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Les fondations ont déjà, à diverses reprises, supporté de très-fortes crues d'eau sans être endommagées, entre autres celles de 1855. On comprendra facilement les dispositions qui les ont garanties de tout dommage. Les torrents, qui roulent des galets, creusent leur lit lors des fortes eaux et ils remplissent ensuite eux-mêmes ces excavations lorsque les crues sont passées. En laissant, pour une arche, le fond naturel du lit, on a permis à la rivière de se conformer à cette loi. On a calculé, d'après les observations faites sur les hautes eaux de l'Isar, que celles-ci, au point le plus élevé qu'elles ont atteint, arriveraient dans cette arche, à9 pieds au-dessus du niveau des basses eaux. Or, les fondations du pont descendent jusqu'à 7 1/2 pieds au-dessous de ce niveau, et sont protégées par des lignes de palplanches et des enrochements. Le passage abandonné à la rivière dans lequel elle peut, au besoin, creuser son lit, détourne tout danger des autres parties.

Lorsque les eaux, arrêtées par un pont dont toutes les arches sont également défendues contre leur action corrosive, s'élèvent en amont, le danger est le même partout, et des dommages surviennent en des points où l'on paraissait le moins devoir les craindre.

On employa, pour la maçonnerie des piles et des culées, la pierre de taille et d'excellentes briques fournies par les briqueteries de Solln. Afin de prévenir les effets des tassements inégaux qui se produisent facilement, lorsque certaines parties d'une construction, par exemple les arêtes, sont en pierre de taille et le reste en briques, on consolida la maçonnerie en briques, qui ne commence qu'au-dessus du niveau des fortes caux, par des assises en pierre de taille, séparées entre elles par des intervalles de 15 pieds. Un entablement cannelé, simple et sévère, couronne les massifs de cette maçonnerie.

L'ouverture des travées est de 185 pieds de Bavière pour celle du milieu, et 97 1/4 pieds pour les deux latérales. Les longueurs des poutres sont respectivement de 192,75 et 102 pieds. Les piles ont une épaisseur de 10 pieds. Les dimensions du pont étant calculées pour une double voie, on lui a donné une largeur de 54 pieds.

Comme le chemin de fer de Munich à Rosenheim n'a qu'une seule voie, il n'y en a aussi qu'une sur le pont qu'elle traverse en son milieu. De chaque côté, on a laissé une voie pour les voitures ordinaires et un trottoir pour les piétons. Si un jour deux voies de rails devenaient nécessaires, elles occuperaient la place des voies pour les voitures ordinaires et celles-ci passeraient sur la voie du milieu.

Les longerons sur lesquels sont placés les rails du chemin de fer, ainsi que les voies pour les voitures ordinaires et les trottoirs reposent sur des traverses en fer; ces traverses, espacées entre elles de 4,84 pieds, sont

portées par quatre supports longitudinaux que soutiennent les colonnes verticales des quatre poutres principales. Ces poutres ont entre elles un intervalle de 6,2 pieds, en sorte que la voie actuelle du chemin de fer, comme les deux voies qu'on pourra établir par la suite, s'appuient directement sur elles. Les traverses dépassent de chaque côté les poutres de rive d'une longeur de 7,5 pieds et portent les trottoirs pour piétons ainsi qu'une partie des voies pour les voitures ordinaires.

Ce qui caractérise ce système de pont, pour lequel M. de Pauli a obtenu dans plusieurs Etats un brevet d'invention, comprend la construction des poutres principales. Ces poutres different des poutres tubulaires et des poutres latices en ce qu'au lieu de couvrir d'une manière continue tout l'espace à franchir et de présenter partout la même hauteur, elles forment pour chaque travée un tout séparé et complet, et qu'elles offrent à l'effort de la charge la résistance de deux arcs dont la courbure est tournée l'une vers le haut l'autre vers le bas. (Pl. 48.) — L'effort est transmis à ces arcs au moyen de colonnes sur lesquelles reposent les supports longitudinaux des traverses.

Ces deux arcs forment un assemblage solide composé d'une voûte et d'une chainette d'égale courbure.

La courbure de ces arcs est calculée de manière que l'un et l'autre aient dans toute leur longueur la même section, ce qui simplifie considérablement l'exécution. Chaque poutre est donc essentiellement composée de pièces verticales assemblées à un arc courbé vers le haut, à un autre are courbé vers le bas, et enfin de diagonales qui relient les points nodaux supérieurs et inférieurs et qui ont pour objet d'empêcher la déformation qui résulterait de pressions inégales.

