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Au nombre des difficultés que présente cette vaste question, on peut placer en première ligne celle du matériel de transport. Partout on n'entend que plaintes contre son insuffisance, et les augmentations qui s'en font d'année en année, sont impuissantes à les faire cesser.

Cela s'explique en considérant que non-seulement le transport des matières pondéreuses s'accroît sans cesse, mais encore, qu'il est de sa nature d'affecter des allures capricieuses qui le font souvent passer par des variations tellement fortes et brusques, que tel chemin de fer qui a, pendant les trois quarts de l'année, une partie de son matériel immobile et improductif sur ses voies de garage, peut se trouver, pendant le dernier quart, en présence d'un manquant considérable.

Ce fait bien constaté soulève une première question fort importante.

Faut-il créer un matériel capable de suffire aux plus fortes exigences qui peuvent fortuitement se produire, même avec une certaine régularité périodique, pour en laisser une bonne partie sans emploi pendant les périodes de mouvement, en quelque sorte normal? Ou bien faut-il se borner à se mettre en mesure de satisfaire largement au mouvement normal, avec la perspective de se trouver en défaut à l'époque des plus forts mouvements passagers?

Telle est la question qu'on s'est souvent posée et qui n'a pas encore été résolue.

Que le matériel d'un chemin de fer soit assez largement calculé pour laisser une certaine marge au-delà des besoins normaux, c'est ce qu'indique la prévoyance la plus vulgaire; mais pourrait-on admettre, par exemple, qu'un chemin de fer, qui transporte régulièrement 25 à 30 mille tonnes par mois, doive se pourvoir d'un matériel permanent capable d'en transporter 50 à 60 mille qui peuvent lui arriver exceptionnellement ou à certaines époques seulement de l'année?

Ceci est plus sujet à discussion, car la création d'un certain surcroît de matériel au-delà de ce qui est nécessaire pour les besoins normaux, constitue une charge plus ou moins lourde pour l'exploitant, et dans certaines circonstances, cette charge

pourrait devenir assez forte pour absorber une bonne partie des bénéfices auxquels il peut légitimement prétendre.

Il faut donc reconnaître qu'il y a, dans la création d'un maté riel de chemin de fer, une limite qu'on ne saurait dépasser sans compromettre plus ou moins gravement les intérêts engagés dans ces sortes d'entreprises.

Cette considération n'est, du reste, pas la seule qui tende à limiter le matériel, la nécessité de ne pas encombrer les gares sans leur donner des développements hors de proportion avec l'importance des chemins qu'elles desservent, en est une autre qui n'est guère moins digne d'attention. Car on sait qu'il y a là aussi une cause d'accroissement de dépense qui pourrait n'être pas en rapport avec le capital que comporte la construction du chemin proprement dit.

En toute hypothèse, on voit donc que l'attention doit se porter sur les moyens les plus propres à satisfaire au plus grand trafic possible avec une quantité donnée de matériel, ou plutôt avec un matériel d'une valeur déterminée.

Lorsqu'on s'occupe de cette question, la première chose qui frappe l'esprit, c'est la grandeur du poids du véhicule de transport comparée à celle de la charge qu'il peut recevoir : la proportion du poids mort à la charge utile, pour me servir des expressions consacrées.

Il est évident, en effet, que tout ce qu'on peut retrancher du poids du waggon sans rien ôter de sa force, peut être remplacé par un poids égal de marchandises et qu'on pourrait ainsi avec une même dépense satisfaire à un trafic plus grand.

C'est ainsi que les premiers waggons à charbon pesant environ 3200 kilog., coûtant 1800 fr. et pouvant recevoir une charge de 5000 kilog. seulement, faisaient revenir à fr. 360 par tonne, le prix du véhicule, et que cet état de choses a été successivement amélioré par la création de waggons de 7 tonnes, ne pesant pas eux-mêmes plus de 3400 kil. et ne coûtant guères plus de 2000 fr. ou environ 286 fr. par tonne, et des waggons de dix tonnes, dont la tare n'est que de 4550 kilog. et le prix de 260 fr. par tonne.

Mais là se sont arrêtées les améliorations, et il est probable qu'elles ne seront pas poussées beaucoup plus loin, du moins tant que les chemins de fer resteront constitués tels qu'ils sont aujourd'hui, d'une part parce qu'il ne serait guères possible de charger deux essieux de plus de 15 tonnes sans trop fatiguer la voie, et d'autre part parce qu'il serait difficile, sans porter atteinte à la solidité du matériel et à la sécurité qu'il doit offrir, de réduire, d'une manière sensible, le nombre, les dimensions ou le poids de ses diverses parties.

On paraît donc avoir atteint, maintenant, dans cet ordre d'idées, à peu près la limite extrême des améliorations possibles.

La mobilité du matériel est, après la réduction du poids mort, une autre question qui n'est pas moins importante; et par mobilité j'entends, non pas la facilité plus ou moins grande au roulement, facilité qu'on a cherché à augmenter au moyen de diverses sortes de boîtes à graisse ou de combinaisons mécaniques qui n'ont pu encore jusqu'ici se faire admettre dans la pratique, mais la possibilité de diminuer les chômages forcés du matériel, de manière à lui permettre d'être en mouvement presque sans interruption.

