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à chacun l'obligation de supporter les conséquences de ses fautes (1).

la

153. Depuis la promulgation de la loi du 9 avril 1898, la jurisprudence a eu à s'occuper des faits qualifiés faute lourde ou inexcusable, pour employer l'expression dont se sert aujourd'hui la loi. A-t-elle apporté un peu de lumière dans la notion de cette idée? Il est permis d'en douter par les nombreuses controverses, suscitées non seulement par l'exacte connaissance de la faute lourde, mais encore par notion spéciale de la faute inexcusable. Cette dénomination d' << inexcusable » vint en effet greffer une seconde difficulté sur la première. Car qu'est-ce que la faute inexcusable? En quoi se différentie-t-elle de la faute lourde? Nouvelle énigme ajoutée comme à plaisir dans une matière moins que claire. Certains tribunaux ont voulu voir dans la faute « inexcusable » une aggravation de la faute lourde, -on serait induit à croire que cette dernière est nettement délimitée. <«< Elle ne peut s'entendre d'une faute qui ne serait que grave; elle consiste dans une faute exceptionnelle, au point d'être quasi dolosive, allant jusqu'à la méchanceté et jusqu'au mauvais vouloir (2) »; « elle doit s'entendre, non pas de la faute lourde et grossière, mais de celle qui n'admet pas d'excu

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(1) Pour nous, nous renonçons à comprendre, au point de vue juridique, cet amalgame variable de risque et de faute, suivant la densité fautive du fait. Système bâtard, né de mutuelles concessions, et conservant tous les défauts, sans les qualités, des systèmes oppo

sés.

(2) Trib. Nantes, 27 nov. 1899, D. P. 1900, 2, 81, et la note; Trib. Besançon, 23 nov. 1900, D. P. 1900, 2, 227.

ses (1). » La faute inexcusable serait done plus que la faute lourde; elle se rapprocherait du fait intentionnel duquel il sera souvent difficile d'en saisir la différence (2).

Au contraire, d'autres tribunaux estiment que la faute «< inexcusable » n'est que la faute lourde. « Elle est l'équivalent de la faute lourde, puisque, si elle était plus grave, elle se confondrait avec le fait intentionnel ou constituerait bien inutilement un nouveau degré de faute; dès lors, elle doit se définir celle que le patron ou l'ouvrier, soucieux de la sécurité d'autrui et de lui-même, sinon de ses propres intérêts, ne devrait pas commettre (3). »

:

«Si la faute inexcusable échappe à une définition, parce qu'elle répond à une notion dont l'appréciation est subordonnée aux circonstances les plus variées, elle doit néanmoins s'entendre d'une faute grossière, impardonnable, qui doit être d'une gravité telle qu'elle soit sans excuse (4). »

Pure logomachie, on s'entend sur le fond et non sur les mots. C'est une affaire d'interprétation personnelle, c'est une question de fait dont la connaissance est subordonnée aux circonstances et laissée à l'appréciation souveraine des juges.

(1) Trib. Neufchâteau, 23 nov. 1899, D. P. 1900, 2, 85, et la note; diverses décisions citées à l'off trav., juin 1901, p. 429.

(2) Trav. prép., Thévenet, rapp., Sén., 19 mars 1896, J. O., p. 274; 4 mars 1898, J. O., p. 238; 18 mars 1898, J. O., p. 332; Th. Girard, Sén., 18 mars 1878, J. O., p. 31; Max. Lecomte, Sén., 20 mars 1896, p. 280; Tirard, Sén., 26 mars 1889; Loubat, op. c., nos 264, 295. (3) Trib. Château-Thitrry, 17 Janv. 1900, D. P. 1900, 2, 269; Trib. Narbonne, 13 fév. 1900. D. P. 1901, 2, 83; Besançon, 28 fév. 1900, S. 01, 2, 201 et la note; V° Sachet, op. c n's 1052-1081.

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(4) Rouen, 28 fév. 1900, D. P, 1900, 2. 197.

La faute inexcusable nous apparaît être une faute poussée jusqu'à son dernier degré de gravité, et voisine du dol, proxima dolo (1).

