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Il en résulte que bientôt il y a manque de waggons; que les exploitants et les commerçants font retentir les journaux de leurs plaintes, adressent des pétitions aux ministres et aux chambres pour forcer les compagnies et l'Etat lui-même à augmenter leur matériel et à le mettre en rapport avec les besoins du commerce et de l'industrie, et qu'il se fait enfin un chorus général pour forcer les administrations à acheter de nouveaux waggons, sauf à elles à se débrouiller pour

le reste.

Est-ce bien là ce qu'il y a à faire, et serait-il donc impossible de sortir de la double difficulté devant laquelle on se trouve, et qui consiste, d'une part, dans les dangers d'obérer les entreprises de chemins de fer, si l'on crée un matériel hors de proportion avec le capital qu'elles comportent, d'autre part, dans l'inconvénient de laisser les transports en souffrance en ne créant qu'un matériel insuffisant mais tenu dans une limite convenable de dépense.

Je ne le pense pas, et puisque les moyens qui ont reçu ailleurs de si bonnes applications, sont, en quelque sorte, systématiquement repoussés chez nous, puisque, d'autre part, ces moyens ne sauraient être, en tout cas, d'une application générale, ne doit-on pas en chercher quelqu'autre qui permette d'atteindre complètement ce but?

C'est en vue d'attirer l'attention sur cette question que, au risque d'être traité d'inventeur, même d'utopiste, je me hasarde à émettre ici quelques idées qui ne me paraissent pas impraticables.

Il y a, dans les waggons à marchandises, deux choses bien distinctes:

Le train, qui en est la partie la plus coûteuse en même temps que le véritable organe de locomotion.

La caisse, qui ne coûte guère que le tiers de la valeur du train ou le quart de celle du waggon (1) et qui sert de réceptacle à la marchandise à transporter au moyen du train.

(1) A charbon.

Dans les waggons construits jusqu'à ce jour, ces deux parties sont solidaires, de manière que l'une ne peut servir sans l'autre, et que quand l'une chôme, l'autre chôme également.

On peut se demander si cela est bien nécessaire, et remarquer que, si l'on parvenait à rendre les deux parties du waggon indépendantes l'une de l'autre, on pourrait aisément, avec un même train, desservir un certain nombre de caisses et pourvoir ainsi, avec bien moins de dépense, aux besoins d'un service donné.

Supposons, pour un moment, que cela soit; que l'on ait un matériel composé d'un certain nombre de trains de waggons et d'un nombre beaucoup plus grand de caisses; que l'on ait, de plus, un moyen facile d'enlever les caisses de dessus les trains pour les mettre à quai et vice-versa, il sautera aux yeux que le train qui aura amené une caisse chargée pourra en être immédiatement débarrassé, et qu'aussitôt après, et sans attendre, comme aujourd'hui, qu'elle soit débarrassée de sa charge, il pourra prendre une autre caisse pleine ou vide, soit à l'endroit même où il se trouve, soit sur un autre point vers lequel il pourra être expédié.

Dans une telle hypothèse, le véhicule répandrait toute sa mobilité aujourd'hui paralysée, et il n'y aurait plus que les caisses, c'est-à-dire la partie la moins coûteuse des waggons, qui subiraient les stationnements obligés pour chargements et déchargements, qu'aujourd'hui les trains subissent forcément avec elles.

Toute la question se réduit donc à trouver un moyen simple, économique et pratique de mise à exécution.

Sans prétendre donner ici une solution complète du problème, je vais tâcher pourtant de faire comprendre comment il me semble qu'on pourrait y arriver.

J'ai représenté, fig. 1, 2 et 3, pl. 27, en plan, coupe et élévations, un train ordinaire de waggon de 7 tonnes avec les modifications qu'il devrait subir pour l'objet que j'ai en vue.

Ces modifications consisteraient à y placer huit galets A en fonte, tournant sur axes et formant ainsi trois lignes parfaitement parallèles et perpendiculaires à l'axe longitudinal du

train; à modifier quelque peu les manchons de buttoirs mobiles, suivant ce que j'ai indiqué sur les fig. 1 et 2 et à fixer sur les deux autres buttoirs des tasseaux en bois fortement boulonnés B, destinés, avec les appendices des manchons en fonte, à empêcher les caisses de flotter dans le sens longitudinal.

J'ai représenté également en plan, coupe et élévation, fig. 4, 5 et 6, pl. 28, une caisse ordinaire de waggon ouvert avec les modifications nécessaires.

Ces modifications consistent dans le renforcement du bâti au moyen de contrevents en fer C et dans le placement de trois ornières creuses en fer D fixées sur le fond du bâti et destinées à glisser sur les files de galets du train. De plus, pour empêcher les caisses de glisser dans le sens latéral, elles seraient munies de quatre oreilles E (fig. 5 et 6) dans lesquelles s'accrocheraient des crochets fixés au train, ainsi que c'est marqué en pointillé sur la fig. 3, pl. 27.

