Page images
PDF
EPUB

Revue Générale de Ekographie Française

4e Année

La Recue se compose de trois parties:

1 Une partie critique, composée d'une chronique littéraire (romans, poésies, théatre) et de l'analyse bibliograplique des ouvrages novelle.ent parus (sciences naturelles, philosophiques, inthropolo,iques, so dolo, diques juridiques, esthétiques, etc.);

2 Une bibliographie systématique des I'vres noveats publiés en lang n française dans le monde entier, avec l'indication aussi compete e possible du nombre de pages, du format, du prix, de l'éditeur. Les renseignement sont puisés aux meilleures sources et complétés par nos divers pondants.

3° Une bibliographie des principales reves de langue frmçaise, done un' le sommaire des diverses publications odiques de la Frane et le l'Etranger.

[blocks in formation]
[blocks in formation]

CRITIQUE

-

ROMAN

THEATRE

ROUSSILLE

ERNEST-CHARLES (J.): Les Samedis littéraires. 4° série. In-18, 384 PP.; 3 fr. 50; Sansot et Cie, éditeurs, Paris, 1905. Tentations, traduit de l'italien, par E. Albertini et Ed. Maynial. In-16, DELEDDA (Grazia): Les 365 pp; 3 fr. 50; Société du Mercure de France, Paris, 1905. (Jacques): Au commencement était le Rythme. Essai sur l'Intégralisme In-18, 87 pp.; 2 fr., édition des Poèmes, Paris, 1905. La Croisade des Enfantelets francs. Poème dramatique. In-18, 158 pp.; ERNAULT (Louis): 3 fr. 50; Alphonse Lemerre, éditeur, Paris, 1905. Roman de Ganelon. In-16, 251 pp.; 3 fr. 50; E. Sansot et Cie, éditeurs, LEBESGUE (Philéas): Le Paris, 1906. LIEBRECHT (Henri et MORISSEAUX (F. Charles): Miss Lili, comédie en trois actes, en prose. In-16, 155 Pp.; 3 fr. 50; L'Edition Artistique, Paris et Liège, 1905. In-16, 305 pp; 3 fr 50; Librairie académique Perrin et Cie, Paris, 1906 HENNEZEL Henri d'): L'Entrave, roman.

[ocr errors]

M. Ernest-Charles est un des rares écrivains de notre époque qui comme critique MM. Bourget, Léon Bloy, Madame Rachilde, Laurent Tailhade, a su acquérir une notoriété certaine. Teodor de Wyzeva et bien d'autres ont aussi commenté en de copieuses gloses les livres de leurs contemporains, mais ils sont connus aussi et nous pourrions dire: surtout œuvres, et ce n'est point leur sagacité de critique seule qui pour d'autres assura leur réputation. M. Ernest-Charles, au contraire, demeure exclusivement fidèle à un genre qui a illustré et qu'ont illustré les Villemain, les Nisard, les Sainte-Beuve, les SaintMarc Girardin, les Jules Janin, les Paul de Saint-Victor, les Sarcey pour ne citer que les majeurs parmi ceux qui viennent à notre mémoire, car il en est d'autres assurément.

On a tellement crié à la décadence et à la mort de la critique qu'on se plaît à considérer M. Ernest-Charles comme un dernier survivant d'une espèce disparue et il est vrai de dire qu'il mérite cette curiosité et qu'il la légitime. En effet, il y a à notre époque bien des écrivains dont la mission se trouve être, dans

