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D'une façon générale, la maladie est la conséquence d'une cause à laquelle le travailleur est exposé d'une façon continue, qui constitue pour ainsi dire un risque certain; l'accident résulte d'un événement imprévu auquel on ne peut se soustraire, c'est une affection due à une cause violente et extérieure. En fait, la distinction entre les accidents et les maladies professionnelles ressort du pouvoir discrétionnaire du juge.

146. Le second caractère est que l'accident provienne du travail, qu'il soit survenu « par le fait ou à l'occasion du travail ».

L'accident doit être la conséquence du travail; par suite il n'y a pas à tenir compte de l'aggravation qui résulte d'une infirmité préexistante, (alcoolisme, diabète). Le juge ne doit mettre à la charge du patron que les seules conséquences qu'aurait eues l'accident sur un sujet normalement sain (1). Cette solution n'est pas écrite dans la loi, mais elle est conforme à l'intention de ses auteurs (2).

De plus, le travail, cause de l'accident, doit être l'exercice de la profession spéciale de la victime. Sur un échafaudage se trouvent un maçon qui recrépit le mur, et un amateur, par exemple un ouvrier tisserand, monté là par curiosité; l'échafaudage s'effondre et blesse les deux hommes. Le maçon aura droit à une réparation, car c'est un accident du travail ; le tisserand, quoique blessé dans les mêmes circonstances,

et s.; Lecouturier, Tr. acc. trav., n° 21; Baudry-Lacantinerie et Wahl, Tr. contral louage, t. II, no 1835. Paris, 1er mai 1900, S. 1900, 2, 281; Lyon, 7 juin 1900, S. 01, 2, 282 et les renvois.

(1) Vo Loubat, op. c., no 84; Sachet, op. c., nos 209, 210. (2) Séance Ch. 5 juin 1893 J. O. p. 1613.

ne sera point fondé à réclamer le bénéfice de notre loi, parce qu'il n'a pas été victime dans l'exercice de sa profession. A l'inverse, ce même tisserand, blessé par le métier qu'il dirige, aura droit à une indemnité, tandis que le maçon, mutilé par ce métier dont il s'est servi par fantaisie, serait mal venu à formuler une réclamation, L'ayant-droit à une indemnité est considéré comme ouvrier, et le non-fondé comme un homme quelconque.

Le travail peut être la cause directe ou simplement la cause occasionnelle de l'accident.

La cause directe ou efficiente, c'est la cause inhérente aux occupations de l'ouvier, c'est « le fait du travail ». Tel est le cas de l'ouvrier blessé par l'outil qu'il manœuvre, la substance qu'il manipule, le fardeau qu'il transporte, la machine qu'il fait fonctionner, la chute qu'il fait d'un échafaudage.

La cause occasionnelle est celle qui n'est pas inhérente au travail, mais qui s'y rattache par un lien plus ou moins étroit l'accident est survenu « à l'occasion du travail. » L'accomplissement de la tâche appelle momentanément l'ouvrier en certains déterminés, ou le met en rapport avec d'autres personnes. Ainsi un ouvrier dans l'atelier est occupé à son travail; une lampe placée au-dessus de sa tête, se détache et le blesse ; un maçon, au sommet d'un mur de construction, est occupé à fixer une pierre; un manœuvre, passant à côté de lui, laisse tomber sur sa tête une corbeille de moellons, qui l'atteint grièvement. Dans ces circonstances, l'ouvrier industriel, le maçon ont été victimes d'un accident <«< survenu à l'occasion du travail (1). »

(1) Vo Sachet, nes 279 à 295; Block, Jur. allem. en mat. d'acc. Econom fr., 12 déc. 1891, p. 739.

Tout en donnant à ces derniers termes l'interprétation la plus libérale, on ne saurait faire rentrer dans la catégorie des accidents survenus à l'occasion du travail, des accidents qui ne se rattachent pas d'une façon indiscutable au travail de l'ouvrier, mais seulement par une coïncidence fortuite. Une pareille extension serait non seulement en désaccord avec la formule du risque professionnel, mais encore avec l'intention du législateur. Pour ne citer qu'un cas de ces abus d'interprétation, on s'est demandé notamment si l'accident survenu à l'ouvrier en dehors même de l'atelier, au moment où il se rendait au travail, ou bien au moment où il en revenait, devait bénéficier des dispositions de l'article 1er. Le jour n'était pas levé, ou la nuit déjà venue; dans l'obscurité, l'ouvrier se heurte à une grosse pierre, il tombe et se fracture une jambe ou un bras. Accident de travail, a-t-on dit, car le travail a été, sinon la cause directe, du moins l'occasion de cet accident. Un pareil raisonnement est d'une inexactitude absolue. Survenu en dehors de l'usine, en dehors du travail, à une heure où l'ouvrier n'était pas encore ouvrier, mais un simple passant, l'accident ne lui est arrivé ni par le fait, ni à l'occasion de son travail. Il lui est survenu à ce moment comme il aurait pu lui arriver un dimanche, un jour de chô. mage. Ce n'est pas l'ouvrier, c'est l'homme qui en a été victime.