Pour terminer l'exposition de mon idée, j'ai représenté, même figure, un fragment de quai sur lequel j'ai marqué, en pointillé, la position qu'y occupera la caisse quand on l'aura poussée en bas du train. Ce quai est pourvu de files de galets correspondantes à celles du train; j'en expliquerai plus loin le mode de construction.

Les choses étant comme je viens de l'expliquer, je suppose la caisse de waggon sur son train; voulant la mettre à quai pour être chargée ou déchargée, on amène le tout de manière à mettre les files de galets du train dans le prolongement de celles du quai, tout comme s'il s'agissait d'opérer avec un chariot transbordeur. Cela fait, et après avoir détaché les quatre crochets de retenue de la caisse, on pousse cette dernière sur les lignes de galets du quai, aussi loin que c'est nécessaire. Le train de waggon se trouve ainsi libre et peut partir ou prendre une nouvelle charge. La caisse reste sur le quai aussi longtemps qu'elle est chargée ou déchargée. Quand il en est ainsi, un train de waggon est amené contre le quai et la caisse est poussée dessus, puis elle y est arrêtée au moyen des crochets de retenue, et le waggon peut se mettre en marche.

L'opération que je viens de décrire étant bien comprise, il est à peine nécessaire de faire remarquer :

1° Qu'on peut faire les quais aussi longs que les besoins de l'exploitation l'exigeront, de manière à y placer de front 10, 15, 20 caisses de waggons ou plus, à chacune desquelles corres pondront trois files de galets formant le chemin sur lequel elles glisseront.

2o Qu'en plaçant un bout de quai semblable entre deux voies, on pourrait faire passer les caisses d'une voie à l'autre sans le secours de plaques tournantes ni de transbordeurs, ce qui peut offrir de grands avantages dans certains cas.

3o Qu'au moyen de chariots spéciaux et de dispositions convenables, on pourrait enlever les caisses des quais et les transporter sur les routes ordinaires, jusqu'aux points où elles devraient être déchargées ou recevoir charge, circonstance qui pourrait offrir de grandes facilités à certaines industries.

4o Que dans mon système les voies étant constamment libres, sauf les temps très courts des passages des convois et des mises des caisses à quai ou de leur prise en charge sur les trains, on serait dispensé, dans bien des cas, de construire d'énormes développements de voies d'évitement, de dégagement et de garage rendues nécessaires par le stationnement prolongé des waggons sur les voies, dans l'état actuel des choses.

5° Qu'enfin les dispositions que j'indique, s'appliqueraient aussi bien aux caisses des waggons fermés, qu'à celles des waggons ouverts.

J'ai à montrer maintenant quelle serait l'économie qui résulterait de ces dispositions et à répondre d'avance à quelques objections qui pourraient m'être faites.

Quant à la question d'économie, je prendrai, pour en constater l'importance, le cas qui me paraît le plus défavorable: celui d'un train de waggon desservant trois caisses sculement, ce qui en suppose une en chargement, une en déchargement, et la troisième en marche. Il est évident que, dans bien des cas, le même train ferait le service d'un plus grand nombre de caisses. Ce train et les trois caisses représenteront, dans l'état

actuel des choses, trois waggons complets qui, ensemble, ne coûteront pas moins de 6000 francs.

Avec mon système, voici quelle serait la dépense:

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Ainsi, avec une dépense à peu près de moitié, on pourrait satisfaire aux nécessités du service que j'ai pris pour exemple; un pareil résultat n'a pas besoin de commentaire.

On me fera observer, peut-être, que, à raison de la construction nécessaire d'un certain nombre de quais spéciaux, il y aurait bien quelque chose à en rabattre; mais je vais montrer, en prenant également un exemple aussi peu favorable que possible, que ce quelque chose, s'il faut en tenir compte, ne serait pas lourd.

Je prendrai encore, comme précédemment, le cas de trois waggons dont l'un en chargement, l'autre en déchargement, et le troisième en marche; et de plus, je supposerai qu'il y ait un échange continuel de caisses vides et chargées entre les deux points desservis, de telle sorte, que la caisse partie pleine du quai de chargement y soit immédiatement remplacée par une caisse vide, et qu'au quai de déchargement la caisse pleine qui vient d'y être déposée, soit immédiatement échangée contre celle qui a été débarrassée de sa charge pendant l'aller et le retour du train.

Il faudra, dans ce cas, que les quais de chargement et de déchargement soient construits comme suit :

La longueur du quai devra être égale à celle de deux caisses contiguës, soit 12 mètres (voir fig. 7, pl. 28) et chaque quai devra être pourvu de six files de galets, trois files devant servir à recevoir la caisse qui arrive,et les trois autres celle qui va partir.

Leur largeur sera égale à celle des caisses de waggons augmentée d'un mètre pour qu'on puisse circuler autour (voir fig. 3, pl. 27).

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