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MISCELLANEA

Société d'anthropologie.

Le bureau de la Société d'anthropologie est ainsi constitué pour l'année 1874 : Président M. le général Faidherbe; vice-présidents; M. le docteur Dally et M. Gabriel de Mortillet; secrétaire général : M. Broca ; secrétaire général adjoint : M. Hamy; secrétaires annuels: MM. Magitot et Sauvage; conservateur des collections: M. Topinard; archiviste: M. Dureau; trésorier: M. Leguay; commission de publication MM. Gaussin, Ploix et Bertillon.

Le nouveau bureau est entré en fonctions le 8 janvier. M. Bertillon, président sortant, a prononcé quelques paroles fortement applaudies: «En France, dit-il, les membres de la haute administration civile ou militaire n'ont pas blasé les sociétés savantes sur l'honneur de leur adhésion, non plus que les élus de la fortune ne les ont accablées de leurs dons ou seulement de leurs cotisations. Ce qui en Angleterre, aux Etats-Unis, est regardé comme une des obligations morales des hautes positions n'est pas de mode dans notre pays.

<«< Cela seul suffirait pour nous rendre plus sensibles à l'honneur de compter comme collègue un haut dignitaire de l'armée. Mais ce n'est pas seulement en faisant adhésion à notre science que notre nouveau président s'est montré singulier : militaire, il a été un administrateur hors ligne; général en des temps de malheur, il a défendu notre honneur et notre territoire avec la ténacité que vous savez, et jusqu'à ce que la patrie lui ait ordonné de mettre bas les armes; militaire et administrateur, il a encore trouvé le temps de s'intéresser à la science, de recueillir partout où il a passé des faits précieux pour les connaissances historiques, linguistiques, géographiques et anthropologiques; enfin, haut fonctionnaire, général, député, il a tout sacrifié à l'ambition... de rester citoyen selon son cœur... »

Les premières paroles du nouveau président furent non moins touchantes par leur extrême simplicité et les angoisses qu'elles évoquaient :

« Dans les paroles flatteuses que vient de m'adresser notre ex-président, dit-il, je sais faire la part de la grande bienveillance qui anime les uns pour les autres les membres de notre Société, et je ne me fais pas illusion sur le peu de services que j'ai pu rendre à notre pays dans les désastres qu'il a traversés. »

Et revenant bien vite à son rôle actuel, il résume le passé, le présent... et l'avenir de la Société, démontre sa prospérité croissante, et termine ainsi :

« M. Bertillon, dans ses laborieuses et consciencieuses recherches des lois de la démographie au moyen de statistiques rationnelles, a publié l'année dernière sur le mariage un travail qui est plein de graves enseignements. Pour ne citer que deux de ses chiffres, en nous comparant à une nation rivale, à l'Angleterre, nous trouvons que, sur 1 000 jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, il n'y en a que 57 qui se marient annuellement en France, tandis qu'il y en a 120, c'està-dire plus du double, en Angleterre. 100 femmes d'autre part de quinze à vingt ans, c'est-à-dire dans l'âge de la maternité, donnent 30 naissances annuelles en Angleterre et seulement 26, c'est-à-dire un tiers de moins, en France. Que résulte-t-il

de cette énorme différence dans la matrimonialité et dans la natalité? C'est que, tandis que notre population a cessé de croître, que notre influence au dehors diminue, et que dans plusieurs parties de la France l'industrie et l'agriculture sont obligées d'appeler des bras étrangers, il y a tous les dix ans près de 3 millions d'Anglais de plus qui vont augmenter dans toutes les parties du monde et chez nous-mêmes l'influence et la richesse de la race anglaise.

<< C'est aux hommes d'Etat qu'il appartient de méditer sur des faits aussi importants que la science leur signale avec leurs conséquences. Le remède, tout le monde le connaît: ce sont les bonnes mœurs et leur accompagnement nécessaire, le travail. >>

Le prix Godard a été décerné en séance ordinaire le 8 février dernier.

Le trésor de Priam. Investigation archéologique.

Les découvertes de M. Henri Schliemann dans la plaine de Troie font actuellement grand bruit. Toutes les Académies s'en occupent, tous les journaux en parlent, les discussions se succèdent sans relâche, les articles se multiplient, chaque jour une anecdote fait le tour de la presse. On dirait une grande mise en scène habilement combinée, destinée à chauffer et à surexciter l'opinion publique. 11 importe de ne pas compromettre la seience en cédant d'une manière irréfléchie à l'entraînement que l'on cherche à produire. Il faut, au contraire, dans l'intérêt de l'archéologie sérieuse, étudier la question simplement, froidement, sans parti pris. C'est ce que nous allons essayer de faire, notre seul but étant de démêler et de connaître ce qu'il y a de réellement vrai au milieu des divers récits qui ont été publiés.

