Gui de Launois, sous-doyen de Saint-Étienne de Troyes (our. cit., IV, 465-72). Si Jean de Calais eut cette fonction au temps d'Edmond, il semble qu'après le départ du comte il ait été plus particulièrement comptable du douaire de la reine Blanche (Dépos., II, 17: Richard Potier le qualifie de « receptor reddituum regine Navarre in Campania »). Ailleurs, on le nomme simplement : « trésorier de la reine de Navarre ». Cf. Bibl. Nat., ms. lat. 9783, fol. 79 vo, un compte du 15 juillet 1298: « Mater regine, << domina Blancha, pro denariis in quibus rex tenebatur ei pro quadam fidejussione quam dominus Edmundus quondam, maritus suus, fecit pro « rege erga Renerum de Salviamanyer de Florencia, II 1. t. coñt. per <«< dominum Johannem Monachi et Johannem de Calesio, super regem... »

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mort du comte 1, le chanoine trésorier fut arrêté et incarcéré d'abord à Paris 3: puis, à la prière de la reine de Navarre, qui comptait mieux assurer ainsi le payement de ses fraudes, Guichard le reçut en garde dans sa prison épiscopale 5.

Jean de Calais parvint-il à s'échapper par ses propres moyens? Son évasion fut-elle achetée à l'évêque par lui-même, ou fut-elle le résultat d'une combinaison astucieuse où l'on mêla Guichard pour le compromettre? Il s'enfuit en Italie, auprès de la Cour romaine, où il resta jusqu'à sa mort ". Guichard fut accusé d'avoir « proditoirement et frauduleusement » consenti à prix d'argent la fuite du trésorier 7. Jean de Calais lui-même avait témoigné, à Sens 8,- sans doute avant de partir pour l'Italie, qu'il avait fait donner à l'évêque, par un certain Vanne Nicolas, de la compagnie des Amanast, de Pistoie, et par d'autres marchands lombards, de la société des Pulci, Francesco Ferratoni et Biondello Symoneti, 400 florins d'or et des joyaux pour sa délivrance c'était à Pontoise, puis à Paris, dans la

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1. Arch. Nat., J. 438, no 8, art. I. Il s'agit du douaire de la reine Blanche en Champagne et des biens personnels que son mari, Edmond de Lancastre, avait conservés dans le comté. En 1293, au moment de la guerre anglaise, Edmond, frère du roi d'Angleterre, avait reçu son congé et était retourné dans son pays; la dot de sa femme serait alors revenue au domaine royal (Gaufrid. de Collone, Histor. de Fr., XXII, 10). Edmond mourut à Bayonne en 1296, dans une expédition contre le roi de France (Contin. de Girard de Frachet, ibid., XXI, 14).

2. L'arrestation de Jean de Calais est postérieure au 15 juillet 1298, et antérieure au 23 mai 1300 : à la première date, il était encore en fonctions (v. p. précédente, note 2); à la seconde, il était dans la prison de l'évêque (v. p. suivante).

3. Dépos., II, 17, Jean de Trainel.

4. « Ad securitatem debiti supradicti.

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5. Arch. Nat., J. 438, no 8, art. I. Arch. départ. Aube, G. 919 (ad instanciam regine). Il y cut à ce propos un démêlé entre Guichard et la collégiale de S. Étienne qui prétendait que la saisie et juridiction de ses chanoines lui appartenait. Voy, chap. IV.

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8. Dépos., II, 17, Jean de Trainel (vidimus d'Accurse Laufroi, du 24 janv. 1305, n. st.).

maison de Me Martin de Bat lundi de l'Ascension 1300 (23 Flandre, que l'évêque avait touché de Vanne et des autres le prix de sa connivence 3.

