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Fee Sept. 10, 1900.

AVANT-PROPOS

La Faculté de Droit de Paris avait proposé pour le concours Rossi de 1892 le sujet suivant : « Du louage de services. Etude sur les rapports juridiques entre les patrons et les ouvriers employés dans l'industrie. » Mais aucun des quatre mémoires déposés en 1892 n'ayant été jugé digne d'une récompense, la question fut remise au concours, pour l'année 1894, et le prix fut porté de 2000 francs à 4000 francs. Cette fois, dix mémoires furent présentés et la Faculté en retint deux : l'un a pour auteur M. Hubert-Valleroux et l'autre est le livre que l'on va lire.

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Le rapport de M. le professeur Fernand Faure, après avoir indiqué l'ordre dans lequel chacun des deux mémoires couronnés dispose la matière, poursuit en ces

termes :

« Ce n'est pas seulement dans la forme, c'est aussi et

surtout dans le fond, c'est par les tendances et les doctrines essentielles que l'opposition se manifeste entre les auteurs des deux mémoires retenus par la Faculté.

» M. Hubert-Valleroux est un libéral décidé. Il n'admet qu'à titre exceptionnel l'ingérence de l'Etat dans les rapports du patron et de l'ouvrier. L'ouvrier adulte est pour lui un majeur qui peut et qui doit rester chargé de la défense de ses intérêts dans ses rapports avec le patron. Ce n'est pas un mineur que l'Etat doive tenir en tutelle et entourer d'une protection qui n'est qu'une des formes de l'asservissement économique. Ce n'est pas seulement au nom de sa dignité, c'est aussi au nom de son intérêt, de son intérêt purement économique qu'il faut garantir à l'ouvrier adulte un régime de liberté, qu'il faut le mettre à l'abri des tyrannies socialistes d'où qu'elles viennent, de l'Etat, de la commune, des syndicats ou d'ailleurs. Que la loi soit égale pour tous, qu'elle n'accorde à personne ni faveurs ni privilèges d'aucune sorte et la liberté conduira l'ouvrier à l'amélioration graduelle de sa condition sociale.

» Pour M. Georges Cornil, l'égalité de droit peut exister, à la rigueur, entre l'ouvrier adulte et le patron. Mais il ne peut pas y avoir égalité de fait. Pressé par le besoin de vivre, l'ouvrier est dans une condition forcément inférieure vis-à-vis du patron avec lequel il traite. Et l'égalité de fait n'existant pas entre les deux parties, il ne saurait être question de liberté pour la partie la plus faible. Cette prétendue liberté n'est qu'une apparence et

un trompe l'œil. En réalité l'ouvrier est une victime que le patron peut exploiter à son gré.

» Comment remédier à un pareil état de choses? Fautil compter sur les institutions patronales, sur les coalitions, les grèves, les syndicats? M. Cornil ne le pense pas. Seule, l'intervention de la loi, de l'autorité, lui paraît capable d'établir et de conserver l'équilibre entre le patron et l'ouvrier.

La Faculté, Messieurs, a rempli impartialement sa mission en retenant ces deux mémoires si dissemblables de ton et d'inspiration. Elle est heureuse de rendre hommage à leur mérite, en accordant à chacun d'eux la moitié du prix de 4000 fr. dont elle dispose cette année.

Mais, de même qu'elle n'impose pas d'opinion à ses candidats, la Faculté aime à laisser la plus grande liberté à ceux qui parlent devant elle. Rendant compte de ce concours, il me paraît bien difficile de rester spectateur indifférent du grand débat institué entre les partisans et les adversaires de la liberté dans le contrat de travail. Un débat de cette nature, dans les conditions où il est engagé aujourd'hui, est de ceux qui obligent à prendre parti et à ne laisser planer aucun doute sur la solution que l'on adopte.

Aussi, dirons-nous très franchement qu'entre la doctrine libérale de M. Hubert-Valleroux et la doctrine interventionniste de M. Georges Cornil, nous n'hésitons point à nous prononcer en faveur de la première.

» La doctrine du mémoire de M. Cornil repose, en

réalité, pour appeler les choses par leur nom, sur le prin cipe même de la doctrine socialiste. L'auteur du mémoire, nous le reconnaissons volontiers, est loin d'en accepter toutes les conséquences. Mais qu'il nous permette de le lui dire, ce qu'il ne fait pas, d'autres se chargeront de le faire pour lui. Il y a, dans les doctrines comme dans les événements, une logique inflexible. Elles forment un bloc dont les fragments, disjoints un moment, finissent toujours par se rejoindre. Certains principes étant posés, il est impossible que toutes leurs conséquences ne finissent pas par se produire. Les traits caractéristiques du socialisme sont bien connus. Quoi qu'on en dise, ils n'ont pas varié depuis cinquante ans. Personne ne les a mieux saisis et marqués que de Tocqueville, dans l'admirable discours qu'il prononça à la Constituante, le 12 septembre 1848, sur la question du droit au travail. Je demande la permission de rappeler ici quelques-unes de ses paroles. « Le

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premier trait caractéristique de tous les systèmes qui >> portent le nom de socialistes, disait-il, est un appel énergique, continu, immodéré aux passions matériel» les de l'homme. Il y en a un second, c'est une atta>> que tantôt directe, tantôt indirecte, mais toujours conti»> nue aux principes mêmes de la propriété individuelle..... Et plus loin, « voici le troisième et dernier trait, celui qui caractérise surtout, à mes yeux, les socialistes de » toutes les couleurs, de toutes les écoles, c'est une dé>> fiance profonde de la liberté, de la raison humaine; » c'est un profond mépris pour l'individu pris en lui

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