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demeuré inexplicable. Oui, Darwin seul est parvenu à nous expliquer, par la théorie de l'hérédité et de l'adaptation organique, le phénomène des organes atrophiés et avortés, ainsi qu'on peut en voir un exemple dans l'élevage artificiel. Hérédité et adaptation organique, disons-nous, c'est-à-dire que l'être animal ou végétal subissant l'influence des conditions extérieures de la vie, il résulte que des organes, jadis actifs, cessent d'être employés de là atrophie. Mais l'hérédité, dont les droits demeurent longtemps imprescriptibles, les lègue d'une génération à une autre jusqu'à ce qu'ils s'oblitèrent soit en partie, soit en totalité.

Bref, on comprend qu'avec les causes finales on fait bon marché des causes efficientes, et, tandis que celles-ci sont du ressort de la science seule digne de l'homme raisonnable, les premières, n'étant que la réalisation d'une pensée créatrice incarnée, ne sauraient se soutenir sans l'aide du surnaturel (1),

Vient l'obstacle presque le plus insurmontable qui est fourni par les idées subjectives de la foi dont le pivot est la Bible. La cosmogonie de Moïse ne trouve pas notre savant professeur indifférent. Il y remarque une grande lucidité d'exposition et, ce qui vaut encore mieux, l'idée de développement excessif de division du travail de différenciation: puissant appoint à la théorie de l'évolution progressive. Ce que le bon sens le plus vulgaire ne saurait admettre, c'est qu'on s'obstine à y voir l'expression la plus exacte de la science.

Il ne faut pas être bien perspicace pour y découvrir autre chose qu'un récit hypothétique d'une imagination exaltée. Hæckel s'attache à en faire ressortir une des erreurs capitales que la théorie copernicienne a réduite à néant, à savoir que la terre est le centre du monde.

Nous-même, s'il est permis de nous citer, nous avons fait remarquer bien d'autres inexactitudes, malgré qu'on en ait,

(1) Le surnaturel, étant extra-expérimental, échappe à tout contrôle scientifique ; et la philosophie elle-même ne saurait se trouver là où la raison est éconduite et où la science ne peut porter son flambeau.

incompatibles avec les découvertes modernes (1). Sans nous répéter et sans nous appesantir sur le premier verset où il est dit que Dieu créa le ciel et la terre, nous ne saurions laisser dans l'oubli que notre globe fut, dès le principe, à l'état incandescent. Mais que devient l'époque plutonique dans le récit de Moïse exclusivement neptunien?

Enjambons le verset 2. où il est dit que la terre était inanis et vacua sans forme et vide (?), avec des abîmes, tandis qu'elle était couverte d'eau.

Ne nous arrêtons pas plus aux eaux qui sont au-dessus et audessous du firmament, espèce de plancher, sans doute, intermédiaire, qu'à la séparation simultanée des terres et des mers (vers. 10), qu'aux pommiers fructifères du 3° jour, lors même que par jour on entendrait une époque (2). Les seules plantes dicotylédones, dont les géologues aient constaté la présence vers la fin du terrain jurassique, appartiennent exclusivement à la famille des conifères.

Quel est celui qui, ayant la moindre idée du système planétaire, se résignerait à croire que le soleil et la lune furent faits le même jour? Qui accepterait sans sourire que les juments parurent sur la terre avant les reptiles et les autres bêtes jumenta et reptilia et bestias?

Nous ne rappelons pas tout cela pour discréditer la Bible. Le sens de nos paroles est tout dans ces lignes si pondérées, si justes d'un respectable curé (M. E. Renevier, de Lausanne). La seule science que Dieu ait directement enseignée aux hommes dans

(1) Voir notre ouvrage édité par REINWALD, à Paris, 15, rue des Saints-Pères : Le Darwinisme et les générations spontanées, réponse aux réfutations de MM. Flourens, de Quatrefages, etc. Ces versets s'y trouvent réfutés largement.

(2) Dans notre ouvrage sur le Darwinisme et les générations spontanées nous avons suffisamment démontré que le mot époque est incompatible avec le texte de l'Ecriture. D'ailleurs, l'Eglise n'a-t-elle pas soutenu le sens littéral de la Bible pendant 1804 ans?

l'Ecriture sainte, c'est la science du salut, et la grande question sur laquelle il veut nous éclairer, c'est celle de la conscience du pécheur quand elle se réveille. Que les chrétiens ne se laissent pas troubler et tiennent leur esprit ouvert à tout progrès de la vérité. » Quel rare langage!

Cette réserve faite, revenons à Hæckel. Tout en combattant les idées puériles d'Agassiz, il ne le prise pas moins à sa juste valeur, lorsqu'il revendique pour lui la part qu'il a prise à formuler les lois les plus solidement établies de l'évolution générale, en faisant ressortir le premier, lui Agassiz, le remarquable parallélisme entre l'évolution embryonnaire et l'évolution paléontologique, entre l'ontogénie et la phylogénie. Mais tous ces faits demeureraient inexplicables sans la doctrine généalogique. Dès lors est-ce de bonne logique de préférer à une doctrine qui porte partout la lumière, le silence et la nuit du mystère?