Abordons de suite le point capital, la découverte du prétendu trésor de Priam. Pour montrer notre impartialité, nous laissons la parole à M. Schliemann lui-même : << Au commencement du mois de juillet, dit-il, j'ai rencontré à 8m,50 de profondeur, sur la grande muraille de l'enceinte troyenne, dans la direction du nordouest à partir de la porte Scée, et immédiatement à côté de l'édifice que j'avais déjà reconnu comme devant être la maison de Priam, un objet en cuivre d'un fort gros volume et d'une forme remarquable, qui attira d'autant plus mon attention que l'on remarquait de l'or derrière cet objet. Au-dessus s'élevait une couche de 1 mètre et demi à 1 mètre trois quarts d'une cendre rougeâtre, dure comme de la pierre, et de débris calcinés, qui supportait à son tour un mur de forteresse, large de 1,80, haut de 6 mètres, et qui doit dater des premiers temps qui ont suivi la destruction de Troie.

<< Afin de soustraire ma découverte à la rapacité de mes ouvriers, j'eus recours à un artifice, et fis immédiatement annoncer le repas du matin, quoique l'heure du déjeuner ne fût point venue; puis, tandis qu'ils mangeaient et se reposaient, je travaillai moi-même avec la plus grande activité à mettre au jour, avec un grand couteau, les objets précieux ensevelis en cet endroit. Ce ne fut pas sans beaucoup d'efforts que j'y réussis, ni sans un grand danger, car je risquais à chaque instant de voir s'écrouler sur moi la vieille muraille de pierre et de terre au-dessous de laquelle je travaillais. Mais j'y songeais à peine, aiguillonné, jusqu'à la témérité, par l'aspect d'une foule d'objets dont chacun devait avoir et possède, en effet, une valeur inappréciable pour la science.

<< Cependant l'enlèvement de ce trésor m'aurait été impossible sans l'aide de ma chère femme, qui se tenait prête à envelopper au fur et à mesure dans une

grande pièce d'étoffe et à emporter les objets que mon couteau dégageait de leur dure prison.

« Le premier fut un grand ustensile plat en cuivre. Le diamètre de cette espèce de plat mesure 49 centimètres, et il est entouré d'un rebord haut de 4 centimètres; le diamètre de l'enfoncement est de 18, et la profondeur de 1. Très-vraisemblablement c'est un bouclier qui rappelle à l'esprit les descriptions d'Homère. «Le second objet qne je parvins à extraire fut un chaudron en cuivre, avec deux anses horizontales; diamètre, 42 centimètres; profondeur, 14. Le fond est plat. << Vint ensuite un plateau également de cuivre, de 1 centimètre d'épaisseur, de 10 centimètres de largeur, sur 44 de longueur, ayant à l'une de ses extrémités deux roues non mobiles avec axe. Il est en deux endroits fortement courbé, je suppose par l'action du brasier auquel il aura été exposé pendant l'incendie. Sur ce plateau se trouve un vase en argent de 12 centimètres de hauteur et de largeur, qui y adhère solidement, et que je suppose aussi y avoir été comme soudé accidentellement par le feu. Après cela je sortis successivement: un vase de cuivre de 14 centimètres de hauteur sur 11 de diamètre ; une bouteille ronde comme une boule, de 45 centimètres de hauteur, 14 de diamètre, et pesant 403 grammes, de l'or le plus pur, et portant un ornement en zigzag non achevé; une coupe de 9 centimètres de hauteur sur 7 trois quarts de diamètre, pesant 226 grammes, également d'or pur; une autre coupe de même métal, haute de 3 centimètres sur 18 trois quarts de longueur et 18 un quart de largeur, pesant 600 grammes; elle a la forme d'un vaisseau et deux grandes anses; sur les côtés elle offre deux embouchures pour boire : c'est sans doute le Séñas dμ.qıxúñeλλov homérique. »

Le trésor contenait encore: 13 pointes de lances, 14 haches de combat et 7 grands poignards de bronze; 3 grands vases d'argent; 1 coupe et 5 pièces en électrum, alliage d'or et d'argent; 2 petits vases, 2 ornements de tête, 1 diadème, 4 pendants et 56 boucles d'oreilles, 6 bracelets, et enfin des milliers de petits anneaux, de petits boutons et autres objets d'or.

