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tions de la cuisse et qu'il recouvre une partie de l'abdomen, àla suite de la désarticulation coxo-femorale. Le pansement terminé, le moigon est posé sur une alèze pliée en plusieurs doubles et qui doit être changée tous les jours. L'effet le plus remarquable de ce pansement, c'est l'absence de toute douleur, même après les opérations les plus graves. Il arrive quelquefois que le malade accuse, pendant les premières heures, une sensation de chaleur ou même de brûlure; mais elle tient à l'action irritante des liquides antiseptiques avec lesquels on a lavé la plaie, et cette impression ne tarde pas à disparaître. Les blessés éprouvent alors un calme qui les étonne et qui est à peine troublé par la fièvre traumatique. Celle-ci apparaît à son heure, mais se montre toujours très-modérée. D'après les observations consignées par C. Conord dans sa thèse inaugurale, elle débute en général douze heures après l'opération et ne dépasse pas trois jours. Le maximum de la température axillaire varie entre 38 et 40 degrés. Cette dernière limite est rarement atteinte.

Le pansement ouaté doit être attentivement surveillé pendant les jours qui suivent son application; mais, à moins qu'il ne survienne quelque complication, A. Guérin ne le renouvelle qu'au bout de vingt ou de vingtcinq jours. Jusque-là, il se borne à appliquer de nouvelles couches d'ouate si l'appareil se laisse traverser par le pus, et quelques tours de bande bien serrés s'il paraît se relâcher. Desormeaux, au contraire, renouvelle son pansement vers le douzième ou le quinzième jour, pour retirer le drain, les fils à ligatures et les sutures. Il le réapplique ensuite pour le laisser en place pendant le même laps de temps.

Lorsque le moment est venu de lever son appareil, A. Guérin prend les mêmes précautions que pour l'appliquer. Il a soin tout d'abord de faire transporter le malade dans la salle d'opérations ou dans une chambre complétement isolée. A l'époque où le pansement était fait en appliquant immédiatement l'ouate sur les surfaces saignantes, les premières couches s'enlevaient facilement; mais le reste formait une sorte de calotte, sous laquelle on trouvait une petite quantité de pus d'une odeur un peu rance, et sous elle une belle couche de bourgeons charnus vermeils, étendus sur toute la surface traumatique et recouvrant les extrémités osseuses comme le reste. S'il arrivait que la plaie offrît un mauvais aspect, que le pus fùt noirâtre et fétide, cela tenait à ce que le pansement avait été mal fait ou mal surveillé et que, par suite des mouvements exécutés par le malade, l'air s'était glissé entre l'appareil et les parties qu'il était destiné à protéger. Cela n'arrive plus depuis que A. Guérin met ses lambeaux en contact. A la levée du pansement, on ne trouve que quelques gouttelettes de pus qui ont filtré le long des ligatures, et les petites ouvertures qui laissent passer celles-ci ressemblent à des orifices fistuleux. A. Guérin a pratiqué de cette manière et avec un plein succès six amputations, dont cinq de la jambe et une de l'avant-bras. A la suite de cette dernière, la guérison s'est effectuée sans qu'il se soit formé une goutte de pus.

Le pansement ouaté doit une partie de ces avantages à la compression douce et élastique qu'il exerce, à la température uniforme et suffisamment

élevée qu'il entretient; mais c'est l'occlusion qui en constitue le caractère essentiel et c'est à elle qu'il doit ses propriétés préservatrices. La couche épaisse d'ouate, si fortement tassée qu'elle soit, n'empêche pourtant pas l'air d'arriver à la surface de la plaie; des expériences concluantes l'ont démontré, mais elle le tamise, elle le filtre, elle arrête au passage les germes organisés qu'il charrie, exactement comme dans les expériences de Pasteur. Il est impossible de se rendre compte de son action d'une autre manière. Gosselin conteste pourtant et l'explication et le fait lui-même. Il a vu, dit-il, des vibrions dans le pus des pansements ouatés, au vingt-cinquième jour et dans le service d'Alph. Guérin lui-même. Pasteur en a également constaté en sa présence, et cependant les plaies offraient et meilleur aspect et les opérés ont guéri sans accidents. Peut-être, malgré toutes les précautions, quelques bulles d'air s'étaient-elles glissées sous l'appareil, entraînant avec elles des vibrions trop peu nombreux pour produire des accidents et pour entraver la guérison. Il y a tout lieu de croire qu'on ne trouverait aujourd'hui rien de semblable sous le pansement modifié comme nous l'avons dit plus haut: il'joint au bénéfice de l'occlusion celui d'une réunion immédiate aussi complète que possible et réalisant, à très-peu de chose près, l'idéal qu'on rêvait il y a soixante ans. On comprend tous les services que ce pansement peut rendre à la guerre, par la facilité qu'il donne de transporter les blessés sans craindre les chocs et les secousses et sans qu'on soit obligé de toucher à l'appareil.

