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cette raideur de verbe et d'allure, sous cette écorce dure et sèche, est-il donc impossible de trouver un fond de loyauté, de franchise, de sincérité, de noblesse, de générosité, capable de faire oublier, avec un peu d'amour, les rugosités de l'enveloppe? Nous sommes impatients et autoritaires : c'est entendu. Si nous supportons vaillamment l'infortune, en revanche, nous faiblissons étrangement devant la douleur physique. Une fièvre nous abat, un malaise nous effraie. Ce nous est un supplice d'entendre gémir ou pleurer autour de nous. Quel homme pourrait veiller au chevet d'un enfant ou d'un malade comme la mère de famille ou la sœur de charité?

Mais l'homme ne reprend-il point sa supériorité dans les longs efforts, dans les labeurs pénibles du corps et de l'esprit ? Nous ne sommes point parfaits, soit! Mais les femmes le sont-elles? Que celles qui inclineraient trop facilement à voir en l'homme un être égoïste et méchant, prennent la peine d'observer qu'il travaille, qu'il peine, qu'il lutte pour le foyer. Même dans le peuple, sont-ils si rares ceux qui, sûrs de trouver chez eux un ménage propre et réjouissant, une femme avenante et gaie, préfèrent leur famille à l'auberge et au cabaret?

Voudrait-on, par hasard, intervertir les rôles et remplacer la maîtrise de l'homme par la maîtrise de la femme? Le remède serait pire que le mal. Une femme autoritaire ne l'est jamais à demi. C'est un tyranneau domestique. Rien de plus déplaisant que cette créature d'humeur dominante et de caractère impérieux, qui usurpe, en son intérieur, le rôle du père. Ses éclats de voix et ses grands airs blessent comme une anomalie. Nous associons si étroitement la douceur à la grâce féminine, la rudesse et l'emportement lui sont si contraires, qu'une parole dure et brutale dans la bouche d'une femme nous choque autant qu'un blasphème sur

les lèvres d'une dévote. Et pourtant, c'est une tristesse de le dire, il y a des femmes revêches et acariâtres. La moindre contradiction les offense et les irrite. Personnelles, orgueilleuses, violentes, on les voit ramener insensiblement à elles toutes les choses du ménage, tous les intérêts de la famille, apostrophant les domestiques, secouant les enfants, maltraitant le mari.

Le pauvre homme, chassé peu à peu de toutes ses attributions, décapité de son prestige, commandé comme un inférieur, humilié devant les siens, quand il n'est pas malmené en public, prend souvent le parti héroïque de se taire et de s'effacer en considération des enfants qu'une rupture blesserait pour la vie, trop heureux si son silence n'est pas interprété comme une injure et sa longanimité prise pour de la pure sottise! Devenue maîtresse absolue de son intérieur, madame tranche, gronde, crie. C'est un frelon dans la ruche. Donnez-lui toutes les qualités que vous voudrez, de l'ordre, de la décision, de l'économie; supposez-la charitable aux pauvres, secourable aux malheureux son esprit de domination contre nature lui fera perdre tous ses mérites aux yeux du monde. Et c'est justice; car elle fait le malheur des siens. S'en rendelle compte? On peut en douter. Son moi s'épanouit avec une sorte d'inconscience. Admettons qu'elle opprime son mari et tyrannise ses gens sans le vouloir, sans le savoir. Il n'en reste pas moins que découronnée des grâces de la douceur, cette femme, moins rare qu'on ne le pense, a quelque chose d'hybride : on dirait un être hors nature qui n'est plus « Madame » et n'est pas encore « Monsieur ». C'est la femme-homme. Dieu vous en garde!

Et le féminisme avancé tend précisément à multiplier ce type insupportable. Voici une jeune fille à marier elle a tous ses brevets; elle parle couramment l'anglais ou l'allemand, et à peu près le français; elle

excelle dans la musique et cultive l'aquarelle. Tous les sports lui sont familiers : elle valse à ravir, monte comme un hussard, nage comme un poisson et pédale infatigablement sur tous les chemins. Mais la jeunesse passe et Mademoiselle s'ennuie. Il faudrait lui trouver un bon mari; c'est, à savoir, un brave garçon qui sache tenir un ménage, surveiller la cuisine, soigner les enfants et, au besoin, raccommoder les bas. Où trouverez-vous cet imbécile? Plus la jeune fille se virilise imprudemment, moins elle se mariera facilement.

<< Vous vous méprenez, me dira-t-on, sur les tendances du féminisme conjugal. Il ne s'agit point de subordonner l'homme à la femme, pas plus que la femme ne doit être subordonnée à l'homme. Ce que nous demandons, c'est l'égalité. » Je n'en disconviens pas; mais est-elle possible? La chose paraîtra douteuse à quiconque voudra bien rechercher l'esprit de ce nivellement de puissance entre les époux.

