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est justifiée par le devoir social de laisser au débiteur l'indispensable; tandis que l'incessibilité a pour but de proté ger le sujet investi contre lui-même. C'est une mesure excessive qui souvent dépasse le but. Pourquoi ne pas laisser au débiteur la libre disposition des droits et objets insaisissables? Peut-être trouvera-t-il dans un dernier sacrifice le moyen de prolonger pendant quelques jours une situation qui lui permettra de rétablir ses affaires. Dans tous les cas il agit sous sa responsabilité et cela doit suffire. »

Le principe de l'incessibilité des salaires ne fut pas admis sans contestation par la Chambre des députés. Il avait été proposé par le gouvernement, mais repoussé par M. Jacquemart dans le rapport qu'il fit au nom de la commission de la Chambre le 2 mai 1893. Adopté d'autre part par le rapport de M. Vival du 16 mai 1893, il fut consacré par le vote de la Chambre du 27 juin suivant.

Le même projet de loi proclame que les restrictions à la cessibilité et à la saisissabilité des salaires ne s'appliquent pas aux cessions et saisies qui auraient lieu pour cause d'aliments dus en vertu des articles 203,205,206,207 et 349 du Code civil.

Enfin, aux termes du même projet de loi le patron qui a fait des avances à ses ouvriers ne peut se rembourser qu'au moyen de retenues successives ne dépassant pas le dixième du montant des salaires.

Le 27 octobre 1894, le Sénat a, à son tour, adopté en première délibération le projet de loi relatif à la saisie-arrêt des salaires; mais il a introduit, dans le système consacré par la Chambre, des modifications qui auront malheureusement pour conséquence de retarder la solution du problème.

En Belgique, aux termes d'une loi du 18 août 1887, « ne peuvent être cédées pour plus de deux cinquièmes ni saisies pour plus d'un cinquième les sommes à payer aux ouvriers et gens de service du chef de leurs salaires. » En outre le

projet de loi belge sur le louage de services des ouvriers et des domestiques, assimile aux salaires, quant à l'incessibilité et l'insaisissabilité, les dommages-intérêts et les indemnités dus par le patron en cas d'accident du travail (art. 17).

En Angleterre, l'Act du 14 juillet 1870 déclare que dorénavant les cours de justice ne pourront plus ordonner la saisie des salaires des domestiques, laboureurs ou ouvriers. Mais aucune loi anglaise ne défend aux ouvriers de céder leurs salaires.

En Allemagne, aucune fraction du salaire n'est déclarée incessible ni insaisissable; mais aux termes d'une loi du 21 juin 1869 la cession ou la saisie du salaire ne peuvent avoir lieu qu'après le jour où, suivant le contrat ou la coutume, le salaire aurait dû être payé.

En Autriche, aux termes de la loi du 29 avril 1873 1, le salaire des ouvriers est insaisissable pour les deux tiers de son montant.

En Hongrie, l'article 62 de la loi LX sur la procédure civile du 1er juin 1881 ne permet de saisir le salaire des ouvriers que s'il dépasse 1 florin 50 par jour et seulement pour la quotité supérieure à ce chiffre.

En Espagne, une disposition générale du Code interdit de saisir les appointements, gages ou salaires inférieurs à 24 réaux (6 francs) par jour.

Aux Etats-Unis la protection des salaires n'est pas régie par une loi fédérale; mais les lois de la plupart des Etats de l'Union déclarent insaisissable une portion des salaires. Ainsi une loi de l'Etat de Québec de 1881 2, fixe à la moitié la partie insaisissable des salaires.

1. Ann. lég. étr., III p. 245. 2. Ann. lég. étr., XI p. 821.

CHAPITRE III.

FORMATION ET PREUVE DU LOUAGE DE SERVICES.

Le louage de services n'exige pour sa validité aucune forme spéciale: il est parfait par le seul consentement des parties contractantes, qui en débattent librement les conditions dans les limites fixées par la loi.

Pour faciliter la mise en présence des parties contractantes et pour leur permettre de ne s'engager qu'en pleine connaissance de cause, diverses institutions ont été créées, notamment les bourses du travail et les offices du travail.

Jusque dans ces derniers temps l'ouvrier cherchant du travail était réduit à s'adresser à des bureaux de placement et à payer à ces intermédiaires qui le mettaient en rapport avec un employeur d'importantes commissions. C'est pour parer à cetinconvénient et aussi pour renseigner les ouvriers sur les prix du travail, que l'on a imaginé de créer, pour le travail, une bourse, comme il en existe une pour les marchandises et valeurs, c'est-à-dire un marché sur lequel l'offre et la demande sont mises en présence 1.