[ocr errors]

les revues où ils collaborent, de rendre compte de la production littéraire. Ils ont tous, ou presque tous, une idée fort saugrenue de leurs fonctions. Selon eux, un auteur leur envoie son livre, pour le présenter au public peut-être, mais surtout pour avoir leur avis ce qui fait que plusieurs d'entre eux croient avoir rempli leur devoir en lui écrivant par lettre le "bien" toujours le bien qu'ils pensent de son livre ou en publiant des notices qui sont sans intérêt pour le lecteur. Ce dernier, par cette manière d'agir, se trouve tout à fait sacrifié. Ainsi opère Madame Rachilde, au Mercure de France, tout en se figurant faire de la critique. Ainsi font la plupart des jeunes aristarques des jeunes revues mais ils ont l'excuse que n'a pas Rachilde de ne pouvoir s'étendre longuement sur un sujet en raison du peu de place dont ils peuvent disposer dans la menue publication où ils sévissent. Il en est d'autres, comme M. Gaston Deschamps au Temps, ou comme les chroniqueurs littéraires de la Revue des Deux Mondes ou des périodiques importants, qui ne rentrent pas dans cette catégorie, mais qui ne nous semblent pas, comme M. Ernest-Charles, continuer la tradition des maîtres. En effet, ils ne font pas abstraction de leurs idées personnelles en littérature comme en politique ou en sociologie, pour juger un écrivain, mais au contraire ils le jugent d'après elles. Ils apportent un critérium qui leur sert pour mesurer les œuvres ; et M. Francisque Sarcey vitupérant les originaux au nom du " bon sens", M. Charles Recolin au nom du sens commun ", comme M. Laurent Tailhade jadis au Français, assassinant les partisans de régimes abolis au nom de l'affranchissement qu'il croyait avoir le droit d'exiger chez tous les esprits tous font de la critique intéressée, belliqueuse, partiale et conséquemment — elle aussi critiquable.

[ocr errors]

66

Ne point apprécier un livre d'après les idées qui nous sont chères semble paradoxal; et en outre, il paraît exorbitant que la critique doive être au-dessus de la critique. Nous prendrons pour exemple M. Ernest Charles, puisque d'ailleurs c'est de lui qu'il s'agit et que nous avons sous la main le livre qui nécessite cette chronique, ses Samedis littéraires (4 série). Il y a dans ce volume un article consacré à M. Paul Harel.

M. Paul Harel est un poète qui a écrit des vers d'un sentiment profond sur la campagne qu'il habite et des pièces religieuses non point seulement remplies d'un amour divin comme tant d'autres l'ont fait même sans croire en Dieu, mais d'une inspiration catholique. Or, bien que d'autres pages de M. ErnestCharles nous font croire qu'il ne partage pas tous ses sentiments, il ne se reconnaît pas le droit de limiter la fantaisie du poète;

et en jugeant simplement s'il a bien fait ce qu'il a voulu faire, il ne peut se tromper si comme c'est le cas son goût est averti et son savoir littéraire suffisant. Cette manière a certes ses défauts que nous examinerons tout à l'heure; elle fut celle de Ste-Beuve. Il analysait son auteur et le discutait rarement. D'après ses articles, le public pouvait apprécier un écrivain sans l'avoir lu et connaître le sens particulier de son œuvre ; il pouvait prendre plaisir à leur lecture parce qu'ils avaient été écrits pour lui, et que l'explication qu'en faisait le critique rendait l'œuvre plus intéressante, comme un interview sur l'intimité d'un personnage célèbre le rend plus sympathique ou du moins plus accessible. De même façon, M. Ernest-Charles nous fait sentir la caractéristique du talent de certains écrivains modernes comme Lucie Delarue-Mardrus, Anatole France, Roosevelt, ou de maîtres passés comme Gérard de Nerval, Barbey d'Aurevilly, Samain; et il montre dans ses jugements un sens subtil servi par une érudition solide. Peut-être n'a-t-il pas dit sur Gérard de Nerval, ce seul penseur de l'époque romantique perdu parmi des artistes, ce qu'il fallait deviner; peut-être en écrivant la dernière phrase de son article sur Anatole France: «Il passe son temps à orner des lieux communs », a-t-il cédé à la joie, difficilement évitable malheureusement, de faire une phrase définitive au détriment

un

peu de la sincérité de sa pensée; nous aurions bien d'autres choses à relever dans le livre si notre but était de faire aussi de la critique agressive et d'y rechercher nos divergences d'opinions, mais cette manière de faire ne prouverait rien, ni en faveur, ni au préjudice de l'auteur.

