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une si grande nouveauté, puisqu'il ne ferait que renouer et élargir une véritable tradition historique (').

III

<< Vous oubliez, me dira-t-on, que la femme est affranchie du service militaire, et que son exclusion des droits politiques est précisément la rançon de cette exemption. Si l'homme seul est électeur, c'est que seul il est soldat. Puisque vous aimez la logique, ayez le courage d'enrégimenter les femmes ! » Ce n'est pas nécessaire. On voudra bien d'abord remarquer que cette objection n'a qu'une portée toute momentanée : le service militaire obligatoire pour tous les hommes n'existe ni en Angleterre ni en Amérique. En France même, il n'a pas toujours été la loi du recrutement. Bien plus, rien ne s'oppose à ce que l'ancien système de l'armée professionnelle remplace un jour ou l'autre, quand la situation extérieure le permettra, le système actuel de la nation armée. Le temps n'est pas loin où les jeunes gens, qui pouvaient se payer un remplaçant, conservaient néanmoins leur pleine capacité électorale. Aujourd'hui encore, les prêtres, les professeurs, les instituteurs, les diplômés de certaines écoles, sont soustraits à la presque totalité du service militaire, sans que leur droit de suffrage en soit amoindri. Est-ce que, par ailleurs, l'impôt du sang n'est point compensé, du côté des femmes, par les charges si lourdes de la maternité? Bonaparte disait un jour à la veuve du philosophe Condorcet : « Je n'aime pas que

(1) LABOULAYE, Recherches sur la condition civile et politique des femmes, p. 443, note 3. Lucien LEDUC, La Femme devant le Parlement, p. 283, notes 2 et 4.

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les femmes s'occupent de politique. » - « Vous avez raison, général; mais dans un pays où on leur coupe la tête, il est naturel qu'elles aient envie de savoir pourquoi. » La Française d'aujourd'hui pourrait ajouter « Dans un pays où l'on prend les enfants aux mères pour les envoyer se faire tuer aux frontières ou dans les colonies, les femmes ont bien le droit de savoir pourquoi. » On leur dit : « Ne vous plaignez pas de votre incapacité politique : vous ne payez pas l'impôt du sang. » Elles ont une bonne réponse à faire : « Nous le payons dans la personne de ceux qui nous sont le plus chers, fils, frères, époux et amis : ce qui n'est pas moins dur que de l'acquitter par soi-même. Si nous sommes dispensées du service militaire, nous sommes condamnées en revanche à toutes les douleurs de l'enfantement. Si nous ne faisons pas la guerre, nous faisons des soldats! » On comprend maintenant le mot de Michelet : « Qui paie l'impôt du sang? La mère. » Inutile de transformer toutes les femmes en vivandières pour leur permettre de revendiquer valablement l'exercice du droit électoral.

Et maintenant, nous pouvons aborder, en manière de conclusion, cette vieille controverse d'école : le vote est-il une fonction ou un droit? A vrai dire, cela m'est bien égal.

Si l'on tient l'électorat pour une fonction publique, la loi doit en investir seulement les plus dignes et les plus capables de l'exercer; et partant notre constitution politique a le devoir, et de la conférer sur-le-champ aux femmes instruites qui ne peuvent que l'honorer par leur caractère et leur talent, et de l'enlever bien vite à tant d'hommes ignorants ou malhonnêtes qui en font le plus sot usage ou le plus honteux trafic.

Si l'on admet, au contraire, que l'électorat soit un droit, alors nul membre du corps social ne saurait en être dépossédé. Tant que le gouvernement a été l'apa

nage de quelques privilégiés, on pouvait comprendre que les femmes ne fussent point recevables à en revendiquer le bénéfice; mais du jour où la volonté générale a remplacé la volonté monarchique, du jour où les pouvoirs politiques sont devenus l'émanation et l'expression du consentement populaire, la souveraineté, procédant de tous, doit appartenir à tous.