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1. Consultez notamment : De Molinari, Les Bourses du travail, Paris, 1893; - Office du travail, Le placement des employés, ouvriers et domestiques en France, avec un appendice relatif au placement dans les pays étrangers, Paris, 1893; Beaumont (H. de), Le placement des ouvriers, employés et domestiques en France et à l'étranger, dans le journal des économistes, 5e série, tome XIV, p. 66. Lescarret (J. B), Les syndi cats professionnels et la bourse du travail à Bordeaux, dans les séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, CXXXIV (1890),

p. 463.

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L'idée d'ouvrir une bourse du travail fut émise pour la première fois en 1843 par M. de Molinari, et ce n'es tque le 28 avril 1887 que commença à fonctionner à Paris, sous les auspices du Conseil municipal, la première bourse du travail. Depuis lors, des institutions analogues ont été créées dans d'autres villes, telles que Nimes, Lyon, Marseille, Saint-Etienne, etc 1. En Belgique et en Suisse il existe également des bourses du travail dans plusieurs villes.

L'institution des bourses du travail est trop récente pour être déjà parfaite. M. de Molinari partage les bourses du travail en deux catégories, qu'il appelle les bourses socialistes et les bourses philanthropiques, et qui présentent toutes deux de graves inconvénients.

Les bourses socialistes, telle la bourse de Paris, subventionnée par l'Etat et gérée par des syndicats ouvriers ne possèdent point l'indépendance nécessaire pour inspirer une confiance égale aux patrons et aux ouvriers. Chacun sait d'ailleurs dans quelles circonstances la Bourse du travail de Paris dut être fermée dans le courant de l'année 1893 2.

D'autre part, les bourses philanthropiques, telles que celles de Bruxelles et de Liège, «< ne peuvent avoir qu'une utilité locale et restreinte, car la charité ne dispose, en vertu de sa nature même, que de ressources limitées et presque toujours précaires 3. »

Les inconvénients multiples et notoires des agences commerciales de placement régies par le décret du 25 mars 1852, ont fait éclore différentes propositions de loi sur le placement des employés et des ouvriers 1.

Un projet de loi présenté le 9 avril 1892 au nom de la

1. Voir le tableau général du mouvement des bourses du travail depuis leur origine, dans le Bulletin de l'office du travail, 1894, p. 510. 2. Voir: Rev. d'écon. polit., 1893, p. 697.

3. De Molinari, Les Bourses du travail, p. 141 et suiv. Voir aussi : Bulletin des conférences préparatoires à l'organisation d'une bourse du travail à Bruxelles, Bruxelles, 1886.

4. Yves Guyot, La loi sur les bureaux de placement; Revue politique et parlementaire, juillet 1894, p. 53.

DU LOUAGE DE SERVICES.

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commission de la Chambre, par M. Arnauld Dubois, rapporteur, supprime les agences commerciales en proclamant la gratuité du placement des ouvriers et employés : en outre il prescrit l'établissement de bureaux de placement gratuit aux frais des municipalités et de l'Etat 1.

Dans le même ordre d'idées, la proposition de loi présentée le 25 novembre 1893 par M. Constant 2 dispose que le placement gratuit des employés et ouvriers des deux sexes et de toutes professions se fera par l'intermédiaire des bourses du travail, des syndicats ouvriers et groupes corporatifs ou à leur défaut, par les municipalités.

La campagne dirigée contre les bureaux de placement semble d'ailleurs devoir aboutir dans un avenir prochain. Car le 10 mai 1894 M. Georges Berry déposait à la Chambre des députés une proposition de loi tendant à la suppression des bureaux de placement par extinction. Cette suppression serait obtenue en refusant à l'avenir toute autorisation d'ouvrir de nouveaux bureaux ou de transmettre soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, des bureaux existants .. Peu de temps après le dépôt de cette proposition, la commission du travail de la Chambre des députés s'est arrêtée à une solution beaucoup plus radicale. Elle supprime les bureaux de placement sans indemnité, avec un simple délai de grâce de cinq ans 4.

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Quant aux offices du travail ou bureaux de statistique du travail, ils ont pour but d'éclairer les parties contractantes,

1. Doc. Ch., 1892, n° 2067, p. 974.

2. Doc. Ch., 1893, sess. extr., no 47, p. 50.

3. Doc. Ch., 1894, n° 621, p. 811,

4. Journal des économistes, 15 juin 1894, p. 476. Voir aussi la proposition de la loi de M. Mesureur du 5 mai 1894, relative au placement gratuit des ouvriers ou employés des deux sexes; Doc. Ch., 1894. no 601, p. 1434.

5. Voir notamment: Vandervelde, Les bureaux de statistique du travail, dans la Revue de Belgique, 2e série, VII, (1893), p. 236; Malon, Le secrétariat national du travail en France et en Suisse, dans la Revue socialiste, XV (1892), p. 68; Wuarin, Le secrétariat ouvrier en Suisse, dans la Revue sociale et politique, II (1892), p. 104.

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