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Le cas fortuit est l'événement qui, s'il échappe, lui aussi aux prévisions humaines, a sa cause dans le fonctionnement même de l'exploitation. Le caractère de fortuité dépend d'une appréciation subjective; il varie avec les progrès de la science et la perspicacité des individus; telle chose peu sembler impossible à une époque ou à une personne, qui paraît réalisable à un temps postérieur ou à une personne plus intelligente. L'explosion d'une chaudière, la rupture d'un volant ou d'un arbre de transmission sont des cas fortuits industriels (1).

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14. La première question que nous avions à examiner nous est connue ; la seconde A quel titre l'indemnité estelle conclue? - va faire l'objet de la dernière partie du paragraphe premier. Cette question peut s'envisager sous un double aspect par rapport à la personne responsable et par rapport à la victime.

15. A quel titre la personne responsable doit-elle indemnité ? En d'autres termes comment doit-on considérer cette indemnité ? Comme une peine ou comme une réparation du préjudice causé? Le droit romain, logique avec lui-même, consacrait dans la réparation pécuniaire de véritables peines; la réparation n'était que la rançon de la vengeance; pœna est noxæ vindicta (2). Notre ancien droit français, héritier des anciens principes romains, conserva la même théorie des << compositions pécuniaires »>, appelées en germain

(1) V. Sachet, Accidents du travail, nos 256 et 262; Josserand, Responsabilité des acc. du trav., p. 122.

(2) Fragm. 131, pr. Dig. De verb. signific. L. 16. L'évolution de la répression du délit en droit romain est nettement indiquée par M. May, Précis de droit romain no 177.

<< Wehrgeld », argent de l'homme ou argent du sang (1). Ce caractère, bien qu'atténué, existe encore dans les dommages-intérêts dus en vertu de l'article 1382 du Code civil. La responsabilité civile, telle que la concevaient les rédacteurs de 1804 et que nous la concevons à leur suite, c'est-à-dire uniquement fondée sur un fait volontaire, est une responsabilité morale répondant à un double but d'une part ne pas laisser sans réparation le préjudice causé; d'autre part inciter les individus, par la menace de lourdes indemnités, à prendre toutes précautions possibles pour ne pas nuire à autrui. Mais de nos jours où la base de la responsabilité tend à se modifier, où le fait objectif de risque a déjà remplacé dans certaines matières le fait subjectif de faute, il ne faut pas concevoir l'indemnité comme une peine, mais seulement comme une légitime réparation d'un dommage causé (2).

16. La victime reçoit l'indemnité à titre de réparation du préjudice qu'elle a souffert. D'après la lettre et l'esprit de l'article 1382, la réparation doit être intégrale et absolument adéquate au dommage éprouvé. La jurisprudence, d'accord avec la doctrine, tient compte du préjudice matériel et momal (3). Dans la responsabilité fondée sur un risque, l'in

(1) V. Gauthier, Précis de l'hist. du dr. fr., p. 137.

(2) V. Saleilles, Acc. trav. et Resp., p. 4. Une distinction fondamentale s'impose en matière de responsabilité. Au point de vue pénal, la responsabilité gardera son caractère subjectif : la peine sera représentative d'une faute; au point de vue civil, la responsabilité se dépouillera de cet élément subjectif, la condamnation ne sera plus que la représentation d'un risque couru.

(3) V. Cass., 20 fév. 1863, S. 63, 1, 321; Bourges, 16 déc. 1872, S. 74, 2, 71; Besançon, 1er déc. 1880, S. 81, 2, 20; Cass. belge, 13 janv.

demnité constituera une réparation du dommage subi, mais une réparation déterminée d'une façon plus étroite et moins arbitraire. Le dommage sera apprécié dans ses conséquences immédiates, dans la seule matérialité (1); le chiffre de l'indemnité sera, sinon fixé d'une façon exacte, du moins variable entre un maximum et un minimum. Dans la question particulière des accidents du travail, l'industrie qui est non coupable, mais responsable des accidents qu'elle entraîne, doit la réparation du préjudice qui en résulte. Or, ce préjudice, en quoi consiste-t-il ? Il consiste dans la suppression ou la diminution du salaire. L'industrie est donc tenue de restituer le salaire ou la portion de salaire dont se trouvent privés, à raison de l'accident, l'ouvrier et sa

