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législatif. Sans obtenir du Parlement la reconnaissance de leurs droits politiques, et elles ne l'obtiendront pas de sitôt ! - leur persévérance, toutefois, a été partiellement récompensée. On a vu, en effet, qu'une loi du 23 janvier 1898 avait conféré aux femmes commerçantes le droit d'élire les juges des tribunaux de commerce; et en 1901, la Chambre des députés leur a concédé une faculté analogue pour les élections des conseils de prud'hommes. Mais il est à craindre que ce projet ne reste en détresse au Sénat. A part cette double démonstration, dont la dernière est platonique, les féministes françaises n'ont pas encore, les malheureuses, de victoires positives à inscrire sur leur drapeau.

Comment ne pas les plaindre, quand on songe que certaines femmes américaines possèdent et exercent les droits politiques depuis un quart de siècle? Et si heureux ont été les résultats de cette réforme libérale, que la représentation du Wyoming a décidé d'en faire part au monde entier. Lisez plutôt : « Attendu que, sans l'aide d'une législation violente et oppressive, sans causer aucun dommage, le suffrage féminin a contribué à bannir de l'État la criminalité, le paupérisme et le vice; qu'il a assuré la paix et l'ordre dans les élections et donné à l'État un bon gouvernement; que, depuis vingt-cinq ans de suffrage féminin, aucun comté de l'État n'a dû établir de refuge pour les pauvres; que les prisons sont à peu près vides, et qu'à la connaissance de tous, aucun crime n'a été commis dans l'État, si ce n'est par des étrangers : par ces motifs, le parlement de Wyoming décide que les résultats de son expérience seront transmis à toutes les assemblées législatives des nations civilisées, en les engageant à octroyer à leurs femmes les franchises politiques dans le plus bref délai possible (1). »

(1) Maurice LAMBERT, Le Féminisme, p. 26.

Ce manifeste est à méditer. Est-il croyable que l'immixtion des femmes dans les affaires publiques ait eu de si admirables effets, sans que la pudeur de leur sexe en ait été sérieusement atteinte? Que faut-il donc penser de la vieille maxime: Verecundia sexus non permittit mulieres se virorum immiscere cœtibus? Ce qui fut nécessaire aux femmes d'autrefois serait-il inutile aux femmes d'aujourd'hui ? Après tout, le temps marche si vite qu'il est difficile d'admettre que le monde reste en place.

Sait-on qu'à l'heure actuelle, dans la plus grande partie de l'Australie, les femmes jouissent de l'électorat politique, et que citoyens et citoyennes y votent sur un pied de complète égalité? que, plus près de nous, en Angleterre, les femmes sont électeurs pour les conseils de comté qui correspondent à nos conseils généraux, électeurs et même éligibles pour les conseils de district qui rappellent nos conseils d'arrondissement? Sans aller jusqu'au droit de représentation parlementaire, pourquoi n'admettrait-on pas chez nous, comme de l'autre côté de la Manche, la coopération de la femme lettrée aux commissions scolaires, et même la participation de la femme contribuable aux élections municipales? Bien plus, le mercredi 3 février 1897, le Parlement anglais s'est prononcé, à une majorité de 71 voix, en faveur de l'admissibilité des femmes à l'électorat politique.

Je sais bien que l'Angleterre n'est pas un pays de suffrage universel ni de service militaire obligatoire, et que ces différences de situation ne permettent pas d'étendre à la France, par simple analogie, l'initiative qu'ont prise nos voisins d'Outre-Manche. Ajoutons que la Chambre des Lords ne semble point partager les vues de la Chambre des Communes. Mais si la question de l'électorat féminin n'est pas encore résolue en Europe, elle a cessé, du moins, d'être un problème de philosophie sociale pour entrer dans les réalités vivantes de la politique.

CHAPITRE III

Le suffrage universel et l'électorat
des femmes

1.

II.

III.

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EXCLURE LA FEMME DU SCRUTIN EST IRRATIONNEL ET INJUSTE. ÉGALITÉ POUR LES HOMMES, INÉGALITÉ POUR LES FEMMES.

L'EXEMPTION DU SERVICE MILITAIRE JUSTIFIE-T-ELLE L'INCAPACITÉ POLITIQUE DU SEXE FÉMININ? QUE LE VOTE SOIT UN DROIT OU UNE FONCTION DE SOUVERAINETÉ, LES FEMMES PEUVENT Y PRÉTENDRE.