En résumé, les ouvriers de M. Schliemann mettent à jour, au fond d'une profonde tranchée, un objet en cuivre d'un fort grand volume, qui laissait apercevoir de l'or. Immédiatement M. Schliemann fait annoncer le déjeuner, bien que ce ne soit pas encore l'heure, et tout le monde s'en va, sans se douter de rien, laissant M. Schliemann et sa chère femme extraire et emporter secrètement de nombreuses et lourdes pièces, dont quelques-unes ont près d'un demi-mètre de diamètre. Il est vrai que le tout était plié dans une grande pièce d'étoffe, qui se trouvait là bien à point donné.

Franchement il faut n'avoir jamais fait de fouilles pour ne pas être frappé de toutes les invraisemblances, je dirai même les impossibilités de ce récit. L'ouvrier qui fouille s'attache à son œuvre, se passionne et devient plus ardent que l'archéologue lui-même. Il est bien rare qu'on puisse exécuter une fouille importante sans avoir à déplorer au moins un excès de zèle ou de curiosité. Impossible d'arrêter les ouvriers dès qu'il se manifeste la moindre apparence de résultat. Ce fait, général sous nos climats, se produit encore plus énergiquement en Orient, où l'imagination ardente des habitants leur fait toujours rêver et voir des trésors. M. Burnouf, directeur de l'Ecole française d'Athènes, qui, par conséquent, connaît trèsbien son monde oriental, reconnaît lui-même le fait. Dans son article de la Revue des deux mondes du 1er janvier, il dit : « Les fouilles sont difficiles, parce qu'on se figure toujours qu'on cherche des trésors. » Comment dès lors admettre que

M. Schliemann, qui employait un très-grand nombre d'ouvriers, ait pu, sans éveiller leurs soupçons, les écarter des fouilles où ils venaient de mettre à nu un objet de cuivre derrière lequel on remarquait de l'or?...

Comment surtout sa chère femme a-t-elle pu pendant le court espace d'un déjeuner venir prendre au fond de la profonde tranchée tous les objets découverts, et les emporter successivement, sans que ses allées et venues attirassent l'attention? Tout cela est d'autant plns surprenant que, dans le cas en question, il y avait non-seulement en jeu la curiosité des ouvriers, mais encore, comme nous l'ap prend M. Schliemann, l'intérêt du gouvernement turc. En effet, pour obtenir le droit de faire des fouilles, M. Schliemann s'était engagé à laisser à la Turquie la moitié des valeurs découvertes. Il devait done y avoir surveillance! surveillance qui, il faut l'avouer, avait bien un peu sa raison d'ètre, puisque M. Schliemann, dans ses récits, se vante d'avoir habilement conservé tout le trésor.

On dirait même que l'auteur de la découverte du trésor de Priam s'est aussi occupé à préparer habilement l'opinion publique. Dans un livre publié en 1869, Ithaque, le Péloponèse, Troie, il transforme en trésorerie d'Agamemnon la grotte qui jusqu'à ce jour avait été désignée sous le nom de tombeau de ce prince. Dans les ruines de Mycènes, il retrouve et décrit trois de ces trésoreries. Dès lors, quoi d'étonnant qu'il trouve un trésor, puisqu'il y avait à cette époque tant de trésoreries?

Pourtant, comme, malgré ces préambules, l'opinion publique est restée un peu incrédule à l'annonce de la découverte du trésor de Priam, tout à coup ce trésor a été laissé sur le second plan, et l'attention de tous les savants a été dirigée sur de vieux tessons de poteries devant représenter Minerve à tête de chouette. Franchement ces tessons ne représentent pas grand'chose de déterminable. Ce qu'on y voit de plus clair, c'est que l'art céramique à leur époque, en fait de décoration, était encore terriblement dans l'enfance. Mais enfin l'attention des savants, leurs discussions mêmes, étaient attirées de ce côté. C'était l'essentiel...

