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ment limitatif? Double question que la doctrine résolut diversement.

102. La majorité de la doctrine admet que l'article 1386 constitue une disposition dérogatoire au droit commun : le défaut d'entretien et le vice de construction sont des fautes (1); c'est pour cette raison que le propriétaire du bâtiment est responsable, sur la seule preuve, par la victime, de ce défaut d'entretien ou de ce vice de construction.

Mais l'accord cesse, dès l'instant où il a fallu désigner l'article contenant le droit commun, applicable à toutes les hypothèses non prévues par l'article 1386.

Les uns l'ont voulu trouver dans l'article 1382; les autres dans l'article 1384. « Le principe de la responsabilité, lorsqu'il survient un dommage causé par la ruine, la chûte ou le choc de choses inanimées autres que le bâtiment, est écrit dans les articles 1382 et 1383 (2). » Placé au seuil du chapitre, cet article 1382 rayonne sur toutes les dispositions qui procèdent directement de son esprit et ne sont que la mise en œuvre du principe fondamental.

Mais, répliquent les partisans de l'article 1384. « le dommage causé par une machine, est le dommage causé par une chose; ce n'est pas un quasi-délit direct, c'est plutôt un cas de responsabilité prévu par l'article 1384 (3). »

(1) Le défaut d'entretien est toujours le fait du propriétaire; mais le vice de construction lui est généralement étranger, à moins qu'il ait lui-même dirigé les travaux; cependant le propriétaire ne laisse pas d'en être responsable, car il est en faute d'avoir traité avec un architecte ou un entrepreneur ignorant

(2) Larombière, Oblig. Vo art 1386, no 10.

(3) Laurent, XX, no 639. Vo Demolombe, Engagements sans convention, nos 656 et 638; Sourdat, Respons., II, no 1458; Labbé, note

Pour certains auteurs simplistes, cette distinction est oiseuse, l'article 1384 n'étant qu'un « satellite » de l'article 1382. « Le principe de l'article 1384, d'après lequel on répond du dommage causé par le fait de certaines personnes ou par le fait des choses que l'on a sous sa garde, n'est qu'un développement et une conséquence du grand principe établi dans les articles 1382 et 1383 qui rendent chacun responsable du dommage causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence (1). »

Une seconde controverse vint se greffer sur cette première. Le propriétaire d'un bâtiment, dont la ruine, due au défaut d'entretien, ou au vice de construction, a causé un dommage, est présumé en faute. De quelle présomption de faute s'agitil en la matière ?

De la présomption juris tantum ou de cellejuris et de jure, pour employer les commodes, mais barbares expressions traditionnelles? L'opinion générale de la doctrine est pour cette dernière, la présomption irréfragable et absolue qui ne peut tomber que devant la preuve d'un cas fortuit, de la force majeure, ou de la faute de la victime. Seuls ou à peu près, MM. Laurent et Huc admettent une présomption relative de faute susceptible de disparaître devant la preuve contraire (2). »

103. Une autre opinion voit dans l'article 1386 une disposition complètement indépendante. Cet article est distinct de l'article 1382 qui traite de la responsabilité personnelle

sous arrêt Cass., 19 juil. 1870. S. 71, 1, 9; D. P. 70, 1, 361; Bourguignat, note sous arrêt Montpellier, 20 août 1875, S. 76, 2, 225. (1) Toullier, XI, no 317.

(2) V° Laurent, XX, no 639; Huc, Comm. droit civ., VIII, p. 581.

de son fait; il ne doit pas non plus se confondre avec l'article 1384, comme lui relatif aux choses. L'article 1384 parle du gardien de la chose qui doit répondre de cette chose en raison de l'utilisation et de la maîtrise qui lui en revient; et l'article 1386 parle du propriétaire qui doit répondre de son immeuble en tant que propriétaire; les deux domaines sont absolument distincts, l'on ne saurait identifier un cas avec l'autre. Si le propriétaire répond de son bâtiment parce qu'il a commis une faute, son obligation n'est pas délictuelle, mais légale (1).

104. Toujours à propos de l'article 1386 se pose une autre question bien controversée cet article est-il susceptible d'extension ou strictement limitatif? Cette question ne semble possible que pour l'opinion qui voit dans l'article 1386 une disposition indépendante; car ceux à qui ce texte apparait comme dérogatoire et contenant une présomption de faute, ne peuvent que lui reconnaître un caractère limitatif. Cependant point n'en est.

