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de autorité, pourra-t-elle, en chantant les plus belles maximes, contribuer plus qu'au cune autre au bien général de l'Etat ? Quoi! ferions-nous affez mal-avifes, pour négliger la plus belle, la plus utile, la plus efficace de toutes les chantons? Clintas. Sur ce que vous dites, il n'est pas ponible de la négliger. L'Athén. Mais quelle est la maniere la plus convenable de s'en fervir? Voyez fi ce ne feroit pas celle-ci. Clinias. Laquelle? L'Athén. N'eft-il pas vrai qu'à mesure qu'on devient vieux, on prend du dégoût pour le chant, on ne s'y prête qu'avec beaucoup de répugnance; & que fi on fe trouvoit dans la néceffité de chanter, plus on auroit d'âge & de vertu, plus la chofe coûteroit? Clinics. Cela eft certain. L'Athén. A plus forte raifon un vieillard de ce caractere rougiroit-il de chanter debout fur un théâtre en préfence d'une multitude confufe: fur-tout fi pour donner plus de force & d'étendue à fa voix, on l'assujettissoit au régime & à l'abstinence des chœurs de chantres, qui difputent pour la victoire; c'eft bien alors qu'il ne chanteroit qu'avec un déplaifir, une honte & une

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quoi de plus fouple & de plus flexible. Echauffés par cette liqueur, nós vieillards ne fe porteront-ils pas avec plus d'allégreffe, & moins de répugnance, à chanter, &, fuivant l'expreffion que nous avons employée fouvent, à faire leurs enchantemens, non en présence de beaucoup de perfonnes, ni d'étrangers, mais devant un petit nombre d'amis? Clinias. Sans contredit. L'Athén. Ce moyen que nous mettons en œuvre pour difpofer à mêler leur chant à celui des autres, n'a rien qui choque la bienféance. Clinias. Abfolument rien.

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L'ATHÉN. Mais quel chant leur mettronsnous à la bouche? Quelle fera leur Muse? N'eft-il pas évident qu'il faut obferver encore ici les bienféances de l'âge? Clinias. Affurément. L'Athén. Quelle eft donc la Mufique qui convient à ces hommes divins? Seroit-ce celle des chœurs ? Clinias. Nous ferions bien en peine, nous autres Crétois, ainfi que les Lacédémoniens, d'employer en cette occafion d'autres chants, que ceux qu'on nous a appris dans les choeurs, & auxquels nous fommes accoutumés. L'Athén. Cela doit être, parce qu'en effet vous n'a

vez jamais été dans le cas de faire usage du plus beau de tous les chants. Par vôtre inftitution, vous reffemblez moins à des citoyens habitans d'une ville, qu'à des foldats campés fous une tente. Vôtre jeunesse est femblable à une troupe de poulains qu'on fait paître enfemble dans la prairie fous un gardien commun. Les peres n'ont point droit chez vous d'arracher leur enfant de la compagnie des autres, malgré fa férocité & fa réfiftance, de l'élever dans la maifon paternelle, de lui donner un gouverneur particulier, & de le dreffer en le careffant, en l'apprivoifant, & en ufant des autres moyens convenables à l'éducation des enfans : (6)

(6) Dans la pensée de Lycurgue, les enfans n'appartenoient point à leurs parens, mais à l'Erat: aufli l'Etat feul, à l'exclufion des parens, fe méloit-il de leur éducation. Lycurgue, dit Xénophon, a préposé à l'inftitu tion des enfans, un des premiers Magiftrats, appellé Pédonome, qui a le pouvoir de les affembler, & de punir févérement ceux qui fe comportent mal. Il eft accompagné de jeunes gens armés de fouets, pour châtier les coupables. Dans l'abfence du Pédonome, le premier citoyen qui fe trouvoit préfent, avoit le mêine droit fur les enfans, foit pour ordonner, foit pour punir. Enfin au défaut d'autre, l'enfant le plus févere de chaque bande commandoit aux autres, en forte qu'ils n'étoient jamais fans gouverneur. C'étoit à-peu-près la même chofe en Crete. Les enfans des Crétois, dit Héraclide, demeurent enfemble, partagés en différentes troupes fous un chef nommé Agélate, c'eft-à-dire, conducteur de bande, qui les raffcible où il juge à propos. Voyez aufli Stra

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ce qui en feroit non-feulement un bon foldat, mais un bon citoyen capable d'adminiftrer les affaires publiques, meilleur guer rier, comme nous l'avons dit, que le guer rier de Tyrtée, & qui regarderoit la force comme étant, non la principale partie de la vertu, mais la quatrieme, toujours & en tous lieux, tant pour les particuliers que pour le corps de l'Etat. Clinias. Etranger, je nc fçais pourquoi vous rabaiffez de nouveau nos Législateurs. L'Athén. S'il eft vrai que je le faffe, mon cher Clinias, c'eft fans deffein. Mais laiffez ce reproche, croyezmoi, & fuivons la raifon par-tout où elle nous conduira.

Si effectivement nous découvrons une Mufique plus parfaite que celle des chœurs, & des Théâtres publics, essayons de la donner en partage à ceux qui, de nôtre aveu, ont

bon Livre rc. Quelque chofe qu'on puiffe penfer de cet te inftitution. c'eft certainement un grand mal de n'avoir rien laiffé à faire à l'autorité paternelle, la plus puiflante de toutes fur l'efprit des enfans. 11 eft faux que les en fans foient tellement à l'Etat, qu'ils ne foient point à Jeurs parens: Au contraire, le bien de l'Etat demande que ceux-ci confervent toujours fur cus une certaine ju risdiction. Quand il faut que le Magiftrat ait toujours la loi à la main pour faire marcher tous les ordres des Scitoyens, il eft difficile que fon autorité ne devienne dicufe, & qu'on ne travaille enfin à s'y foultraire.

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