Si l'on avait placé les colonnes assez près l'une de l'autre, pour y appuyer directement les traverses, on aurait pu éviter l'emploi des supports longitudinaux qui ne vont que d'une colonne à l'autre.

Les arcs d'une même poutre sont solidement reliés à leurs extrémités. Comme ils ont la même courbure, la pression horizontale exercée par l'arc supérieur est exactement compensée par la traction horizontale de l'arc inférieur, et les assises sur lesquelles reposent ces arcs, n'ont qu'une pression verticale à supporter. L'absence de toute poussée horizontale explique la parfaite stabilité des piles malgré leur grande hauteur.

Aux points où les arcs prennent appui, les piles et les culées présentent de forts blocs de granit, et les assemblages sont ménagés de manière à laisser le jeu nécessaire à la dilatation du métal, et aux oscillations qui se produisent lors du passage d'un convoi.

Les quatre poutres principales sont reliées entre elles par des pièces de

pont horizontales et diagonales, analogues à celles qu'on emploie pour les ponts en tôle et les ponts à treillis.

Comme la nouveauté du système ne consiste que dans la disposition particulière des parois verticales des supports, il est évident que tout aussi bien que les ponts en tôle ou à treillis, il peut être appliqué au cas où le tablier du pont est placé à mi hauteur ou bien immédiatement au-dessus du niveau des hautes eaux.

Tout homme de l'art reconnaîtra que dans le pont Pauli le fer n'est soumis à aucun effort transversal. et qu'une même pièce est pressée ou tirée,mais jamais exposée alternativement à l'un et l'autre de ces efforts Ces actions alternatives sont généralement considérées comme amenant des changements dans la texture du fer.

Comme la simplicité du système employé a permis de calculer exactement l'effort maximum que chaque pièce est appelée à subir, on a pu non-seule. ment établir les dimensions proportionnelles de chaque partie de la construction mais encore choisir avec soin les qualités de fer les plus convenables Chaque qualité de fer a été soumise à des épreuves pour déterminer sa force de cohésion et d'élasticité; c'est ainsi que chaque pièce qui avait à supporter une traction, a été éprouvée par un poids de 200 quintaux par pouce carré, en même temps qu'on la frappait à coups de marteaux, bien que les dimensions n'eussent été calculées que pour un maximum de traction s'élevant à 100 quintaux.

Afin d'empêcher le métal de se rouiller, on nettoya parfaitement la surface de chaque pièce, on la trempa dans un bain d'huile de lin bouillante, et enfin on la couvrit d'une couche de minium et de deux couches de couleur à l'huile.

Après avoir préparé de cette façon une quantité convenable de fer on commença le 3 juillet le montage des arcs supérieurs et inférieurs, dans la première ouverture. Le 9 juillet, le même travail fut commencé dans la seconde ouverture, le 18 dans la troisième, et le 1er août dans la quatrième. Les pièces composant les arcs ne furent pas forgées à chaud, comme cela se pratique ordinairement dans les ponts à treillis, mais on les plaça les unes sur les autres en plusieurs couches au nombre de huit pour les arcs du milieu, de manière à avoir les joints recouverts, puis on procéda à leur soudage M. Werder adopta ce procédé parce qu'il était convaincu que la constitution intérieure du fer est plus homogène lorsqu'elle sort du four à réchauffer et que cette homogénéité est, au contraire, altérée lorsqu'on l'expose à une haute température dans certaines de ses parties seulement, comme cela a lieu dans le forgeage. Dans tout le cours des travaux on évita soigneusement de traiter à chaud aucune pièce essentielle, lorsqu'on avait à

la tailler, pour la façonner. ou qu'on devait y ajouter une autre pièce de fer. Une autre particularité de cette construction consiste en ce que nulle part, si ce n'est dans des parties complètement accessoires, on n'a fait usage de rivets. Si l'on procède à froid, la tête du rivet est cassante, tandis qu'un rivet placé à chaud ne serre jamais exactement lorsqu'il est refroidi. Les pièces étant montées, on y perça des trous qu'on lima ensuite avec un alésoir jusqu'à ce que les boulons coniques, façonnés au tour, et ayant tous les mêmes dimensions et la même forme, pussent y être introduits de manière à les remplir exactement. On a pu se convaincre que cette dernière condition était satisfaite, en remarquant que les parois des trous étaient entiè rement lisses. lorsqu'on en retirait les boulons.

Dès que les arcs étaient mis en place, des ouvriers, travaillant par groupes de trois et à la tâche, commencèrent le perçage des trous et la pose des boulons. La place de chaque trou de boulon avait été exactement marquée d'après les plans de détail que les entrepreneurs avaient fait dresser.

