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communément Cergy), à quelques pas à peine à gauche de la route, entre ladite route et la rivière, une énorme pierre levée dont une des faces, celle qui regarde la rivière, est orientée à peu près exactement au midi. Cette pierre est formée d'un grès peu consistant et trop tendre pour avoir pu être utilisé. C'est très-certainement à cette cause unique qu'elle doit d'être encore en place aujourd'hui et de n'avoir pas subi le sort de toutes ses pareilles, dont les débris ont été, à diverses époques et particulièrement dans les environs de Paris - sillonnés par un si grand nombre de routes convertis en pavés. Le sol environnant contient encore un bon nombre de gros grès dont quelques-uns ont 2 mètres de longueur sur plus de 1 mètre de hauteur et qui, pour la même raison, ont été négligés par les entrepreneurs.

L'inutilité de la pierre de Gency ne l'a pas cependant fait complétement respecter par le vandalisme des habitants. Du côté de l'est

côté ouest.

(à gauche, dans la figure 1), on voit la trace d'une cassure considérable faite autrefois pour sonder la qualité du grès; je tiens le fait d'un témoin oculaire (1). Ce menhir ne nous présente donc pas maintenant sa forme primitive, et il est probable (les cassures ayant dû nécessairement porter sur les parties basses du monument) qu'il avait autrefois une forme plus allongée reproduisant à peu près un large demi-cercle, au lieu de prendre l'apparence d'une lentille monstrueuse qu'il nous offre aujourd'hui.

Telle qu'elle est au moment où nous la décrivons, la pierre du Fourey (2) ou du Fouret (c'est le nom qu'on lui donne dans le pays) a 3,27 de hauteur sur 5,40 de largeur d'ouest en est. Son épaisseur est

Fig. 2. — Pierre du Fouret, très-variable. Du côté est (gauche de la figure 1), et près de la cassure, dont le trou béant est parfaitement visible sur notre dessin, elle présente une épaisseur de 65 centimètres; du côté ouest, au contraire

(1) Presque tous les renseignements qui trouvent place dans cette étude nous ont été donnés par le doyen des habitants de Gency, M. Maillard (Charles-Denis), né à Gency, en 1804, et qui n'a jamais quitté son pays.

(2) Nous avons cherché en vain quelle peut être l'étymologie de ce nom, et il nous a été impossible de rien trouver de satisfaisant.

(celui qui est reproduit fig. 2), son épaisseur n'est que de 30 centimètres. Les gens du pays disent très-sérieusement que la pierre du Fouret pousse sans cesse, et certains vont jusqu'à vous montrer gravement les parties qu'ils ont vu croître depuis leur enfance.

On appelle aussi cette pierre le palet de Gargantua, et ici se retrouve la trace des traditions qui s'attachent à presque tous les monuments mégalithiques et qui prétendent les expliquer par des légendes se rapportant au mythe si bien étudié par M. Gaidoz (1).

Gargantua, dit la tradition de Gency, ayant maille à partir avec un géant dont le quartier général était établi sur les hauteurs de Cormeilen-Parisis (d'autres, plus hardis, vont jusqu'à indiquer la butte Montmartre), entreprit le siége en règle de la montagne de son adversaire. Se postant donc à Courdimanche - « le plus haut pays de Franche» (2), dit encore un dicton rimé -- il commença à bombarder à coups de rochers le fort de son ennemi. Mais le coup d'œil et la force lui ayant manqué à la fois dès le lancement de la première pierre, son projectile tomba à Gency et se ficha en terre dans la position où nous le voyons aujourd'hui.

J'ai cru qu'il était intéressant de reproduire dans toute sa simplicité cette grossière légende qui constitue tout l'état civil de notre pierre levée.

La pierre du Fouret a été, à différentes reprises, fouillée par les chercheurs de trésors, qui n'y ont absolument rien trouvé. Je n'ai pas cru devoir sonder après eux le sol sur lequel elle est dressée, d'autant plus que mes ouvertures à ce sujet ont rencontré quelques difficultés préalables. Cette pierre, en effet, sert de limite à trois propriétés différentes, et cette circonstance, en donnant une nouvelle preuve de son antiquité et de son importance, n'était pas faite pour simplifier mes recherches.

Une des trois propriétés que bornait la pierre du Fouret appartenait, avant la Révolution, à l'abbaye de Saint-Denis et dépendait de la grande ferme de ces religieux, située à Sergy, près de l'église. Je n'aurais pas rapporté cette circonstance, fort insignifiante en ellemême, si cette propriété des moines de Saint-Denis ne présentait, dans sa forme, une particularité qu'il me paraît intéressant de relever, au point de vue de l'origine de notre pierre.

On sait que les habitants de la banlieue de Paris et en particulier

(1) Gargantua, essai de mythologie celtique. Paris (Didier).