H

La question de l'émancipation politique des femmes. a été fort bien posée par les Anglaises et les Américaines; et c'est une raison de plus pour qu'elle fasse son chemin. Les Anglo-Saxonnes ont distingué d'abord entre l'électorat et l'éligibilité, se bornant sagement à réclamer le droit de voter sans prétendre, pour l'instant, au droit de représentation. En effet, beaucoup de ceux qui inclinent à laisser les femmes participer largement à nos élections, éprouvent, par contre (et c'est mon cas), toutes sortes de répugnances à les voir jouer un rôle actif dans nos assemblées délibérantes. Ensuite, procédant par une gradation méthodique, le féminisme anglo-américain s'est attaché à démontrer que les femmes ont intérêt et qualité pour prendre part aux élections commu

nales; puis, ce premier droit acquis, il a revendiqué leur coopération aux élections provinciales; enfin, ce second point gagné, il s'est appliqué à réclamer le droit de voter pour les assemblées législatives. La question en est là. Savez-vous plus habile tactique et plus adroite diplomatie? Et il y a des gens qui prétendent que les femmes n'ont pas l'esprit politique!

Notons, en outre, que cette marche progressive, ce sens pratique des difficultés et des résistances, ce goût de l'action prudente et mesurée, n'a pas empêché la femme anglo-saxonne d'apercevoir que la commune, la province et l'État ne sont, au fond, que trois circonscriptions plus ou moins larges de la société politique, et que le droit d'électorat pour la première emporte logiquement le droit d'électorat pour les deux autres. Qu'il s'agisse donc de nos élections municipales, départementales ou législatives, la femme française n'a qu'un seul et même argument à présenter, un argument très simple, mais très fort, puisqu'elle le tire du principe le plus démocratique, le plus égalitaire de notre constitution républicaine : j'ai nommé le suffrage universel, qui gouverne aujourd'hui presque toutes nos élections politiques.

Beaucoup en gémissent; mais combien peu le discutent encore? Imagine-t-on pourtant une institution plus mal nommée? Peut-on la dire universelle sans dérision ou sans duperie, lorsqu'elle exclut la moitié des membres de la société? En réalité, notre prétendu suffrage universel d'aujourd'hui n'est qu'un suffrage restreint, un privilège viril, un monopole masculin. Avons-nous donc de bons motifs pour en réserver exclusivement la jouissance au sexe fort? Pas du tout; et voilà bien où l'argumentation féministe est embarrassante.

Si discutable qu'il soit en théorie, le suffrage universel est considéré aujourd'hui comme la base des gouvernements démocratiques. Taine en a formulé très

heureusement la raison d'être dans les termes suivants : « Que je porte une blouse ou un habit, que je sois capitaliste ou manœuvre, personne n'a le droit de disposer sans mon consentement de mon argent ou de ma vie. Pour que cinq cents personnes réunies dans une salle puissent justement taxer mon bien ou m'envoyer à la frontière, il faut que, tacitement ou spontanément, je les y autorise; or, la façon la plus naturelle de les autoriser est de les élire. Il est donc raisonnable qu'un paysan, un ouvrier, vote tout comme un bourgeois ou un noble; il a beau être ignorant, lourd, mal informé, sa petite épargne, sa vie sont à lui et non à d'autres; on lui fait tort, quand on les emploie sans le consulter de près ou de loin sur cet emploi (1). »

Si telle est bien l'idée fondamentale du suffrage universel, qui ne voit qu'elle est aussi démonstrative en faveur du droit électoral des femmes qu'en faveur du droit électoral des hommes? Qu'il s'agisse, en effet, de la commune, du département ou de l'État, il n'est pas juste que les femmes en supportent les charges sans être appelées à les consentir, sans participer conséquemment à l'élection de ceux qui les établissent; il n'est pas juste qu'elles soient privées du droit de défendre leur épargne et la vie de leurs enfants, parce qu'elles portent une robe au lieu d'une blouse ou d'un habit.

Lorsqu'une femme paie dans une commune les taxes syndicales, on l'admet à concourir à l'élection du syndicat; lorsqu'elle détient le nombre réglementaire d'actions fixé par les statuts, elle a le droit de séance et de vote aux assemblées générales de la Compagnie du Nord ou de la Banque de France (2). Et la femme possédant

(1) H. TAINE, Du Suffrage universel et de la manière de voter; Paris, 1872, in-12, p. 8.

(2) Gabriel ALIX, L'électorat municipal et provincial des femmes. Réforme sociale du 1er novembre 1896, p. 625.

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