Et alors, de deux choses l'une : ou l'électorat est une fonction de souveraineté, et cette fonction ne doit être conférée qu'aux personnes capables de l'exercer, hommes ou femmes; ou bien l'électorat est un droit de souveraineté, et ce droit doit être reconnu à tous ceux qui composent la volonté générale, hommes et femmes.

Car il n'y a pas moyen de prétendre que la souveraineté soit d'essence masculine. Sa nature est double: elle est, en quelque sorte, mâle et femelle. En d'autres termes, la souveraineté ne découle pas exclusivement, soit des hommes, soit des femmes, mais du peuple entier, de tous les membres de la nation, de l'ensemble des hommes et des femmes. D'un mot, elle est bisexuelle. Cela étant, la conclusion s'impose tous souverains, tous électeurs!

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II.

III.

RESSE LES FEMMES AUTANT QUE LES HOMMES.
EST L'ARME DES FAIBLES.

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EN FAVEUR DES DROITS POLITIQUES DE LA FEMME. SA CAPACITÉ.
SA MORALITÉ. SON ESPRIT CONSERVATEUR.

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OPINIONS DE QUELQUES HOMMES CÉLÈBRES.

RESISTANCES INTÉ

ET TROP

RESSÉES. LES FEMMES SONT-ELLES TROP SENTIMENTALES

DÉVOTES POUR BIEN VOTER?

I

Tout concourt à justifier le droit des femmes au suffrage politique. Reste à savoir si elles ont vraiment intérêt à l'exercer. On nous objectera sans doute, à ce propos, que l'exercice des droits électoraux ne saurait être mis au rang des béatitudes; que jouer un si petit rôle officiel est de médiocre conséquence; qu'il y a de plus grandes joies et de plus pures jouissances sur la terre que d'introduire, de temps en temps, un bulletin dans l'urne sous l'oeil soupçonneux de trois citoyens vigilants appelés scrutateurs; que ce plaisir est si peu du goût de tout le monde que beaucoup d'hommes, et des meilleurs, y renoncent sans privation, sans souffrance; qu'en fin de compte, voter ne fait pas le bonheur. Vienne donc le jour où toutes les femmes

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seront électrices, il y aura quelques politiciennes de plus, et pas une mécontente de moins.

On nous dira encore, avec une grâce insinuante, que, dépourvue du droit de suffrage et placée même sous puissance de mari, la femme est maîtresse, quand elle le veut, d'exercer une certaine influence sur les affaires de sa ville ou de son pays. Souveraine de ce petit royaume qu'on appelle le ménage, elle n'est point dénuée de tout moyen d'agir sur les déterminations et le vote de son mari; et ce pouvoir modeste, sans éclat, mais sans responsabilité, fait d'une femme intelligente et fine l'Égérie du foyer. Grâce à cette influence discrète, la femme moderne, sans rien sacrifier de ses devoirs d'épouse et de mère, remplit un peu, dans les affaires politiques, l'office d'un monarque constitutionnel : elle règne, mais ne gouverne pas. Qu'elle reste donc la maîtresse de la maison et le bon génie de la famille : c'est le vœu de ceux qui professent le culte de la femme et le mépris de la politique.

Le malheur est (ce sera notre réponse) que la femme d'aujourd'hui n'a plus autant qu'autrefois le droit et le moyen de se désintéresser des choses de la politique. Depuis que le peuple émancipé a pris en main la direction de ses propres affaires, depuis que le suffrage universel a subordonné notre fortune, notre famille, notre vie, à cette force anonyme, irrésistible, irresponsable, qui est le nombre et qui s'affirme par une simple majorité si souvent précaire et instable, la politique est devenue la préoccupation et le devoir de tous. Est-ce qu'une femme de tête ou de cœur peut rester indifférente à la question de savoir si l'impôt dévorera le fruit de son travail, si une législation révolutionnaire confisquera ses biens héréditaires, si la puissance redoutable de l'État empiétera sans cesse sur les droits de la famille ? Les Françaises auraient grand tort, en vérité, de se reposer sur leurs maris ou sur leurs pères

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