L'avancement du travail fut considérablement entravé par l'arrivée tardive du fer, surtout de celui qui avait été commandé en Angleterre. Mais avant de monter les pièces de ponts, on laissa les poutres tasser avec leurs traverses et longerons. Lorsque enfin tous les assemblages des diagonales eurent été établis et qu'on eut aussi placé une partie des balustrades, on commença. le 25 septembre, les épreuves relatives à la résistance à la pression.

Jamais encore, ainsi que nous l'avons dit plus haut, un pont de chemin de fer n'avait été construit d'après ce système, ni avec un pareil mode d'assemblage. Il était donc nécessaire de faire subir à l'un et à l'autre des épreuves très-sérieuses et d'y apporter la plus grande attention. L'épreuve que l'on fait subir d'ordinaire aux ponts de chemin de fer consiste à y passer avec les locomotives les plus lourdes, avec des charges et des vitesses différentes Le poids des locomotives avec tender est, en Bavière, de 90,50 quintaux du Zollverein par pied courant. On a fixé pour le pont sur la Vistule, près de Dirschau, et pour celui sur la Nogat, près de Mariembourg, la charge par pied courant de Bavière, à 2128 livres ou 18,51 quintaux du Zollverein. Mais M. de Pauli était tellement convaincu de la bonté de son système, et Messieurs de Cramer Klett avaient une confiance si grande dans l'exécution des travaux et dans la bonne qualité des matériaux, qu'ils n'hésitèrent pas à laisser charger le pont d'un poids de 30 quintaux par pied courant pour chaque ligne de rails, ou de 60 quintaux par pied courant du pont, en employant tel mode d'épreuve qu'on jugerait convenable. Cette charge d'épreuve dépassait donc de 62% celle employée pour les ponts prussiens.

Comme on n'aurait pas pu réaliser une pareille épreuve avec deux lignes de locomotives attelées les unes aux autres, sans tenders, on dut recourir à une charge de rails. C'était soumettre le pont à une épreuve beaucoup plus rude, car on dut placer sur une des petites travées un poids de 12,000 quintaux en rails, puis les enlever après avoir examiné avec soin toutes les parties du pont et mesuré toutes les flexions qui s'y étaient produites. Cette opération exigea 5 à 6 jours, et elle devenait d'autant plus difficile vers la fin du chargement, qu'il ne restait plus de place pour le passage des ouvriers. Le temps considérable pendant lequel le pont demeurait chargé, rendait cette épreuve plus forte que l'épreuve ordinaire et tout homme de l'art en appréciera la valeur.

La charge ne fut pas répartie également sur toutes les parties du pont mais on chargea d'abord les deux lignes de rails de la voie du chemin de fer, suivant leur longueur jusqu'à concurrence de 20 quintaux par pied courant, puis on distribua uniformément de chaque côté le poids complémentaire de 10 quintaux par pied courant.

Par cette distribution de la charge statique, on imita la manière dont un convoi vient peser sur le pont lors de son passage, avec cette différence que la charge était plus forte de 50 % et qu'elle pesa sur le pont pendant plus de temps.

Les fonctionnaires supérieurs et les ingénieurs de l'administration des travaux publics et de l'administration du chemin de fer furent chargés de procéder à ces épreuves. Les résultats, déterminés en partie par des nivellements, en partie aussi marqués par le pont lui-même sur des feuilles de laiton disposées à cet effet à côté des points nodaux, sont forts intéressants, mais les limites dans lesquelles nous devons nous renfermer ne nous permettent pas de les faire connaître ici.

Après qu'une grande et une petite travée eurent été chargées d'un poids de 60 quintaux par pied courant, et qu'on eut constaté que la construction était restée intacte dans toutes ses parties, on se décida, afin d'abréger, à ne charger le reste du pont que de 40 quintaux seulement par pied courant, et de procéder à la réception des travaux, si les flexions ne dépassaient pas celles observées précédemment.

Ces dernières épreuves eurent lieu du 10 au 19 octobre. Le 21, on passa sur le pont avec des locomotives. Lors de cette nouvelle épreuve, le pont se comporta de manière à satisfaire pleinement les fonctionnaires du service d'exploitation. Les flexions et les oscillations qui eurent lieu dans cette circonstance et qui se trouvent indiquées dans le tableau que nous donnons plus loin, sont relevées d'après les petites tables en laiton où elles avaient été marquées par l'appareil à écrire.

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