e. Occlusion inamovible. Avant qu'Alph. Guérin eût apporté à son pansement l'heureuse modification que nous venons d'indiquer, Ollier avait recherché, lui aussi, à combiner l'occlusion avec la réunion immédiate et l'inamovibilité, mais seulement à la suite de petites amputations et lorsqu'elles étaient pratiquées sur des sujets jeunes et sur des tissus sains. Dans ce cas, il procédait de la façon suivante. Après avoir arrêté le sang, il plaçait à l'angle inférieur de la plaie un drain ou une petite mèche, comme soupape de sûreté, puis il réunissait les bords de la plaie par la suture métallique, enveloppait le membre avec de l'ouate dont les couches les plus profondes étaient imbibées d'huile phéniquée, et appliquait pardessus le tout un bandage silicaté. Ces modifications ne nous semblent pas heureuses; le drain et l'huile phéniquée sont des précautions inutiles et le bandage inamovible forme une coque dure qui ne permet ni de surveiller, ni de resserrer l'appareil. Sous cette cuirasse, l'ouate peut se tasser à son aise et laisser pénétrer l'air jusqu'à la plaie, sans qu'on puisse y porter remède. Les résultats, du reste, n'ont pas été favorables à ces innovations, ainsi que le prouve la statistique exposée par Poncet devant le Congrès scientifique de Lyon, au mois d'août 1872.

f. Pansement occlusif imparfait. - C'est le nom que Gosselin donne, dans ses leçons, à la méthode récemment préconisée par Azam et que les chirurgiens de Bordeaux emploient depuis environ dix ans, à la suite des grandes opérations. Elle repose comme les précédentes sur le principe de l'occlusion, mais il s'y trouve réalisé d'une façon toute différente. Son but consiste à rapprocher exactement toutes les parties qui peuvent se réunir

par première intention et à favoriser l'écoulement du pus dans les points où les tissus doivent nécessairement suppurer. Elle compte trois temps: le drainage profond, la suture profonde et la suture superficielle, qui se succèdent ainsi qu'il suit. L'opération terminée, les ligatures faites et la plaie bien lavée, le chirurgien place, au fond de celle-ci, un gros drain qui passe sur les côtés de l'os ou des os et dont les bouts réunis en anse sont fixés sur le membre. Un aide affronte les lambeaux dans toute leur étendue, et le chirurgien les traverse à leur base, avec des fils d'argent qu'il noue sur des bouts de sonde en gomme élastique et qui forment ainsi deux ou trois points de suture enchevillée et profonde. Il réunit alors les bords de la plaie à l'aide de nombreux points de suture entortillée, qu'il pratique avec autant de soin que s'il s'agissait d'une autoplastie de la face, et qui ne laissent de libres que les deux points extrêmes par lesquels sortent les bouts du drain et les ligatures.