III

D'après les idées nouvelles, les époux sont deux unités indépendantes, moins unies que juxtaposées. Entre ces deux souverains autonomes, comment l'entente, la paix, la vie seraient-elles durables. C'est un fait d'expérience qu'entre deux forces également éprises de leur liberté, les conflits aboutissent à la guerre intestine. Le dualisme n'a jamais produit que la lutte et le désordre. En politique, il conduit les peuples au schisme et à la sécession; appliqué au mariage, il multiplierait entre les époux les causes de rupture et les occasions de divorce. Voyez-vous ces deux êtres rivaux ayant mêmes droits devant la loi et attachés l'un à l'autre par une même chaîne? « L'amour la rendra

légère, » nous dit-on. Mais l'amour passe et, privés de ce doux trait d'union, il est à prévoir que les conjoints, demeurés face à face sans vouloir désarmer, finiront par se tourner le dos pour mieux sauvegarder leur très chère indépendance.

Il n'y a pas d'ordre possible sans une certaine hiérarchie. Mettez que les père et mère aient sur leurs enfants les mêmes prérogatives: si l'accord cesse, c'est la confusion, le conflit aigu, la guerre s'installant au foyer; c'est la vie commune rendue impossible; c'est la paix du ménage irrévocablement troublée. Quand deux individus, qui se croient égaux en droit et en force, se disputent et se heurtent, le duel est terrible. Pour éviter les coups et les violences, il n'est plus qu'un moyen : se séparer.

Mme Arvède Barine a très bien vu ce danger. « Comment le mariage pourrait-il subsister quand personne, dans un ménage, n'aura le dernier mot? quand deux époux seront deux puissances égales, dont aucune ne pourra contraindre l'autre à capituler? » C'est une belle chose de se révolter contre les servitudes du mariage sans amour; mais, pour se prémunir contre les collisions inévitables de l'égalité conjugale, il faut être prêt à se réfugier dans l'union libre. Là, du moins, dès qu'on ne s'entend plus, on se lâche sans cérémonie.

Le « féminisme matrimonial » marque donc, de la part de la femme, une tendance à oublier son sexe pour établir entre les conjoints, non pas l'union à laquelle les convie naturellement leur diversité, mais une égalité séparatiste, un isolement hautain, dont ne sauraient bénéficier ni la confiance ni l'amour. Il n'y a pas à s'y méprendre c'est une guerre de sécession qui commence. Que le rêve des libertaires vienne à se réaliser, et le mariage sera le rapprochement ou plutôt le conflit de deux forces égales, avec plus d'orgueilleuse raideur chez la femme et moins d'affectueuse condescen

dance du côté de l'homme. Et quand ces deux forces, rapprochées par une inclination passagère, se beurteront en des luttes que nulle autorité supérieure ne pourra trancher, il faudra bien rompre, puisque personne ne voudra céder. Pauvres époux! pauvres enfants! pauvre famille!

A ce triste régime égalitaire, le mari gagnera-t-il, du moins, de voir diminuer ses charges et ses responsabilités? Pas le moins du monde. L'esprit de la femme est ainsi fait qu'elle gardera les honneurs et les réalités du pouvoir, sans vouloir en assumer les ennuis et les dommages. Dès qu'une opération entreprise par son initiative aura mal tourné, soyez sûrs qu'elle en rejettera tous les torts sur le mari. « Tu me l'avais conseillée. - « Allons donc! » — « Il fallait m'avertir, alors!» Toute l'équité féminine tient en ces propos ingénieux. Les femmes veulent être maîtresses de leurs actes, avec l'espoir d'en garder tout le profit, s'ils réussissent, et d'en répudier toute la responsabilité, s'ils échouent.

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L'égalité de puissance entre mari et femme? j'en nie la possibilité même. C'est l'équilibre instable. Allez donc bâtir là-dessus une maison et une famille ! En toute association conjugale, il y a communément un des époux qui suggestionne l'autre, et l'intimide et le gouverne. N'en soyons point surpris: cette hiérarchie des forces est voulue par la nature. Il est des caractères doux et faibles dont c'est le partage, et souvent même l'agrément, d'obéir. Aux autres, c'est-à-dire aux énergiques, aux sanguins, aux violents, appartient le commandement. Si vous le leur refusez, ils le prennent, en accompagnant, au besoin, leur ordre souverain d'un geste décisif. Ce sont les dépositaires de l'« impératif catégorique ».

Tout est pour le mieux, quand le plus puissant des deux, mari ou femme, est en même temps le plus capable et le plus digne. Mais combien il est déplaisant

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