154. Reste enfin la catégorie des accidents dont la cause est inconnue in genere. La loi de 1898 n'en parle pas. Il y a lieu de présumer leur caractère industriel et de le comprendre dans le risque professionnel, lorsqu'ils sont survenus sur le lieu et pendant la durée du travail : tout prêt à croire qu'ils sont la conséquence du travail. Mais s'ils s'étaient produits pendant une interruption du travail et surtout hors du lieu de travail, la présomption n'aurait plus sa raison d'être : la cause du dommage devrait être attribuée à un fait extérieur à l'industrie. Nous disons présomption d'un cas fortuit, et nou d'une faute; nous pourrions, nous devrions même dire que c'est un pur cas fortuit (2).

Quant à connaître l'étendue d'application que le législateur a faite du principe, quant à rechercher les moyens de réparer ce risque dans une mesure équitable pour le patron et d'une façon assurée pour l'ouvrier, quant à examiner le

(1) La faute inexcusable est réfléchie, calculée, voulue dans sa cause et non dans ses conséquences, car alors elle constituerait le fait intentionnel qui n'est autre chose que le dol. L'intention comprend non seulement la volonté d'accomplir l'acte qui détermine l'accident, mais encore le fait d'en vouloir les conséquences dommageables « L'inteution, dit M. Villey, se distingue de la volonté. A notre sens, l'intention (in tendere) consiste à vouloir les conséquences de l'acte qu'on com. met. La volonté porte sur l'acte lui-même; l'intention sur les conséquences de l'acte. Cette distinction se dessine assez bien dans le crime de coups ou blessures volontaires ayant accasionné la mort, sans intention de la donner ». Villey, note sous arrêt Cassation, 25 avril 1885, S. 87, 1, 137.

(2) V. note du n° 149 de l'ouvrage.

mode de juridiction compétente et la procédure à suivre, ce serait entrer dans le domaine économique et social qui dépasse l'objet de notre étude, cela ne toucherait plus au fondement juridique de la responsabilité, unique objet de ce travail.

SECTION II

Critique de la théorie du risque professionnel.

155. La théorie du risque professionnel a soulevé de très vives critiques et une ardente opposition de la part de ceux, très nombreux, dont elle heurtait les préjugés juridiques ou troublait les habitudes commerciales. Ces critiques se rattachent à trois ordres de point de vue juridique, économique et philosophique.

156. Au point de vue juridique, les critiques portent sur la notion même du principe, et sur l'étendue qui en a été faite.

157. Le risque professionnel malgré la faveur dont il jouit et sa fortune prospère, repose sur une iniquité, car le droit français ne reconnaît que deux causes d'engagements : les engagements que l'on prend en contractant ou en conduisant l'affaire d'autrui, ou bien le dommage causé à autrui par sa faute. Telle est la grande objection qu'on rencontre dans la bouche de tous les juristes, qui s'élèvent contre toute idée nouvelle sous prétexte qu'elle renverse les principes du Code civil (1). »

(1) Celle objection était incessamment renouvelée à la Chambre et surtout au Sénat; elle eut aussi pour défenseur M. Hubert Valleroux,

Pour la réfutation de cette critique générale, nous renvoyons le lecteur à nos précédentes observations, nous ajouterons seulement cette pensée. Il n'est pas de notion juridique immuable; la loi de l'évolution régit souverainement le monde juridique comme le monde matériel. Il ne faut donc pas identifier le droit avec tel ou tel texte écrit ; la législation, bien que codifiée, se transforme néanmoins sous la poussée des nécessités de la pratique : réglant les rapports des hommes entre eux, le droit doit se modifier suivant ces rapports.

« Le législateur a pour mission de suivre le mouvement non seulement des idées, mais des faits économiques. Souvent, il précède le mouvement des idées, et il a tort; souvent aussi, il le suit trop tardivement, c'est encore un tort; mais ce qu'il doit toujours faire, c'est se conformer aux évolutions économiques qui se traduisent par des faits et qui constituent évidemment, par voie de conséquence, une modification de l'état social (1). »

158. Sans critiquer le principe même, d'aucuns autres ont critiqué l'étendue que le législateur a donné au principe. Pourquoi reconnaître l'existence du risque professionnel et n'en déduire les conséquences que dans certains métiers seulement? Il n'existe pas dans telle ou telle entreprise déter

qui prétend que le risque professionnel n'est pas un principe, mais un système, Etude sur la Respons. en mat. acc. trav. Paris 1892, P. 11.

(1) De Lamarzelle, Ch., 18 mai 1888, J. O. p. 1438; Vo de Ramel, Ch. 18 mai 1893, J. O., p. 1444. Cf. avec discours de Chimirri, Congrès Milan, 1894, II, p. 300.

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