Il n'y a rien de précisément nouveau dans cette méthode que Azam a fait connaître, en 1873, à l'association française pour l'avancement des sciences (session de Lyon), en 1874 à la Société de chirurgie et au sujet de laquelle il a fait une lecture à l'Académie de médecine, le 22 mai 1877. Les deux éléments dont elle se compose sont depuis longtemps connus: la suture est aussi vieille que la chirurgie, et le drainage préventif, à la suite des opérations, a été appliqué pour la première fois et sur une large échelle par Jules Roux et par Arlaud, en 1859, sur les blessés de l'armée d'Italie réunis à l'hôpital de Saint-Mandrier; le mérite du chirurgien de Bordeaux consiste à avoir réuni ces éléments pour en faire un tout et d'en avoir bien compris les indications et le mode d'action. En affrontant exactement les lambeaux à partir de leur base, il supprime les anfractuosités dans lesquelles les liquides putrescibles peuvent séjourner et s'altérer; il réduit la surface traumatique à un canal étroit que le tube à drainage remplit exactement et par lequel les liquides provenant des parties profondes s'écoulent librement, tandis que ce tube peut servir lui-même à pratiquer des injections détersives. Dans de pareilles conditions, rien ne s'oppose à la réunion des parties molles qui s'opère successivement de la superficie vers le centre. La suppuration est limitée au canal dont nous avons parlé, lequel se couvre de bourgeons charnus comme l'extrémité de l'os en vue duquel il a été ménagé. Ce ne sont pas là des vues théoriques. Dans la lecture qu'il a faite à l'Académie, Azam expose les résultats de deux cent deux opérations qui n'ont fourni que douze morts. Sur trente amputations de cuisse, il n'y a eu que six décès, et trois sur trente-trois amputations de jambe. Dans la majorité des cas, la cicatrisation est complète du dixième au vingt-cinquième jour. C'est donc là une méthode logique dans ses principes, facile dans son application, féconde dans ses résultats et qui nous paraît digne de toute l'attention des chirurgiens.

2o Pansements antiseptiques. - Nous faisons rentrer dans cette catégorie tous les topiques qui ont pour but de s'opposer à l'intoxication miasmatique en neutralisant, en détruisant l'agent septique, ou en s'opposant à son absorption. Ce groupe est éminemment complexe. Il comprend :

1° des substances qui n'ont qu'une action mécanique, comme la poudre de charbon, à laquelle sa porosité donne le pouvoir d'absorber les gaz septiques; 2o des agents qui décomposent ces gaz, en se combinant avec l'un de leurs éléments: tels sont le chlore et les hypochlorites alcalins, qui les détruisent en s'emparant de leur hydrogène; le permanganate de potasse, qui réagit sur eux en leur cédant de l'oxygène; les sels de zinc, de fer et de manganèse, qui fixent l'hydrogène sulfuré et l'ammoniaque, en formant avec eux des composés inoffensifs; 3° des corps qui exercent sur les tissus une action astringente et les protégent contre les principes infectieux : les poudres de quinquina, de tan sont dans ce cas; c'est aussi la manière d'agir de l'alcool qui coagule l'albumine et qui de plus jouit de la propriété d'arrêter les fermentations lorsqu'il est suffisamment concentré; 4° des composés qui détruisent la vitalité des organismes élémentaires et sont de véritables parasiticides; cette catégorie qui constitue les antiseptiques pro prement dits comprend : le camphre, certaines huiles volatiles, le térébène, l'acide pyroligneux, la creosote, l'acide salicylique et les salicylates dont les propriétés sont encore à l'étude; enfin, et par-dessus tout, l'acide phénique, ses sels et la série des produits pyrogénés qui lui doivent leur action. 5o des agents d'une efficacité douteuse qui se bornent la plupart du temps à masquer l'odeur fétide des plaies: telles sont les poudres aromatiques usitées autrefois dans le traitement de la gangrene, très-probablement aussi l'eau distillée d'eucalyptus ainsi que l'acide thymique et l'acide eugénique qu'on a proposé de substituer à l'acide phénique en raison de leur odeur plus agréable. Nous ne nous arrêterons pas à indiquer le mode d'emploi de toutes ces substances et à en apprécier la valeur. Il en est dans le nombre qui sont à peu près exclusivement consacrées à la désinfection des salles d'hôpital et des objets de literie; tels sont les hypochlorites alcalins, les sels de fer, de zinc, etc.: d'autres ne sont employés que pour remplir quelques indications spéciales, comme les poudres de camphre, de tan, de quinquina, auxquelles on n'a guère recours que dans les cas de gangrène ou de pourriture d'hôpital; nous ne nous occuperons que des agents dont l'usage s'est généralisé, dont l'efficacité a été reconnue et qui occupent aujourd'hui une place importante dans la pratique des pansements.