(2) Il s'agit ici, bien entendu, de la France proprement dite, dont la capitale était Saint-Denis, et où était situé le village de Courdimanche.

REVUE D'ANTHROР., T. III.

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ceux des environs de Pontoise-pays où la propriété est extrêmement divisée et où, par conséquent, la terre est très-soignée et jalousement conservée à cause des produits considérables qu'elle donne ont l'habitude de relever toutes les pierres qu'ils rencontrent dans leurs champs, et s'ils ne peuvent les utiliser autrement, de les amasser le long de leurs propriétés tantôt sous forme d'amoncellements considérables (c'est ce qu'ils appellent des murgers), tantôt sous forme de murs en pierre sèche. Ces murs sont cause que bien souvent, et surtout dans les localités en pente, comme c'est le cas pour le sol qui entoure notre pierre, les héritages sont situés à des niveaux différents les uns des autres, le champ du dessus retenant la terre au moyen de son mur de clôture, et le champ du dessous se nivelant tout naturellement par la pente du terrain ou par la culture même qu'il reçoit. Les différents héritages forment ainsi de véritables escaliers s'étageant les uns audessus des autres.

Or, je fus frappé à différentes reprises, en étudiant le voisinage de la pierre du Fouret, de voir qu'une de ces marches, celle qui forme la limite du plus grand des trois héritages qui sont bornés, sur un de leurs côtés, par notre pierre, présente une forme légèrement circulaire et arrondie. En ayant demandé la cause à un ancien du pays, j'appris que ce champ (celui des moines de Saint-Denis) avait autrefois, dans toute sa limite du côté du levant, cette forme circulaire, et que c'était seulement depuis le changement de direction de la route de Pontoise à Poissy, route qui passait autrefois plus au nord, que cette forme dudit champ avait disparu, par suite de la vente et de la division en plusieurs parcelles de la partie de cette terre qui était restée du côté de la route opposée au men-hir. Comme je lui demandais si le terrain n'avait pas conservé, néanmoins, quelque trace de cette particularité, il me montra dans une vigne, de l'autre côté de la route, un cercle parfaitement indiqué par la différence de grosseur des ceps, les plus âgés et les plus gros se trouvant à l'extérieur du cercle et les plus jeunes et les plus faibles se trouvant à l'intérieur, c'est-à-dire dans le champ provenant de l'abbaye, et démembré de celui qui aboutit à la pierre levée; cette parcelle ayant été achetée par un propriétaire voisin pour augmenter sa terre plantée en vigne, il l'avait également convertie en vignoble et la différence d'âge des ceps nous servait de facile repère pour retrouver l'ancienne limite circulaire de la propriété. Tout le monde pourra facilement faire la même observation, tant que les ceps accuseront suffisamment la différence d'âge de leur plan

tation.

Route

Le croquis ci-joint (fig. 3) reproduit par un pointillé le cercle que je viens de décrire. Les traits indiquent les bornes actuelles des héritages d'après le plan cadastral.

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Fig. 3.

Plan d'une partie du village de Gency, où se trouve la pierre du Fouret. Je me suis étendu peut-être un peu longuement sur cette particularité, qui pourrait faire croire que la pierre du Fouret est le reste d'une

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enceinte circulaire. L'emplacement, au fond de ce cirque magnifique, abrité des vents du nord par les collines de l'Oise, et rafraîchi par la rivière qui coule à ses pieds, était admirablement choisi et eût fait honneur aux constructeurs de ce cromlech. J'ai donc pensé qu'il était utile de signaler une circonstance intéressante et qu'il deviendra sans doute bientôt impossible de constater. Dans tous les cas, je donne les faits pour ce qu'ils sont et l'hypothèse pour ce qu'elle vaut.

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De l'autre côté de Vauréal, sur le territoire de la commune de Jouy-le-Moutier et au-dessus du hameau de Jouy-la-Fontaine, dépendance de cette commune, se trouve une autre pierre levée dont nous

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donnons (fig. 4 et 5) une vue de face et une autre de profil. Ce men-hir n'est pas, comme la pierre du Fouret, placé presque sur la rive de l'Oise, mais bien au bord du plateau qui commence au haut des collines formant sur ce point la déclivité de la vallée, et qui va de là en s'élevant doucement jusqu'au sommet des hauteurs de l'Hautie, son point culminant. Cette pierre mesure à sa base 2,55 et à son faîte 90 centimètres de largeur. Elle est formée d'un grès tendre, comme la pierre de Gency. Son épaisseur varie de 1,10 à sa base à 10 centimètres seulement à son sommet. Elle est penchée, comme on peut le voir par la figure 5, du côté opposé à la rivière, c'est-à-dire vers l'ouest; sa face (fig. 4) est par conséquent tournée à l'est, tandis que, comme nous l'avons dit plus haut, la pierre du Fouret regarde le midi.

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