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l'accident, la faute qu'il impute au fait du propriétaire ou de ses préposés comme engageant leur responsabilité (1). » — « Attendu, disait un arrêt plus récent, que la responsabilité du patron envers l'ouvrier victime d'un accident est déterminée par les articles 1382 et suivants du Code civil, que le demandeur ne peut faire, peser la responsabilité sur X qu'à la charge d'établir une imprudence ou une négligence qui lui soit imputable (2). »

Constatons également que la majorité des auteurs est dans le même sens (3).

54. En quoi consiste cette preuve ? La preuve est la démonstration, à l'aide des moyens autorisés par la loi, de l'inexactitude d'un fait qui sert de fondement à un droit prétendu (4). L'ouvrier blessé, à qui incombe le soin de la preuve, doit d'abord articuler des faits précis, pertinents et admissibles selon les termes de la procédure, c'est-à-dire tendant à établir soit une infraction aux règlements, soit un

(1) Cass. civ., 19 juill. 1870. D. P. 70, 1, 361; S. 71, 1, 9; Pand., 71, 1. 12; V. Montpellier, 20 août 1875, S. 76, 2, 225.

(2) Cass. req 15 juill. 1896, Pand, 97, 1, 513; D P. 98, 1, 141; Nancy, 29 juin 1895, S. 96, 2, 207; Cass., 12 janv. 1897, S. 97, 1, 231 et la note; un exposé parfait de cette théorie est contenu dans les conclusions de M. l'av. gén Sarrut, v. D. P. 97, 1, 439.

(3) V. nolamment Demolombe, t. XXXI, nos 629 et 666; Larombière, Oblg. art. 1382-1383, no 6; Sourdat, De la responsabilité, t. II, nos 913, 1035, p. 158 et 260; Colmet de Santerre, t. V, p. 679; Laurent, t. XX, no 470.

Contrà, Huc, Comm. C. C., t. VIII, nos 426 et s., p. 564 et s. Sauzet, Rev. Crit., 1883, p. 616; Saleilles, notes sous arrêt, D. P. 97, 1, 433.

(4) Baudry-Lac, loc. c., no 1175.

outillage défectueux, une installation dangereuse, une absence de précautions, en un mot un fait quelconque qui sera réputé illicite ou pourra constituer une faute imputable au patron ou à ses subordonnés; puis, cette articulation formulée, il reste à prouver la vérité des faits, soit au moyen de procès-verbaux s'il y en a et s'ils sont suffisamment explicites, soit par une enquête testimoniale (art. 1348) (1). En conséquence, l'ouvrier devra établir d'une façon certaine le fait de l'accident et le préjudice par lui souffert, - la faute du patron ou de son préposé, et la relation de cause à effet qui joint ces deux éléments.

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§ IV.

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VALEUR DE LA CLAUSE D'IRRESPONSABILITÉ.

55. Le patron est obligé d'indemniser l'ouvrier blessé qui a fait la preuve exigée par la loi. Mais n'est-il pas à craindre qu'il essaie de se soustraire aux conséquences de son obligation, en stipulant préalablement qu'il ne répondra pas des accidents dont l'ouvrier pourra être victime au cours du travail? Qu'une telle stipulation soit faite au moment du contrat, quelle en sera la valeur ? Quelle influence aura-t-elle sur l'action en dommages et intérêts de l'ouvrier?

La jurisprudence, fidèle à sa théorie de la faute délictuelle, déclare une pareille clause radicalement nulle : il n'est pas permis de déroger, par des conventions particulières, aux articles 1382 et suivants qui sont d'ordre public. « Attendu que la disposition des articles 1382 et 1383 du Code civil est d'ordre public, et qu'il n'est permis à personne de se soustraire d'avance à leur application; que reconnaître la vali

(1) Vavasseur, Le Droit, 20 mai 1888.

dité de la clause alléguée serait à la fois contraire à la liberté des contrats, puisque l'ouvrier qui sollicite du travail n'a ni le temps ni les moyens de savoir à quoi il s'expose, et à la sécurité publique, puisque, n'étant plus retenus par la crainte de leur responsabilité, les maitres négligeraient, dans une pensée de lucre, les précautions les plus nécessaires (1). »

Dès lors, le patron ne peut stipuler d'avance, par un contrat d'assurance ou tout autre pacte, l'immunité de sa faute ou de celle de ses préposés; les parties non plus ne pourront déterminer le caractère de gravité de la faute engendrant la responsabilité, ni faire un règlement anticipé des dommagesintérêts qui pourront être dus. « De pareilles clauses et autres stipulations du règlement ayant pour objet soit de déterminer à l'avance les réparations civiles de faits délictueux non encore accomplis, soit d'exonérer préventivement une Compagnie, vis-à-vis de ses ouvriers, des obligations résultant des articles 1382 et suivants, sont frappées de nullité absolue (2). »

56. En doctrine s'agite une question particulièrement délicate à propos des clauses d'irresponsabilité ou de nongarantie, à savoir quel est le critérium pour valider ou annuler une telle clause? Deux théories sont proposées : l'une le croit trouver dans la source des obligations; l'autre, dans l'objet des obligations.