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a. Alcool. L'alcool a été employé de tout temps par les chirurgiens dans le pansement des plaies. Guy de Chauliac, Ambroise Paré en connaissaient les avantages; Dionis avait même tenté de généraliser l'usage de l'eau-de-vie camphrée dans les pansements consécutifs aux opérations sanglantes, et cette pratique s'était répandue à tel point qu'au commencement des guerres de la République on faisait encore une consommation effrayante d'alcool camphré dans les ambulances, surtout pour l'application des premiers appareils. Percy et Larrey, ainsi que nous l'avons dit, firent cesser cet abus, mais l'alcool a conservé sa vogue dans la médecine populaire. Tous les baumes dont elle fait usage lui doivent leurs principales propriétés, depuis le baume de Chiron jusqu'à la teinture d'arnica que les gens du monde considèrent comme une panacée. La réapparition de l'alcool sur le théâtre de la chirurgie régulière remonte à une trentaine d'années,

époque à laquelle Lestocquoy (d'Arras) l'adopta comme moyen habituel dans sa pratique. En 1859, Batailhé et Guillet commencèrent une série de publications et de communications aux sociétés savantes, dans le but d'en vulgariser l'emploi; mais leurs efforts auraient été probablement infructueux, si Nélaton n'était pas venu donner l'appui de son nom et de son influence au nouveau mode de pansement. C'est en 1863 qu'il l'adopta à l'hôpital des Cliniques et, sous son puissant patronage, l'usage s'en répandit rapidement. Lorsque les internes de Nélaton, Chedevergne et De Gaulejac, eurent fait connaître les résultats satisfaisants obtenus à l'hôpital des Cliniques, chacun s'empressa d'expérimenter un moyen qu'il avait sous la main et l'alcool acquit une vogue, qu'il n'a pas conservée.

L'emploi de cette substance est extrêmement simple: il suffit d'en imbiber des plumasseaux ou des boulettes de charpie et d'en recouvrir la plaie, en ayant soin de remplir les anfractuosités de manière à ce que tous les points de la solution de continuité soient en contact avec le liquide. Sur cette couche de charpie alcoolisée, on applique des compresses pliées en double et on les maintient à l'aide d'un bandage approprié. Si le pansement doit être renouvelé au bout de douze heures, ce mode de protection suffit pour qu'il conserve encore après ce temps un certain degré d'humidité; mais si l'appareil ne doit être levé que le lendemain, il faut dans l'intervalle l'humecter de temps en temps avec de l'alcool ou, ce qui vaut mieux, l'envelopper d'une pièce de taffetas gommé.

Le degré de concentration de l'alcool a une influence considérable sur le résultat. Nélaton se servait de l'eau-de-vie camphrée fournie par la pharmacie des hôpitaux, et qui ne marque que 56 degrés; Gosselin et Guyon lui préfèrent l'alcool à 90 degrés. Sous cet état, son action sur les tissus est extrêmement énergique; il détermine une douleur très-vive, parfois même intolérable, une véritable sensation de brûlure, qui va s'affaiblissant peu à peu, cesse complétement au bout d'une heure, mais se renouvelle à chaque pansement, en diminuant, ii est vrai, pour devenir à peu près nulle lorsque la couche protectrice dont nous parlerons bientôt s'est formée à la surface de la plaie. -Pour remédier à cet inconvénient sérieux, Guyon propose de faire le premier pansement, à la suite des opérations, pendant que le malade est encore sous l'influence du chloroforme et d'appliquer sur l'appareil une vessie remplie de glace; mais le premier moyen met dans la nécessité d'endormir de nouveau le malade qui est déjà réveillé depuis quelque temps lorsqu'on le panse, et le second n'est pas toujours à la disposition du chirurgien. Il est à peu près impossible d'y recourir dans les petites villes et dans les campagnes, il n'est pas applicable à toutes les régions du corps et il constitue, dans tous les cas, un embarras de plus. Il faut donc convenir que la douleur produite par l'alcool est un inconvénient réel et qui suffit pour expliquer le discrédit dans lequel ce mode de pansement est tombé. L'application de l'alcool sur une surface traumatique récente se traduit par la coagulation immédiate de la petite couche de sang qui la recouvre. Celle-ci prend une couleur brune et une consistance poisseuse; elle adhère fortement aux doigts et recouvre la plaie d'une sorte

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