La méthode de M. Ernest-Charles vaut par sa sévérité et son impartialité éclectique (au point qu'après avoir lu les quatre cents pages de son livre sur les œuvres les plus diverses, nous ignorons encore ses théories politiques), il cède pourtant parfois aux travers de ses confrères en faisant du paradoxe facile comme cette phrase sur les « petits rhétoriciens plus ou moins expérimentés qui imitent tour à tour à la fois les poètes et les genres de poésie qui ont du succès, qui ne se préoccupent que d'écrire des vers au goût du jour, construisent sans inspiration les œuvres les plus faibles et les plus disparates, élèves tôt fatigués », phrase qui vient là sans raison, qui n'a aucune utilité et même aucune signification, car les rhétoriciens ne veulent obtenir de succès qu'auprès de la Jeune Muse inspiratrice! Et les tout jeunes poètes rappelons-nous notre enfance! sont presque toujours des ingénus, influencés par les maîtres, certes, mais des ingénus. Il met en outre une certaine fatuité

--

[ocr errors]

dans le développement de son idée : « je prouve ceci », « j'ai dit ceci, l'ai-je prouvé ? » ; et le goût de combattivité de notre époque le possède parfois et risque de compromettre l'excellence de son observation, et nous donnerons comme exemple ses phrases trop incisives sur Bourget dont les prétendus avatars valent d'être étudiés longuement, et son réquisitoire contre Abel Hermant qui est fort bien, qui nous a réjouis... avouons le, mais où le ton passionné du raisonnement ne va pas sans quelque injustice.

Nous étions curieux de connaître comment M. Ernest-Charles conçoit en théorie le rôle du critique, et nous avons assez difficilement trouvé ces courts passages par lesquels notre désir se trouva exaucé :

«Le critique est un directeur de conscience littéraire. Il est plus encore. Employons une métaphore vulgaire pour exprimer une pensée noble. La littérature d'une nation est une entreprise intellectuelle, morale, qui doit profiter à tout l'univers. Il appartient pour beaucoup au critique de veiller à ce qu'aucun des bénéfices de l'entreprise ne se perde et de veiller aussi à ce que les forces nécessaires à la bonne conduite de cette entreprise ne s'affaiblissent pas en se dispersant... >>

Et ensuite il termine par cette profession de foi son article sur d'Aurevilly : « Il a compris que la critique devait être pour beaucoup directrice des esprits et des âmes. Il a pensé que le rôle du critique était de se mettre en travers des erreurs, des sottises qui, à toutes les époques, s'introduisent dans la vie, et de la vie dans la littérature pour la vicier. Il fut un critique d'action. Il ne fut enchaîné que par ses préjugés, et au demeurant, il fut un homme libre >>.

[ocr errors]

Encore une fois ceci est de la théorie. Contrairement à ce qui se produit habituellement chez les autres écrivains, la pratique de M. Ernest-Charles est supérieure à sa théorie. Car lui-même ne semble pas se reconnaître le droit en littérature — de se mettre en travers des erreurs, des sottises qui s'introduisent dans la vie. Ce serait en effet légitimer toute la critique violente et sentimentale qui eut tant de protagonistes dans les siècles passés et dont, au XIXe siècle, Louis Veuillot et Léon Bloy sont les représentants les plus notoires. Le rôle du critique pourrait être celui-là si le critique était un philosophe ayant su se placer au-dessus de son temps et pouvant juger les hommes et les événements avec une sereine désillusion; mais Ernest-Charles ne l'entend point ainsi puisqu'il le définit ainsi au sujet de Barbey d'Aurevilly. Et d'Aurevilly qu'on appela le «paladin de l'Idéal » ne guerroya jamais que pour les conceptions les plus suran

« PreviousContinue »