Pour beaucoup d'auteurs, et non des moindres, l'article 1386 est purement énonciatif. S'il s'occupe spécialement de la ruine d'un bâtiment, « ce n'est pas pour restreindre les cas de responsabilité, mais seulement pour y comprendre un cas d'une importance particulière ». — « Loin done qu'il soit limitatif, il n'est rien autre chose qu'un exemple qui confirme et explique la règle (2). »

(!) Vo notamment Saleilles, op. c., p. 24 in fine, et les auteurs qu'il cite en note.

(2) Larombière. Oblig., Vo art. 1386, no 10; Bourguignat, note sous arrêt Montpellier, 20 août 1875. S. 76, 2, 225; Vo aussi Demolombe, Engag. sans convention, no 664; Toullier, XI, no 317; Sourdat, II, no

Sans doute, à ne consulter que les termes de l'article et à les appliquer d'une façon littérale, on ne saurait généraliser ce texte et l'appliquer aux dommages causés par toutes choses inanimées. Mais l'interprétation littérale ne saurait ici prévaloir, car elle méconnaîtrait l'esprit très large dans lequel l'article 1386 a été conçu, qui consiste à rendre le propriétaire responsable des vices dont sa chose est atteinte et des accidents qui en résulteront (1). En bonne logique, cette obligation ne peut être imposée aux propriétaires de bâtiments, et demeurer étrangère aux propriétaires de toutes autres choses inanimées. L'article 1386 cite les bâtiments à titre d'exemple; mais sa portée est plus générale, ses dispositions doivent s'appliquer toutes les fois que se présentent des hypothèses analogues.

Quelques rares auteurs ne partagent pas ce sentiment. Que le dommage soit causé par la ruine d'un bâtiment ou l'explosion d'une machine, il est dû d'ordinaire à un vice de construction ou à un défaut d'entretien. « L'analogie est évidente; mais l'analogie suffit-elle pour écarter le principe général?... Nous croyons qu'il faut s'en tenir aux textes, maintenir l'article 1384 comme règle générale, et n'appliquer l'article 1386 qu'aux bâtiments (2). »

105 La jurisprudence eut d'abord recours à l'article 1386 « généralisé ». L'initiative de ce mouvement revient à la

1.468; Labbé, note sous arrêt Cass., 19 juil. 1870, S. 81, 1, 9 70, 1, 361.

; D. P.

(1) Admettre cette idée, c'est sortir du domaine délictuel pour entrer dans le domaine légal : ce n'est plus la faute, mais la loi qui crée l'obligation.

(2) Laurent, XX, no 639. Vo Huc, VIII, p. 581.

Cour de Paris, qui dès 1877 affirma le caractère purement énonciatif de cet article. « Considérant que la responsabilité, établie par l'article 1386, est attachée à la propriété comme sanction de la négligence et de l'incurie du propriétaire................ qu'il est responsable, par application du même principe, du dommage causé par la chûte d'un arbre qui lui appartient, à moins de cas purement fortuit ou de force majeure (1). » Dix ans plus tard, la Cour suprême appliquait les mêmes principes à une espèce bien différente et étendait l'article 1386 aux machines fixées au sol. « La disposition de l'article 1386 a pour fondement le principe que le propriétaire est responsable de plein droit des défauts qui sont inhérents au bâtiment;... ce principe s'étend à tout ce qui en dépend par incorporation, spécialement à une machine (2). » La jurisprulence comprit dans le domaine de l'article 1386, les dommages causés par les arbres, les machines, en un mot par les choses inanimées faisant, comme les bâtiments, partie inté

(1) Paris, 20 août 1877, S. 78, 2, 48. D'après la jurisprudence, la responsabilité du patron basée sur l'article 1386 repose toujours sur l'idée de faute : « Le défaut d'entretien et le vice de construction sont des faits qui constituent des fautes. » Ces faits établis, la faute est présumée : <«<le propriétaire est responsable de plein droit des défauts inhérents au bâtiment. » (Présomption juris et de jure).

(2) Cass. civ., 19 avril 1887. S. 87, 1, 217, V. Toulouse, 25 mai 1892, S., 92, 2, 221, note et renvoi; Paris, 19 mai 1893, S. 93, 1, 17. Constatons à nouveau que la jurisprudence fait l'application de l'article 1386 à des individus juridiquement étrangers l'un à l'autre (espèce du jugement, Paris, 20 août 1877) et à des personnes unies par un contrat de louage de services (espèce du jugement, Cass, 19 avril 1887) elle n'estime pas que la préexistence d'un lien volontaire peut servir de base à une distinction et faire obstacle à l'application de l'article 1386.

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