Chambre 1, à La Mortellerie 2, le mai), au retour d'un voyage en

Les accusateurs de Guichard étaient l'archidiacre de Vendôme et un Florentin, nommé Noffo Dei. L'archidiacre, Simon Festu, était un clerc de la reine, et, comme Guichard, l'un de ses familiers. C'était un théologien du conseil secret : la reine et le roi semblaient se fier grandement en lui 6. Noffo Dei était agent d'une des nombreuses compagnies lombardes que les foires attiraient en Champagne 8 il était de la maison Ranieri Jacobi de Florence, qui avait son principal comptoir à Sens, mais dont les agents opéraient par tout le royaume 9. En 1288-90, Noffo Dei

1. Dépos., II, 17, curé de Corfélix. Sur Me Martin de Bachambre ou Bat Chambre, v. Bibl. Nat., ms. lat. 9783, fol. 15, 15 vo, 74 vo, Chancelier de Champagne, il fut l'un des exécuteurs testamentaires de la reine de France (J. Launoi, Regii Navarrae gymnasii Parisiensis historia, p. 21).

2. V. Hist. gale de Paris, Paris en 1380, p. 66. La rue de la Mortellerie, parallèle à la Seine, prenait à la place de Grève.

3. Dépos., II, 17, Jean de Trainel. Cf. Arch. Nat., J. 438, nos 1 et 2. 4. Arch. Nat., J. 438, nos 1 et 2.

5. J. Launoi, ouv. cit., p. 21.

6. Il fut en effet trésorier de Philippe le Bel (la table de Robert Mignon, Bibl. Nat., ms. lat. 9069, p. 39, mentionne un compte rendu par lui, parmi les «< compoti arreragiorum debitorum in Campania, videlicet executionis <<< reginæ Johannae »), et la reine en mourant (1305) le fit son exécuteur testamentaire il fut à ce titre chargé de l'institution du collège de Navarre. Il était chanoine de Chartres et doyen de Saint-Sauveur de Blois; le 5 janvier 1306, Clément V, en considération de Louis, roi de Navarre, fils aîné du roi, lui conféra un canonicat dans la cathédrale de Sens dont il devint doyen (Reg. de Clément V, nos 662, 4541). Le 18 octobre 1308, on le fit évêque de Meaux; il mourut le 4 ou le 30 décembre 1317 (Gall. christ., VIII, 1633). Quelle fut l'origine de cette fortune qui grandit à mesure que déclinait celle de Guichard? Le Gallia dit que l'archidiacre naquit à Fontainebleau.

7. Noffo est un diminutif d'Arnolfo, comme Dei une contraction de Deghi. On trouve le nom diversement écrit: Noffo Dei, Noffo Deghi, Noferi Dei, Nofri Dei, souvent Noffo tout court.

8. Philippe le Bel venait d'accorder de nouvelles facilités aux Lombards pour fréquenter les foires du royaume (Arch. Nat., K, 36, no 42).

9. Ranieri Jacobi semble lui-même n'être qu'un des principaux associés de la banque des Pulci, et comme le représentant de cette maison florentine

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et son patron étaient les banquiers de Cepperello Diotaiuti da Prato, lombard comme eux, alors receveur de la baillie d'Auvergne, et versaient pour lui au Trésor du Temple les deniers des dîmes et autres tailles qu'il percevait pour le compte du roi1. En 1295, Cepperello était, avec Jean de Calais, receveur des revenus du douaire de la reine de Navarre dans la baillie de Troyes ?. La maison Ranieri Jacobi était-elle encore associée à Troyes aux opérations des trésoriers de la reine Blanche? Il est certain, en tout cas, que la compagnie des Pulci se trouva compromise et que Noffo Dei fut, avec Jean de Calais, et en même temps, sinon pour le même fait, emprisonné à Paris 3. A cette heure, c'était lui et l'archidiacre qui menaient l'affaire contre Guichard 4.