On conçoit, en effet, que si, par suite de certaines dispositions ou des conditions particulières du chemin, un waggon ne peut travailler que tous les trois jours, c'est-à-dire qu'une fois chargé, il doive forcément rester trois jours avant de recevoir et de transporter une nouvelle charge, et cela souvent après une course de quelques heures, parfois de quelques minutes, on conçoit, dis-je, qu'on pourrait lui faire rendre un meilleur service en améliorant les dispositions, puisqu'en réalité un waggon marchant chaque jour ferait le même office que trois waggons ne marchant que tous les trois jours.

Une bonne organisation du service des convois, de la composition des trains, sont, avec la vitesse à laquelle ils peuvent marcher, les premières conditions d'où dépend la mobilité du matériel; mais ce ne sont pas les seules, et il en est une autre dont l'importance est beaucoup plus grande, surtout dans les lignes de peu d'étendue: c'est la rapidité avec laquelle peuvent s'effectuer les chargements et les déchargements.

Je ferai remarquer, quant à ce dernier point et pour en faire apprécier toute l'importance, que dans bien des cas le parcours du waggon ne dépassant pas une demi-heure, il faut du moins 5 à 6 heures, souvent beaucoup plus, pour en opérer le chargement et le déchargement. On comprendra, d'après cela, combien il est important d'adopter les dispositions les plus propres à diminuer le temps forcé de stationnement pour ces opérations.

C'est dans ce but que, dans les chemins de fer qui ont surtout un fort trafic de marchandises, on a imaginé une foule de dispositions et d'engins propres à opérer les déchargements d'une façon en quelque sorte instantanée : les claires voies sur lesquelles se vident, par le fond, les waggons munis de trappes; les culbuteurs qui reçoivent les waggons sur une plate-forme basculant sur un axe de manière à déverser par les portières d'avant ou d'arrière tout le contenu du waggon dans le chariot ou le bateau destiné à l'emporter plus loin; les waggons à caisses basculantes, les grues qui enlèvent des coffres placés sur des trucs ou trains de waggons, ou les waggons eux-mêmes pour les culbuter sur les tas de dépôt; enfin mille inventions ingénieuses dont les chemins de fer anglais surtout offrent de nombreux exemples.

Mais ces moyens divers, qui atteignent parfaitement leur but là où ils sont employés, ne sont pas toujours applicables. Ainsi, sans parler des matières qui ne sont pas de nature à supporter des mouvements brusques ou des chocs, on peut citer ce fait, qu'en Belgique les exploitants de houille s'opposent à ce que le charbon, qu'ils ne se font pas faute de culbuter eux-mêmes en bas de leurs haldes, soit déchargé par le même procédé expéditif. Les waggons chargés des produits de leurs fosses doivent être déchargés à la pelle ou à la main, et c'est une chose vraiment curieuse que de voir avec quelle lenteur s'opère, chez nous, une opération qui se fait presque toujours fort lestement. chez nos voisins d'Outre-Manche.

Le motif de cet état de choses, c'est, dit-on, la dépréciation. que causerait à la marchandise le bris du charbon si on le traitait avec moins d'égards. Sans doute, ce motif est admissible

pour la grosse houille, mais quand on observe qu'on traite de la même façon le menu, les minerais de fer, la terre à pipe, le sable, la chaux, la castine, etc., et d'autres matières de même genre qui pourraient être versés sans subir de détérioration appréciable, on peut croire que la routine ou la mauvaise volonté ne sont pas entièrement étrangères à la persistance que l'on met à suivre une pratique par trop primitive.

Il est vrai que, dans certains cas, on prétexte encore que les localités ne se prêtent pas à l'établissement des dispositions nécessaires, que les waggons ouvrant de fond ou basculant, se détraquent aisément et exigent un fort entretien, etc., etc., mais ce ne sont là, bien souvent, que des espèces de fins de non recevoir dont un examen sérieux et une saine discussion pourraient faire justice, qui n'en arrêtent pas moins toutefois les administrations dans les projets d'améliorations qu'elles voudraient tenter de mettre à exécution.

Il reste donc toujours, sous ce rapport, une grande lacune à combler, et, en attendant qu'elle le soit, voici comment les choses se passent généralement, du moins en Belgique.

L'exploitant de charbon, de mine, de terre plastique, etc., etc., demande à l'administration du chemin de fer un certain nombre de waggons que celle-ci s'empresse de mettre à sa disposition.... quand elle en a. L'exploitant les charge tout à son aise (1), et quand il a fini, on vient les prendre et on les fait partir immédiatement pour leur destination. Arrivés là, le chef de station avise le destinataire qu'il a 24 heures en temps ordinaires, 6 heures en cas de presse extraordinaire, pour décharger les waggons à son adresse (2), et ce dernier use largement du temps donné. Ce n'est que dans des cas spéciaux et exceptionnels que le chargement des waggons s'effectue en 5 ou 6 heures; généralement, ces opérations durent trois et quatre fois autant.

1) D'après l'art. 18 du livret réglementaire, la marchandise doit être chargée dans la journée de la mise du waggon à la disposition de l'expéditeur

(2) Art. 22 du livret réglementaire.

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