Après avoir rapidement résumé les chapitres les plus importants qui constituent pour Hæckel ce que Bacon appelait la pars præparans, il nous resterait la tâche aussi grandiose qu'épineuse de déployer sous les yeux de nos lecteurs les trésors inouïs de science que M. Hæckel sait mettre dans un lumineux relief pour établir, avec toute la puissance d'une rigoureuse dialectique, la descendance du genre humain.

La théorie de la sélection, les lois de la théorie du développement, la phylogénie ou l'histoire généalogique des organismes, sont autant de chapitres palpitants d'intérêt, qui nous écrasent d'admiration. Les rivages de toutes les mers ont vu notre naturaliste interroger la nature; depuis les côtes reculées de l'Océan Atlantique, jusqu'aux bords de l'Erythrée, depuis les plages de l'île d'Helgoland jusqu'aux rives de la Dalmatie, il a tout vu, tout fouillé, tout scruté, pour se familiariser avec la 'faune

marine.

On comprend, dit Ch. Martins, ce que ce zoologiste éclairé par les conseils des plus illustres maîtres, Gegenbaur, Muller, Kolliker et Wichow, cet homme doué d'une haute raison, d'un esprit éminemment réfléchi, a dû puiser de notions nouvelles en

examinant sous toutes leurs faces, dans le milieu même qui leur a donné naissance, ces animaux marins qui sont les ancêtres des animaux terrestres (4).

Il en résulte que pour celui qui ne veut pas se vouer au rôle de troglodyte, ennemi de la lumière, les êtres organisés sortent tous d'un tronc commun, comme les branches et les rameaux d'un arbre colossal, immense.

Après quoi, l'application de la théorie de développement à l'homme devient une déduction des plus rigoureuses et des plus indiscutables, comme elle constitue la question qui prime nécessairement toutes les autres et à laquelle nous allons consacrer un rapide mais consciencieux examen.

III

D'où vient l'homme? C'est sous l'inspiration d'Hæckel que nous allons répondre, c'est-à-dire au nom de la science.

Disons d'abord que scinder l'homme du reste de la création est un de ces caprices que rien ne justifie, que rien n'explique, si ce n'est un invincible orgueil,

Quoi! vous êtes disposés à admettre que la race simienne pourrait bien, à l'aide d'une transformation, s'être constituée dans la nature par l'effet de la descendance, et vous reculez d'horreur, lorsqu'il s'agit de rattacher aux pithécoïdes l'homme pour lequel vous demandez l'intervention directe de la divinité? Vous voulez absolument qu'il ait été pétri de ses propres mains avec un peu de boue, ce qui n'est guère plus noble !

Oui, l'on accepte de préférence cette facture sans se préoccuper

(1) Introduction biographique par Ch. Martins.

de l'impossibilité du phénomène, soit que l'homme ait été créé enfant ou adulte (1); sans même examiner s'il ne convient pas plutôt d'admettre en Dieu l'unité d'action, l'unité d'exécution, l'unité de loi.

Pour des esprits

creavit hominem

-

Deus

avides de merveilleux il faut le ou rien. La Bible l'a dit; c'est la parole de Dieu, qui en sait plus que lui? Eh bien! cher lecteur, Dieu n'a rien dit de pareil; nous espérons vous le démontrer, mais donnons d'abord la parole à la science.

La science, on en conviendra, ne se fait ni avec des idées préconçues, ni avec des préjugés. Textes des Pères, rêves de mystiques, inventions de poètes, conjectures de métaphysiciens, rien ne saurait posséder la valeur des preuves scientifiques que fournissent l'expérimentation et l'étude réfléchie, attentive, philosophique de la nature.

L'homme est-il autre chose qu'un mammifère? Toute la question est là. Voyons. Si un habitant d'une planète quelconque, dit Huxley, avait rencontré sur ses pas un bipède de notre nature, en consultant les archives de l'anatomie des animaux terrestres, force lui serait de prendre pour guide la classification naturelle et d'en déduire la place pour l'objet de sa découverte soit anatomiquement, soit taxonomiquement. Et si pour cet habitant planétaire l'anatomie et l'ontogénie ne sont pas lettre morte, il sera fatalement conduit à établir que l'homme appartient à la tribu des vertébrés. Et pour lui ce sera encore d'une indiscutable certitude que de tous les vertébrés c'est aux mammifères qu'il ressemble le plus, et de déduction en déduction il

(1) Si l'homme est né enfant, n'avait-il pas besoin du secours d'une main étrangère ? S'il est né adulte... Oh! alors, dit-on, le dilemme de M. Guizot s'impose tout seul : << Ou l'homme a poussé de lui-même sur la terre (comme l'homme cadméen du poète), ou il est l'œuvre d'un pouvoir surnaturel. Or, la première hypothèse est impossible; donc il est l'œuvre d'un pouvoir surnaturel. » Tout cela serait peut-être séduisant, si l'argument n'était pas faux, vu que les deux parties de la majeure ne sont pas absolument contradictoires (voyez notre ouvrage cité) et que le dénombrement est incomplet.

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