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Trois jours après, vers l'heure de vêpres, ce même Lombard le vit qui rentrait : il était allé à Troyes en un jour, il avait vu l'évêque qui lui avait donné cent sous et de l'étoffe de quoi se faire un habit 1; l'évêque s'était fort réjoui de la nouvelle 2.

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Aujourd'hui

Il semblait qu'il l'attendît sûrement. Le jour même de la mort de la reine, déjeunant à Aix, il aurait dit : «< mourra la plus grande et la plus riche dame du royaume de <«< France 3!» Quand le messager arriva, l'évêque était à table, à Aix, avec Guillaume Pastourel et Manessier, son chapelain". «Quelles nouvelles de la reine? demanda-t-il. Elle est morte ! » répondit le valet. La joie éclata sur sa figure 6. Pourtant, il aurait essayé de se contenir, et après un intervalle, il aurait dit : — « Beaucoup pourraient croire que j'en suis heureux, mais j'en «< suis fâché, car je sais que j'aurai pire que je n'aurais eu si elle <«< avait vécu 7. » Mais, le lendemain ou le jour même 8, il s'épancha: «A présent, cela me fait une ennemie de moins, et «< j'aurai ma paix avec le roi plus tôt que je ne l'aurais eue 10. Je << savais bien qu'elle ne pouvait pas durer longtemps 1', que je ne << tarderais pas à être vengé d'elle 12! » Il aurait été jusqu'à dire, tout joyeux, à ses familiers: « Voilà une bonne nouvelle, fai

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1. Angelo Bartholomei.

2. Jean Margot.

3. Prieur de Nesle.

4. Guillaume Pastourel, Curé de Corfélix. Ces témoignages ne s'accordent pas avec celui de Girard de Vauchassis qui dit que l'évêque apprit la nouvelle au Paraclet; d'autre part le messager fut rencontré vers midi à Rozoy-en-Brie, sur la route de Provins (Niccolo de San-Miniato): il n'arriva donc pas à Troyes à l'heure du déjeuner, le même jour, mais seulement le lendemain. Cf. Jean Margot.

5. G. Pastourel.

6. G. Pastourel, Curé de Corfélix.

7. Lorin.

peu après le déjeuner dès le premier moment (selon

8. Le lendemain ou le jour même (selon Lorin); (selon Manessier et Angelo Bartholomei); Guill. Pastourel).

9. Curé de Corfélix, Guill. Pastourel, Lorin.

10. Curé de Corfélix.

11. Guillaume Pastourel.

12. Curé de Corfélix.

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(( sons bonne fête, la reine de Navarre est morte ! » et : « Voilà, une de mes ennemies de morte, meurent ainsi tous les << autres ! »

Pourtant, au milieu de cette joie, les bruits d'empoisonnement qui couraient ne laissaient pas de lui causer quelque appréhension. Il manda près de lui, à Auzon 3, Me Jean, le médecin de la reine: << Madame est morte, lui dit-il ; j'en suis fâché. Dit-on « qu'elle a été empoisonnée?» L'évêque était assis; le médecin, mettant genou en terre devant lui, répondit qu'on le disait à Paris. Guichard lui dit qu'il l'avait mandé pour le garder, comme médecin. Deux jours après, à Troyes, il le prit en secret : << Me Jean, on m'a raconté que vous aviez dit que la reine avait « été empoisonnée et que c'était moi qui l'avait fait. » Le médecin répondit que non. L'évêque ajouta :- «< - « Comment l'aurais-je <«< pu faire, étant si loin d'elle? Je ne ferais rien de tel, quoi qu'elle m'ait fait.

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Tenaille n'était pas moins soulagé que lui: sa grande ennemie était morte. Il fit grande chère. « Grâce à Dieu et à Cassiano, « s'écria-t-il, elle est morte! Elle ne me fera plus de mal ! 5 »

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Pour sa besogne, l'écuyer anglais qui avait administré le poison, reçut des mains de François Sarrazin l'argent promis par l'évêque 2.

XXIII ARTICLE

Comment il fut chassé du Conseil du roi

(32 témoins)

La chose s'était passée en trop haut lieu pour que le commun des témoins fussent renseignés sur les détails de l'affaire, que l'accusation connaissait d'ailleurs mieux que personne. Trentedeux témoins cependant furent produits, n'apportant que des dépositions vagues ils savaient seulement, par ouï-dire, que l'évêque avait été chassé du Conseil du roi pour une faute ou à l'occasion de Jean de Calais.

XXIVe ARTICLE

De la mort de Jean de Beaune

(27 témoins)

Entre la Nativité de la Vierge et la Saint-Remi (8 septembre 1er octobre) 1302, un soir, après le couvre-feu, Richard Potier, clerc, procureur en la cour de l'official de Troyes, était couché avec sa femme, quand Thibaut, valet du portier de l'évêque, vint le mander de la part de Guichard. Il alla chez l'évêque et

1. Raoul, bouteiller de la reine, raconta pourtant, un an ou six mois après, à Guillaume de Bolay, qu'il avait entendu dire que c'était Jean, barillier de la reine de France, qui avait versé le poison. (Guill. de Bolay.) 2. Rico Jacobi. Les Lombards Biche et Mouche s'étaient-ils compromis avec Tenaille, leur neveu, dans cette affaire d'empoisonnement? Rico Jacobi rapporte que, la reine morte, Tenaille en informa son père à Florence, que Simon de' Bardi s'en réjouit fort et fit remettre au valet qui avait apporté la nouvelle une lettre pour son beau-frère « pro domino «< Bichio de Franciscis, fratre domini Mocheti, ad domum ipsius Bichii apud Estagium ».

