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affermir dans la réfolution où nous fommes de ne conférer dans nôtre ville les charges publiques, ni aux richeffes, ni à la noblesfe, ni à la force, & à la haute taille, ni à aucun des avantages extérieurs, mais uniquement à ceux qui fe montreront plus do ciles envers les loix, & l'emporteront en ce point fur le refte des citoyens; enforte que la principale dignité, laquelle n'eft autre chofe qu'une dépendance plus immédiate des Dieux, fe confie à celui qui fe fera fignalé davantage par fon obéiffance; la feconde, à celui qui aura remporté le prix après lui; & ainfi des autres charges, felon le même ordre & dans la même proportion. Au refte, fi j'ai appellé les Magistrats, mi-niftres des loix, ce n'eft pas que je veuille rien changer aux termes établis par l'ufage;

c'est

que je fuis perfuadé que le falut d'un Etat dépend principalement de-là, & que le contraire caufe infailliblement fa ruine : c'est que je vois la ruine prochaine & inévitable d'une ville, où la loi eft fans force & foumife à ceux qui gouvernent; & qu'au contraire par-tout où la loi eft feule fouveraine, & où les Magiftrats font fes premiers.

fujets, avec le falut public j'y vois l'affenblage de tous les biens que les Dieux ont jamais verfé fur les Etats. Clinias. Etranger, rien n'eft plus vrai; & vous avez la vue bien perçante pour vôtre âge. L'Athén. L'œil des jeunes gens s'émouffe, quand il fe porte fur des objets de cette nature; au lieu que celui des vieillards les voit très-diftinctement. Clinias. Vous avez raison.

L'ATHÉN. Ne fuppoferons-nous pas à préfent que nos citoyens ont pris place dans leur nouvel établiffement, qu'ils font affemblés devant nous, & que déformais tout ce que nous allons dire va s'adreffer à eux? Clinias. Sans doute. L'Athén. Citoyens, leur dirons-nous, Dieu, fuivant une ancienne tradition, tenant en fa main le commencement le milieu & la fin de tous les êtres, (9) marche toujours fur une ligne droite conformément à sa nature: la Justice le fuit, toujours prête à punir les infracteurs de la loi divine. Quiconque veut

(9) Platon a puifé cette fublime idée de Dieu dans les vers d'Orphée, qu'on peut lire au fecond difcours de la Thérapeutique de Théodoret. Orphée, ajoute ce feavant Evêque, avoit appris cela des Egyptiens, qui l'a»' voient eux-mêmes appris des Hébreux.

être heureux, doit s'attacher à elle, marchant humblement & modeftement fur fes pas. Mais celui qui fe laiffe enfler par l'orgueil, à qui les richeffes, les honneurs, les avantages du corps, infpirent de hauts fentimens de lui-même, dont le cœur jeune & infenfé eft dévoré de defirs ambitieux, au point qu'il penfe n'avoir befoin ni de maître, ni de guide, & qu'il fe croit en état de conduire les autres; Dieu l'abandonne à. lui-même. Ainfi délaiffé, il fe joint à d'autres préfomptueux comme lui, il fecoue le joug de la dépendance, & met le trouble par-tout. Pendant quelque tems il paroît quelque chofe aux yeux du vulgaire; mais la justice ne tarde pas à tirer de lui une vengeance éclatante; il finit par fe perdre fans reffource, lui, fa famille & fa patrie.

PUISQUE tel eft l'ordre des chofes, que doit penfer, que doit faire le fage? Quels écueils doit-il éviter? Clinias. Il eft évident que tout homme fenfé penfera qu'il fauɛ toujours marcher à la fuite de la Divinité. L'Athen. Mais quelle eft la conduite qui nous rend agréables & conformes à la Divinité? Je n'en vois qu'une feule, fondée fur

ce principe ancien, que le femblable plaît à fon femblable, tant que l'un & l'autre fe tiennent dans le jufte milieu. Car toutes les chofes qui fortent de ce milieu, ne peuvent être unies entre elles, ni avec celles qui ne s'en écartent point. Or Dieu eft la jufte mefure de chaque chofe, beaucoup plus qu'aucun homme quel qu'il foit. Il n'eft par conféquent point d'autre moyen de fe faire aimer de Dieu, que de travailler de tout fon pouvoir à lui reffembler. Suivant cette maxime, l'homme modéré dans fes defirs eft ami de Dieu; car il lui reffemble. Au contraire l'homme déréglé, loin de lui reffembler, lui est entiérement oppofé, & par là même il eft injufte. Il en faut dire autant des autres vertus & des autres vices.

CETTE maxime nous conduit à une autre, la plus belle & la plus vraye de toutes les maximes; fçavoir que de la part de l'homme vertueux, c'eft une action louable, excellente, qui contribue infiniment au bonheur de fa vie, & qui eft tout-à-fait dans l'ordre, de faire aux Dieux des facrifices, d'entretenir un commerce familier avec eux, de leur adreffer des voeux, des offrandes,

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& de leur rendre toute forte de refpect; mais qu'à l'égard du méchant, c'est tout le contraire; parce que l'ame du méchant est impure, au lieu que celle du jufte est pure; & qu'il ne convient pas à un homme de bien, encore moins à Dieu, de recevoir les dons que lui préfente une main fouillée de crimes. Tous les foins que les méchans fe donnent pour gagner la bienveillance des Dieux, font donc inutiles; tandis que le jufte y travaille avec fuccès. (10)

TEL eft le but auquel nous devons vifer. Mais quels font, font, fi j'ofe ainfi parler, les traits qu'il nous faut lancer vers ce but, & quelle eft la voye la plus droite, pour y atteindre ? Il me femble d'abord qu'après les honneurs dus aux Dieux habitans de l'Olympe, & aux Dieux protecteurs de l'Etat, on atteindra le but de la vraye piété, en immolant aux Dieux fouterrains des victimes en nombre pair, (11)

(10) Platon parle des méchans qui croyoient acheter par des facrifices le droit de l'être, & pouvoir conferver les biens mal acquis par l'offrande d'une partie de leurs rapines. Voyez ce qu'il en dit au fecond livre de la République. I en parlera encore plus bas livre 10. Cicé ron dit dans le même fens: Iarpius ne audeto placare donis iram Deorum. De Legib. 2.

(1) Un des préceptes de Pythagore étoit qu'on facri fiat aux Dieux céleftes en nombre impair, & aux Dieux fouterrains en nombre pair. Plutarq. Vie de Numa..

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