La conséquence immédiate et sans doute cherchée d'une pareille accusation fut la brouille de l'évêque avec la maison de Champagne, et, par suite, son discrédit à la Cour du roi. La reine Blanche tint son favori doublement responsable, de la fraude et de la fuite du trésorier, et se rejeta sur Guichard, lui réclamant ce qu'elle exigeait de Jean de Calais 5. De plus, <<<en raison de sa trahison et de sa déloyauté, et pour d'autres énormités », l'évêque fut trouvé «< inhabile» et chassé du Conseil du roi, à l'instigation des deux reines 7; et une enquête fut ouverte contre lui.

en Champagne (Reg. de Boniface VIII, no 2643, 20 août 1298). D'autre part, un Ranieri Jacobi était en 1288 associé de la Cie Bonaventura Bernardini, de Sienne (Reg. de Nicolas IV, nos 103-104): serait-ce le mème?

1. Cesare Paoli, Documenti di ser Ciappelletto (Giornale storico della letteratura italiana, 1885, tome VI, pp. 329-69). Cf. P. Berti, Documenti riguardanti il commercio dei Fiorentini in Francia, nei secoli XIII et XIV, e singolarmente il loro concorso alle fiere di Sciampagna (Giornale storico degli archivi toscani, 1857, tome I, p. 258; « Ex parte... Nofri Dei de societate Renerii Jacobi » fév. 1295).

2. Cesare Paoli, art. cit.

3. Dépos., II, 17, Jean de Trainel; II, 22

t. Dépos., II, 17, Pierre de S. Nizier, Curé de Corfélix, Pierre Barrière, Michel de S. Oulph Cf. Arch. Nat., J. 438, nos 1 et 2.

5. Arch. Nat., J. 438, no 8, art. I.

6. Ibid., art. II.

Voy. art. 23 de la 2a série d'accusations.

7. Dépos., II, 22, Hermand de Vertus; Arch. Nat., J. 438, no 8, art. II.

D'un seul coup, la situation et le crédit de Guichard se trouvaient atteints. A peine admis dans l'entourage royal, il lui fallait en sortir à sa confusion, suivi par la haine de deux femmes, et s'enfermer dans son évêché pour y vivre de sa mense. Là même, on ne le laissa pas tranquille; la reine-mère, malgré l'importance des biens qu'elle gardait en Champagne du chef de son premier mari, encore que le second lui eût laissé en Angleterre un autre douaire considérable, et que le traité de 1284 lui assurât une grosse fortune à côté de son douaire, voulait avidement recouvrer son dû 1.

Malheureusement, la série de tous ces faits nous manque; l'affaire de Jean de Calais était close au moment du grand procès: elle n'y a laissé que des échos 2. Ce qui est certain, c'est que l'enquête fut peu à peu élargie, que l'accusation s'envenima, devenant chaque jour plus âpre et plus haineuse, prenant le caractère d'une persécution.

L'archevêque de Sens, comme métropolitain de l'évêque, fut chargé du soin de l'enquête dès 1301, une instruction contre Guichard était ouverte à la cour archiepiscopale de Sens 3; et à l'Assomption de la même année, on informait à Provins dans l'entourage de l'évêque pour savoir comment il avait laissé échapper Jean de Calais 4.

Cependant, le 2 mai 1302, au cours de l'enquête, la reine de Navarre mourut, emportée par un mal soudain que les médecins ne surent point reconnaître : c'était une femme d'une forte santé, qui, dans sa jeunesse avait été très belle, mais qui s'était

4. Blanche d'Artois semble avoir été, non sans âpreté, soucieuse de ses intérêts. Elle l'avait déjà laissé voir dans la liquidation de la succession de Navarre et Champagne. Voy. Reg. XXXIV du Trésor des Chartes, fol. 28, 33 vo (Boutaric, Actes du Parlement de Paris, nos 2506, 2650).

2. Voy. art. 17 de la 2a série d'accusations : c'est au fond la reprise de l'affaire sous une autre forme, moins directe, d'accusation.

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L'archevêque était alors Étienne

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