(1) Cass., 15 mars 1876, S. 76, 1, 337; en ce sens Cass., 19 août 1878, S. 79, 1, 422; Nancy, 26 juil. 1884, S. 85, 2, 204; Cas.. 1er juillet 1885, Journ. Palais, 85, 1, 1009; Saint-Etienne, 10 août 1886, Loi 2 sept. 1886, S. 87, 2, 48; Montpellier, 21 fév. 1898, Gaz. Trib., 1899, 4, 126, 1° 13.

(2) Dijon, 24 juil. 1874, S. 75, 2, 73; mars 1881, S. 82, 3, 53; Nimes, 24 juil

en ce sens, Conseil d'Etat, 11 1895, Loi, 17 janv. 1896.

57. La première théorie tient le raisonnement suivant. L'obligation naît, on le sait, d'une double façon, par la loi ou par le contrat. Au cas d'obligation légale, la clause d'affranchissement ou d'irresponsabilité est nulle; au contraire, l'obligation est-elle contractuelle, la clause est valable. De la source d'obligation dépend la valeur de la clause d'irresponsabilité. « On ne peut valablement convenir qu'on ne répondra pas des suites de son délit, de son quasi-délit; mais on peut valablement stipuler d'avance qu'on ne sera pas garant des suites de l'inexécution d'un contrat, des suites d'une faute contractuelle commise par soi-même ou par ses agents (1).» « La clause d'irresponsabilité, disait par ailleurs M. Sourdat, doit toujours être considérée comme nulle en matière quasi-délictuelle, celle-ci étant d'ordre public, comme les devoirs légaux qu'elle sanctionne (2). »

M. Sainctelette se charge de nous en donner la raison. «La principale fonction des pouvoirs publics est d'établir et de maintenir l'ordre. Ce que la loi ordonne doit être fait, ce qu'elle défend ne peut l'être. C'est là un principe absolu, et le législateur ne peut tolérer que sa volonté soit méconnue. Les conventions contraires à la loi ne sont que des violations géminées de la paix publique; ceux qui les forment ne sont pas des contractants, mais des complices. Les contrats ont pour fin de desservir non l'intérêt public, mais les intérêts privés. Ils n'ont pas à intervenir dans l'établissement et le maintien de l'ordre public. On ne leur demande que de ne pas le troubler. Sous cette réserve, les

(1) Sainctelette, Responsab. et Gar., p. 18. (2) Sourdat, Responsab., t. I, no 662.

volontés des contractants sont toutes puissantes. Par quelles raisons la législation ôterait-elle aux contractants la faculté de déterminer eux-mêmes les limites et la sanction de leurs promesses? Ce serait leur retirer, quant aux clauses accessoires, la liberté qu'on leur reconnaît quand il s'agit du principal. La législation ne l'a point fait. Elle dit en termes absolus et généraux : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (art. 1134). » Les contractants fixent eux-mêmes par leur accord l'étendue de leurs obligations réciproques; ils tracent nécessairement les limites des réparations dues en cas d'inexécution de ces obligations; la loi les laisse libres d'augmenter ou de restreindre cette sanction naturelle de leurs obligations (1). »

58. La seconde théorie soutient que le criterium de validité ou de nullité de la clause d'irresponsabilité dépend, non de la source des obligations, mais de leur objet. Ce n'est pas parce qu'une obligation sera légale ou contractuelle que ladite clause sera nulle ou valable, mais bien parce que l'objet de l'obligation (légale ou contractuelle) sera ou non d'ordre public. Les solutions d'espèces qu'a tirées la jurisprudence sont justes; mais la formule est trop absolue. En matière pénale, toute clause élisive ou limitative de la responsabilité est nulle; mais en matière civile, et ici le droit civil est seul en jeu, est-il absolument vrai de dire que l'homme ne peut s'affranchir de ses fautes en dehors de toute convention, et qu'il peut s'affranchir de toute faute conventionnelle?

Pour admettre la nullité de la clause d'immunité de fautes

(1) Sainctelette, loc. c., p. 16 et 17.

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