Bien différent serait le cas où, arrivé dans l'usine, l'ouvrier, même en dehors de son travail, se heurte, au milieu d'un couloir, à quelque pièce de bois ou de métal, oubliée ou tombée, et se fait une blessure. Cette fois l'accident sera bien survenu à l'occasion du travail. Entré dans l'usine, le blessé était déjà, on peut dire, dans ses fonctions, dans son rôle

d'ouvrier; c'est à l'occasion de ces fonctions, de ce rôle qu'il a été blessé il doit être protégé par le risque personnel (1). Par conséquent, seul l'accident donne droit à indemnité; mais tout accident y donne droit, pourvu qu'il soit causé par le travail, sans distinction suivant la nature et le danger de la tâche (2). Ainsi, tout accident dont la cause réside dans le travail, rentre dans le domaine du risque professionnel, et tout accident dont la cause est extérieure au travail, reste en dehors de la loi du 9 avril 1898.

147. Un intérêt considérable s'attache à rechercher, parmi les causes possibles d'accidents, celles qui sont inhérentes et celles qui sont extérieures au travail, et aussi à connaître l'application que le législateur a fait de ces principes. Sans plus tarder, disons que le fondement traditionnel de la responsabilité était tellement vivace dans les esprits, surtout des jurisconsultes, que le Parlement n'a pas su s' s'en débarrasser, et que la loi s'en est ressentieet ne peut s'expliquer sans qu'on fasse intervenir la notion de faute.

Les accidents industriels peuvent avoir, abstraction faite du dol, plusieurs causes distinctes : un fait fautif du patron ou de l'ouvrier, un cas fortuit, une force majeure. ou un fait toutes inconnu. Ces causes proviennent-elles du travail ?

(1) Serre, op. cit., p. 86; Tarbouriech, op cit., no 172; Rouen, 28 fév. 1900, D. P. 1900, 2, 181; Dijon, 9 mai 1900, D. P. 1901, 2, 133; Douai, 7 août 1900, et Saint-Etienne, 20 oct. 1900, D. P. 1901, 2, 85; Caen, 17 déc. 1900, D. P. 1991, 2, 131.

(2) Poirrier, Rapp. au Sén., 28 juin 1893; Sén., doc parl., n° 146, J. O., p. 297; Thévenet, Rapp au Sén., 2 mars 1896 ; Sén., doc. parl., n° 48, J. O., p. 118; Lebon, Sén., 4 juill. 1893, J. O., 730. - La loi de 1897 se garde avec raison de ranger dans les accidents les égratignures de quatre jours.

Certainement non. Mais alors quelles sont les causes qui donnent lieu, et dans quels cas, à l'application du risque professionnel ?

148. Les accidents dus à la force majeure rentrent-ils dans la catégorie, dite « des accidents du travail ? » On ne saurait le prétendre, car ce genre d'accident résulte d'une cause absolument indépendante de l'entreprise (1): il fait partie du risque général de l'humanité et non du risque spécial de la profession. La victime seule doit en subir les conséquences, par application de la règle de droit naturel, que le sort est d'essence individuelle et que chacun porte le poids de sa destinéé. Ce sont des événements qu'il faut, suivant l'expression de M. Tolain, « laisser au débit de la divinité et à la charge de l'assistance (2) ».

Toutefois, il peut arriver que l'exercice d'une industrie ait pour effet d'aggraver, à l'égard des ouvriers qu'elle occupe, le danger que ces phénomèmes naturels font normalement courir. L'intérieur d'une usine est sillonnée de nombreux fils électriques destinés à répartir la force motrice entre les divers ateliers. La foudre tombe sur une partie de l'établissement sans atteindre personne, mais elle suit les fils conducteurs et va blesser les autres ouvriers qui travaillent à

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(1) N'oublions pas que la force majeure provient d'une cause extérieure à l'entreprise, mais connue : fait d'un tiers, foudre. Se reporter au no 13 de cet ouvrage. - Trib. civil de Bayonne, 20 mars 1900 ; de Rennes, 23 mars 1900; de Bordeaux, 3 décembre 1900; de Lyon, 3 mai 1901, D. P. 1901, 2, 339; Trib. civ. de Wassy, 20 février 1901; Le Droit, 19 avril 1901; Paris, 5 juillet 1901; Le Droit, 13 fév. 1902.

(2) Tolain, Sén., 19 mars 1899, J. O., p. 288.

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