On a beau être savant, on n'est pourtant pas toujours naïf. Quelques personnes, songeant encore au trésor, conservaient des doutes. Vite tous les journaux répètent à l'envi que le gouverneur des Dardanelles, Nassif-pacha, a fait opérer, six mois après la découverte, des visites domiciliaires chez les ouvriers employés par M. Schliemann, à l'occasion de ses fameuses fouilles. On a retrouvé chez eux plusieurs kilogrammes d'objets antiques en or «< qui allaient être fondus pour être convertis en objets destinés à parer leurs femmes et leurs filles ». Cette nouvelle arrive bien à propos pour fermer la bouche de ceux qui ne croient pas au trésor de Priam. Il faut avouer aussi que M. Schliemann est fort heureux que ses anciens ouvriers n'aient pas été plus galants et n'aient pas, pour cacher leur vol, fait fondre plus vite les bijoux antiques destinés à orner leurs chères femmes et leurs chères filles. Il existe pourtant une difficulté. Comment les ouvriers ont-ils pu avoir ces objets, puisque M. Schliemann, ayant eu recours à un artifice, comme il le dit dans son récit, était parvenu, aidé de sa chère femme, à enlever complétement ce trésor, sans que personne s'en doutât et sans que le gouvernement turc en eût sa légitime part? Mystère !... Mais la science ne se contente pas de mystères: elle veut des faits précis, clairs et nets. C'est justement ce qui manque dans l'affaire Schliemann. Nous concluerons donc par une citation qui vient en mémoire à propos de Troie : Timeo Danaos et dona ferentes.

G. DE MORTILLET.

Découverte d'un ancien puits funéraire dans la province d'Oran.

Dans les premiers jours de juillet 1873, M. Ch. Velain, répétiteur au laboratoire de géologie de l'Ecole des hautes études, en mission à bord du Nerval pour étudier la disposition géologique des côtes d'Algérie, découvrit de la façon la plus inattendue, sur les flancs d'une falaise récemment taillée à pic par un éboulement et faisant partie d'un promontoire qui est à l'est de Nemours, un squelette couché sur le côté droit et dont les jambes étaient demi-fléchies.

Sa tête regardait à l'ouest; il reposait dans une fosse rectangulaire taillée dans un banc de vase quaternaire, durcie et entremêlée de galets. Du fond de cette fosse à la surface du banc, la distance était de 4 à 5 mètres environ. Au-dessus du banc lui-même se voyait un dépôt de tuf d'une épaisseur de 1 à 6 ou 7 mètres. De la paroi supérieure de la fosse se détachait une sorte de cheminée mesurant en largeur le tiers environ de la longueur de cette fosse, et qui se perdait vers le haut du banc dans la partie disparue avec l'éboulement. A la jonction même de cette cheminée et de la fosse M. Velain dégagea deux objets : un petit disque arrondi, percé à son centre, et fait d'une terre blanche grisàtre peu cuite; et une petite urne de 6 centimètres de hauteur, sur 3 et demi de largeur, à panse arrondie, en terre cuite comme la précédente, et façonnée en partie avec le doigt, en partie avec un petit bâton, par exemple. Nul objet en métal ou en silex n'a été trouvé en plus; cheminée et fosse étaient remplies avec des restes probablement de la masse dans laquelle le tout avait été fouillé.

Le promontoire dont faisait partie cette falaise était à proximité d'un cours d'eau, et même avait dû posséder jadis des sources nombreuses, pense M. Velain. Il paraît avoir été habité à quatre époques différentes au moins: 1o actuellement; 2o par une population musulmane, dont il reste des ruines; 3o auparavant par des pillards arabes, dit la tradition, qui y ont laissé un grand nombre de cavernes encore visibles, taillées dans le tuf, et ayant des piliers de soutenement; et 4o par la population plus ancienne, que ceux-ci auraient chassée.

Ne pouvant établir si l'orifice supérieur de la cheminée aboutissait à la face inférieure du tuf ou la dépassait, on ne peut savoir si la sépulture est antérieure ou postérieure à ce dépôt. Les objets recueillis et la position du corps, tout en témoignant d'une antiquité très-reculée, ne nous apprennent pas davantage l'époque à laquelle elle remonte, à l'âge du fer, du bronze ou de la pierre polie. Néanmoins la découverte de M. Velain apprend un fait que nous croyons absolument nouveau dans l'archéologie algérienne : l'existence dans ces parages d'une population qui ensevelissait ses morts dans des puits funéraires.

Le crâne, auquel M. Hamy a trouvé quelque ressemblance avec certains des crânes de Roknia, a été offert au Muséum.. P. T.

Nouvelles d'Espagne.

L'Université de Madrid a repris le cours d'une publication dont nous sommes en droit d'attendre d'heureux résultats: Revista de la Universidad de Madrid, seconde époque, t. I, 1873. Nous espérons qu'elle concédera à nos études une place sérieuse. et qu'elle contribuera, pour sa part, à éclairer les questions si importantes des races et de l'archéologie espagnoles. Nous devons signaler dans ce premier volume la notice consacrée par M. Tubino à la première session de l'Association française pour l'avancement des sciences.

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