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que

tu ailles à Rome

le trouva couché, dans son lit. << Il faut «< pour moi, lui dit Guichard je te donnerai pour cela dix « livres. Je te ferai donner tout de suite cent sous, tu auras « les cent autres au retour et avec cela, je ferai donner vingt «sous à ta femme. Tu iras à Ivrée, en Lombardie, et, de là, à la <«<cour romaine. Tu te dépêcheras d'aller à Ivrée pour y être <<< avant certain «< garçon 1 », appelé Jean de Beaune, chanoine << de Saint-Étienne, qui va à la cour romaine contre moi pour « la reine de France ». Et, lui montrant un petit sac de toile cirée, fermé et scellé du sceau de l'évêque (une petite cédule de parchemin y était attachée, sur laquelle on lisait : A Martino de la Campane), l'évêque ajouta : « Tu donneras à Martin de la Campane, à Ivrée, ce sac, où sont deux lettres : l'une pour << Martin, où il y a 60 florins de Florence; et l'autre pour Me Jean » d'Amilli 2, mon procureur en cour de Rome; et tu diras « à Martin qu'il fasse ce que je lui mande dans le temps indi« qué ». Richard jura de le faire; et l'évêque, à son tour, jura sur les saints Évangiles que, quand le clerc reviendrait, «‹ il lui <«< donnerait son pain cuit en quelque bon lieu ».

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Richard se hâta tant qu'il put: en huit jours il fut à Ivrée, à l'entrée de la Lombardie. Il trouva Martin, qui ouvrit le sac, prit l'argent et la lettre qu'on lui adressait et remit l'autre au porteur en disant qu'il ferait ce que l'évêque lui mandait. Comme Richard sortait de la maison, il rencontra Jean de Beaune; ils se saluèrent; Jean lui demanda où il allait : Richard répondit qu'il allait à la cour romaine pour l'évêque; Jean repartit qu'il y allait lui-même contre Guichard.

Au milieu de la nuit, un valet de la maison où Richard était couché, le réveilla: Martin était venu dire que, s'il y avait dans la maison des gens de France, ils ne partissent qu'au matin, qu'il était mort chez lui un chanoine de Saint-Étienne de Troyes. Au matin, Richard y alla avec Jean de Brienne, près Troyes, qui logait avec lui et il vit Jean de Beaune sur un lit mor

1. Le sens de ce mot était alors injurieux comme l'est aujourd'hui son féminin.

2. Me Jean de Langres ou d'Amilly, dit Dandin.

tuaire. Martin lui dit à part : « Voilà Jean de Beaune qui est

«< mort », et, lui donnant des lettres closes :

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«Tu donneras ces lettres à l'évêque et lui diras que j'ai fait ce qu'il m'a

« mandé. » Richard, étonné, demandait comment le chanoine était mort. « Il avait peut-être une tumeur qui aura crevé et qui lui sera tombée sur le cœur ! », répondit Martin. Mais Richard pensa qu'il l'avait tué ou empoisonné.

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Il alla à la cour romaine et remit les lettres à Jean d'Amilli : au bout de trois semaines, il revint en hâte à Troyes. Il trouva l'évêque à Aix, devant la chapelle, lui donna les lettres de Martin et lui dit que Jean de Beaune était mort. «Je le savais « bien, répondit l'évêque; il ne faut pas s'en faire de bile: <«< c'était un garçon!» et il se mit à rire. Lorin l'entendit qui disait, quelque temps après: — « A présent, il est mort ce « garçon de Jean de Beaune; on m'a dit qu'il s'est cassé le <«<cou en tombant de cheval. » Un de ceux qui étaient là dit : «Dieu en soit adoré!»; et l'évêque ajouta : «Ainsi meurent

<< tous mes ennemis 1! »

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Mais Jean Chair de Ribaut, qui connaissait bien Jean de Beaune, allant un jour en Lombardie, passa par Ivrée, où il s'enquit de l'affaire; il interrogea la femme de Martin. Elle lui dit qu'en sortant de manger, le chanoine avait voulu monter à cheval, mais qu'il ne le put pas : il se sentait très malade. Il dit à Martin de faire venir quelqu'un pour jouer aux dés avec lui. Il avait mangé avec deux valets qu'elle croyait de sa compagnie : on vint lui dire que l'un d'eux, qui venait de le quitter, soidisant pour aller à la cour romaine, avait repris le chemin de France. Jean de Beaune, stupéfait, cessa de jouer, et dit : « Je << vois bien que je suis empoisonné! Ce valet qui était avec moi <«< était un messager de l'évêque de Troyes qui croyait que j'allais à la cour romaine contre lui. » Avant de mourir, il dit à l'autre valet de remettre à la cour de Rome les lettres qu'il y portait 2.

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1. Richard Potier.

2. Jean Chair de Ribaut. Cette déposition ne s'accorde pas avec celle de Richard Potier.

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