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1890, S. 90, 4, 23, et 20 fév. 1892, S. 92, 4, 39. Larombière, Oblg., art. 1382, n° 36; Sourdat, de la Responsabilité, t. I, no 25. Certains auteurs, et non sans raison, précisent la notion de l'intérêt moral, qu'il distingue de l'intérêt d'affection, lequel ne saurait fonder une action en dommages-intérêtз. « Rien, écrit M. Laborde dans la Revue Critique, 1894, p. 23, rien ne peut compenser l'affection que vous avez pour une personne l'affection est un sentiment, ce n'est pas un bien dont la perte puisse être qualifiée de dommage. La preuve ne peut émaner que de la personne qui l'invoque; or on ne saurait l'admettre sans violer la règle que nul ne peut se créer un titre à soi-même. Les atteintes à l'honneur, à la considération, à la réputation font éprouver un préjudice moral d'une évaluatiou difficile sans doute, mais non impossible, car pour l'établir on fait appel à l'opinion des tiers. C'est pourquoi il faut rejeter la prétention des héritiers qui voudraient exercer l'action civile de leur propre chef, propter causam doloris. »

(1) L'élément subjectif est laissé de côté : on s'attache surtout aux faits extérieurs, aux manifestations sociales de la vie, et on écarte les recherches d'intention toujours si compliquées. V. Saleilles, Accidents du travail, no 3; Ref. sociale, 16 avril 1898, p. 647.

famille. Par suite l'indemnité se trouve tarifée. Cette tarifi cation est une des conséquences nécessaires du principe du risque professionnel : « C'en est, disait M. Floquet, une des raisons d'être principales (1). »

§ II.

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RÉGLEMENTATION DE L'ACCIDENT DE TRAVAIL.

17. Tout travail, à des degrés divers, comporte avec lui des dangers, peut entraîner des accidents. Un accident du travail serait donc l'accident causé à l'ouvrier par l'exécution de son travail. Les auteurs modernes ont donné à cette expression une signification particulière que nous devons préciser. D'après eux, elle ne comprend pas le dommage purement matériel, mais seulement le dommage causé à la personne. Qu'un préjudice soit occasionné à l'ouvrier dans ses vêtements, dans ses outils, dans sa chose en général, cet accident ne recevra pas la qualification « d'accident du travail », cette expression étant spécialement réservée aux seuls accidents survenus dans la personne de l'ouvrier (2).

18. Qu'est-ce qu'un ouvrier? Qu'est-ce qu'un patron? Le sens exact de ces termes, sans cesse revenus dans le cours de ce travail, nous doit être connu de suite. Sans nous arrêter à l'objection de M. Leroy-Beaulieu, victorieusement réfutée par M. Glasson (3), nous croyons pouvoir donner de ces mots la notion suivante.

(1) Floquet, Sénat, 13 juin 1895, J. O., p. 609. L'indemnité forfaitaire est une conséquence logique du Risque professionnel, comme l'indemnité intégrale de l'idée de Faute: ces deux idées vont de pair. C. f. avec le n° 182 de cet ouvrage.

(2) V. Baudry, Lacantinerie et Wahl, Louage, t. II, nos 1281-1283 bis.

(3) M. Leroy-Beaulieu prétend qu'on ne peut distinguer l'ouvrier

Le mot patron éveille d'abord l'idée d'une location de services une personne ayant un travail manuel à exécuter, s'adresse à une ou plusieurs autres dont elle loue les services. Par ce seul fait, cette personne n'est pas devenue patron. Un second élément est nécessaire : la direction du travail. L'employeur s'est-il attribué la direction, il devient patron; au contraire, l'employé conserve-t-il la maîtrise de son activité, l'employeur restera un simple preneur de services. Ainsi, le mot patron implique cette double idée de location de services et de direction ou commandement. Le patron est donc « celui qui engage les services d'autrui pour l'exécution de travaux matériels déterminés, en se réservant le droit de diriger son activité (1). » L'expression de patron est plus spécialement réservée au cas de travail industriel.

19. L'idée de patron a pour corrélatif celle d'ouvrier. L'ouvrier sera la personne qui se livre à un travail manuel pour le compte d'autrui et moyennant salaire. Cette notion comprend tous les gens de travail, les domestiques comme les ouvriers.

des autres hommes, parce qu'il n'existe plus d'cuvriers, mais seulement des citoyens libres, également soumis aux mêmes lois. A quoi M. Glasson répond justement qu'à défaut de classes les professions existent toujours et permettent de distinguer les citoyens, au lieu de les confondre dans une masse immense et confuse; toujours il y aura des clercs et des laïques, des militaires et des civils, des commerçants et des non-commerçants, des patrons et des ouvriers. V. Glasson, le Code civil et la Question ouvrière, p. 59.

(1) Doctrine et jurisprudence sont unanimes en ce sens. Sourdal, De la Responsabilité, nos 185-187 et note; Cassation, 30 décembre 1875, S. 76, 1, 97; Cassation, 4 février 1888. S. 88, 1, 463; Toulouse, 3 mars 1883. S. 84, 2, 261; Lyon, 12 janvier 1897. S. 97, 2, 301.

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