Page images
PDF
EPUB

-

beaucoup d'égarements le plus grand honneur de notre époque, telle est la véritable raison de la législation nouvelle. Aussi les règles traditionnelles, devenues incompatibles avec nos exigences contemporaines, devaient faire place à des concepts plus modernes, appropriés à l'état présent des esprits et des choses. A une situation nouvelle, il fallait un droit nouveau. Car qu'est le droit, sinon le reflet vivant de l'état social? « Le droit est au premier chef un art qui evolue. Comme les situations changent, il change lui aussi; car son unique devoir c'est d'adapter l'idée de justice qui est éternelle, aux besoins du moment qui sont temporaires (1). »

§ III. PLAN DE L'ouvrage

39. La division de notre travail nous semble toute indiquée. L'étude des deux principes qui furent successivement dans notre droit le fondement de la responsabilité civile du patron, fera naturellement l'objet de deux parties : la première concernant la faute; la seconde, le risque. Dans une triple subdivision, la première partie traitera de la faute délictuelle, de la faute contractuelle et de l'évolution qui se produisit dans la jurisprudence. La deuxième partie com

(1) Beauregard, Monde Econom, 11 mars 1899. Voir aussi Esmein Bull. soc., lég comp., mars 1901, p. 227. « Le droit n'est plus une science isolée qui se suffise à elle-même et qui puisse se renfermer dans ses textes et ses formules; le droit une science de faits, une science du dehors, qui, cɔmn; toutes les sciences, puise dans la nature des choses ses éléments premiers de formation et d'interprélation », disait M. Saleilles, dans la préface (p. xn) du livre magistral de M. Gény, qui écrivait de son côté (no 586, p. 590) : « En définitive, le droit positif se présente à nous comme une mise eu valeur des sciences morales et politiques.

[ocr errors]

prendra deux chapitres, consacrés l'un à la théorie du fait des choses, l'autre à celle du risque professionnel. Enfin une troisième et dernière partie fera connaitre la responsabilité civile du patron dans les principales législations étrangères.

40. L'étude des théories jurisprudentielles et doc'rinales ne représente pas sculement un intérêt historique, rétrospectif, simplement théorique, mais aussi un intérét réel, présent et pratique.

Nous voyons d'abord un intérêt théorique. Pour apprécier une loi, il ne suffit pas d'en bien comprendre le texte et les applications, on doit aussi rechercher les idées et les solutions différentes qui s'offraient au législateur, et voir si la théorie qu'il a consacrée, répond le mieux à la justice et à l'intérêt général. Dans cette question si complexe et si discutée des accidents du travail, l'arbitrage du iégislateur n'était-il pas difficile à exercer? Pour nous, en discutant et comparant les divers systèmes proposés, nous jugerons par là même l'œuvre de la loi ; et c'est alors seulement, en connaissance de cause, sur le vu des pièces, qu'il nous sera permis de formuler notre appréciation.

L'étude des théories basées sur le Code civil présente un intérêt pratique. La loi du 9 avril 1898 n'établit pas un système général à toutes les industries, ni même à tous les accidents qui arrivent à l'ouvrier dans son travail; elle est une législation restreinte à certaines entreprises et à certains accidents. Par suite, grand nombre d'accidents resteront en dehors de son application; on devra donc, malgré la faveur qui s'attache à la théorie nouvelle, revenir à l'application du droit commun. Donc il est nécessaire de connaître les règles générales de la responsabilité.

[blocks in formation]

41. Depuis la promulgation du Code civil jusqu'au dernier quart du XIXe siècle, on a vécu sous l'empire de cette idée que les articles 1382 et suivants du Code civil étaient applicables aux accidents du travail comme à toute autre matière, et que les principes du droit commun en matière de responsabilité étaient seuls à les régir. « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », dit l'ar

ticle 1382, et l'article 1384 ajoute : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. » Les mots « à autrui » de l'article 1382 étaient considérés comme ayant une portée générale, et comme s'appliquant dès lors aux rapports entre ouvriers et patrons. Si donc un ouvrier, au service d'un chef d'industrie, était, par le fait de ce dernier ou d'un de ses préposés, victime d'un accident au cours d'un travail qui lui était confié, le chef d'industrie était tenu de réparer le dommage résultant de l'accident. Le patron qui n'assure pas la sécurité de celui qu'il emploie, se rend coupable, disait-on, d'un délit civil qui entraîne sa responsabilité. Il commet une faute « délictuelle »>, « néologisme barbare » dont se sert actuellement le langage juridique, et il est tenu de la réparer (1). <«< Attendu que la règle de l'article 1382 est générale, absolue, applicable dans tous les cas, que le dommage ait été causé au cours d'un contrat quelconque à l'un des contractants par son co-contractant, ou qu'il soit le fait d'un tiers juridiquement étranger à la personne lésée, dans le premier cas comme dans le second l'obligation de réparer le dommage naît exclusivement d'un fait personnel à celui qui l'a causé... (2) ».

42. La faute délictuelle est à la fois nécessaire et suffi

(1) V. Serre, Accidents du travail, p. 66; Desjardins, Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1888, p. 362.

[ocr errors]

(2) Rennes, 20 mars 1893, D. P 93, 2, 526. S. 94, 2, 36 Également Bordeaux, 9 nov. 1892, S. 93, 2, 148; Cass. req., 5 avril 1894, D. P. 94, 1, 479.

sante. L'ouvrier dont le droit ne diffère en rien de celui d'un tiers, doit appuyer sa demande en dommages-intérêts contre le patron sur le droit qu'a tout homme de se faire indemniser du préjudice injustement souffert, sans avoir besoin de recourir aux engagements préalables. Le caractère distinctif de cette théorie est donc de lier étroitement l'idée de respon sabilité à l'idée de faute : chacun est responsable des fautes qu'il commet ou est présumé avoir commises (1).

43. Tel fut le système admis sans hésitation par la doctrine et la jurisprudence pour donner une base juridique à la responsabilité du patron en matière d'accidents du travail. La cause de la responsabilité du patron réside dans une faute de ce dernier; on dit en termes d'école qu'elle est « délictuelle », elle découle soit des délits ou quasi-délits civils de l'article 1382 du Code civil, soit a fortiori des délits criminels des articles 319 et 320 du Code pénal. « C'est là une thèse si bien établie qu'auteurs et arrêts se bornent à des affirmations que les documents et les discussions parlementaires enregistrent sans l'apparence d'un doute (2). »

§ II. MESURE DE LA RESPONSABILITÉ DU PATRON. 44. Le titre même de ce paragraphe prêteraiț à croire à une compréhension très large, à l'étude et de la responsabilité civile du patron (indemnité pécuniaire due à l'ouvrier victime d'un accident), et de sa responsabilité pénale (expia

(1) Rouen, 3 décembre 1898, S. 1900, 2, 57; Cassation, 27 février 1899, S. 1900, 1, 188; 13 décembre 1899, S. 1900, 1, 303; 20 février et 12 juillet 1900, S. 1900, 1, 400 et les renvois; Toulouse, 28 février 1901, S. 01, 2, 164.

(2) Marc Sauzet, Rev. Crit., 1883, p. 602.

« PreviousContinue »