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complètement méconnu les conditions fondamentales de l'organisation humaine.

Au point de vue de l'hygiène, il n'est pas douteux que l'organisme humain ne puisse facilement s'adapter au milieu dans lequel il évolue. On connaît les expériences, si intéressantes, dans lesquelles on est parvenu à tellement acclimater des chats à la température de chambres frigorifiques maintenues à 0 degré et un peu au-dessous, qu'au bout de quelques générations les animaux nés dans ces milieux meurent instantanément dès qu'on les expose au soleil. De même il est probable qu'au bout de quelques générations on habituerait l'organisme humain à se passer de vêtements même dans des climats assez rigoureux. De même aussi, l'homme s'accoutume aux plus mauvaises conditions de salubrité, témoins ces paysans qui vivent fort vieux dans des habitations notoirement et complètement insalubres. Mais il est, par contre, une accoutumance qu'il a toujours été absolument impossible de réaliser, c'est celle de l'absence de nourriture.

On connaît l'histoire de ce paysan, qui, s'étant efforcé d'économiser progressivement sur la nourriture de son cheval fut tout étonné de le voir périr le lendemain même du jour où sa ration avait été réduite à zéro.

Si, dans certaines familles riches, la première règle de l'hygiène consiste à restreindre un excès de nourriture, il en est un trop grand nombre où l'insuffisance de celle-ci détermine les plus graves souffrances; les enfants chétifs, mal nourris dès le début de la vie ne deviendront, si même ils y parviennent, que des défenseurs mal habiles et débiles pour la patrie; ils seront non un soutien, mais une charge. Avant tout il faut donner une nourriture suffisante. Les dépenses d'assistance où l'on prend le nécessaire au contribuable pour éduquer des sourds ou nourrir des épaves sont antihygiéniques. Si l'humanité commande de le faire, l'intérêt national bien entendu exige de s'efforcer de les rendre inutiles.

C'est alors qu'interviennent diverses solutions. La première, c'est la solution socialiste: il n'y a aucune raison pour que les uns soient riches et que les autres soient pauvres; par suite, il appartient à la communauté de nourrir tous les enfants sans exception, de leur distribuer à chacun la subsistance nécessaire.

Une autre solution, que j'appellerai volontiers la solution utopique, consisterait, au lieu de mettre tous les enfants à la charge

de la communauté, d'obliger les familles riches à nourrir celles qui n'ont pas de pain; de ce contact entre riches et pauvres, on estime qu'une heureuse répartition de qualités physiques et morales pourrait également se produire. C'est ainsi qu'on voit dans le Morvan des nourrissons parisiens qui, abandonnés quelque jour par leurs parents trop pauvres pour payer leurs frais d'élevage, continuent néanmoins à être nourris par humanité au foyer qui les a reçus; ils y grandissent souvent au milieu de telles preuves d'affection qu'ils finissent par faire partie de leur famille d'adoption. Quel avantage n'y aurait-il pas à voir les familles riches élever chez elles ceux des familles pauvres; les familles s'accroîtraient ainsi sans peine en nombre, et ce serait vraiment le premier peuple du monde celui qui donnerait de telles preuves de solidarité!

Autrement, et c'est une troisième solution, dite nationale, on pourrait subventionner les familles nombreuses. Mais il est facile de reconnaître que ce serait contraire à toute espèce de bon sens car c'est sur l'impôt qu'il faudra nécessairement augmenter que cette subvention devra être prise, et si je dois. prendre 10 francs dans la poche de Pierre pour les remettre dans la poche de Paul, il est à craindre qu'avec les frais d'administration, il ne reste plus que 3 ou 4 francs à donner réellement à ce dernier. Une solution plus simple consiste, il est vrai, à agir par voie de dégrèvements. Assurément; mais qui ne voit que ce dégrèvement doit alors être exactement proportionnel aux charges de la famille elle-même! La loi actuelle abaisse à 10 francs ce dégrèvement et exonère seulement le père qui a sept enfants; si bien qu'à celui qui ayant six vivants désirerait en avoir un de plus, on promet comme secours le droit de payer 10 francs de moins; mais de combien cette nouvelle charge dépasse cette somme, le législateur ne s'en préoccupe pas. D'où il résulte que cette loi, d'une aide insignifiante pour les familles tout à fait misérables, frappe plus durement les familles qui le sont à peine et ne tient en réalité aucun compte des charges proportionnelles des familles nombreuses, si intéressantes cependant.

Nous arrivons alors à la seule solution acceptable dans l'état actuel des esprits en France, à savoir d'exonérer les pauvres aux dépens des riches sans enfants ou ayant peu d'enfants en les frappant durement. Ce n'est pas ici le lieu d'indiquer les voies et moyens, augmentation des centimes additionnels aux

contributions directes, impositions des domestiques, élévation des droits de succession en cas d'enfant unique, etc., etc. L'état social déterminé par le législateur, n'est-il pas plein d'iniquités ? Vous vous plaignez que le riche propriétaire terrien ne morcèle pas sa terre et vous admettez qu'il la cède à son fils unique sans que le fisc intervienne que pour une somme insignifiante et sans que les hommes de loi, qui vivent cependant aux dépens de la fortune publique, aient à agir, alors que si la famille est nombreuse, elle risque, surtout lorsqu'elle est peu fortunée, de laisser la plus grosse part de l'héritage dans les caisses publiques et dans celles des hommes d'affaires. Vous avez un enfant malingre, et l'on vous oblige uniquement à payer la taxe militaire, tandis que votre voisin, chargé de famille, devra envoyer au régiment la plupart de ses fils et se priver des ressources de leur travail. Toute notre législation fiscale conserve ses rigueurs pour les familles nombreuses; que vient-on nous parler de la péréquation de l'impôt, de la justice à introduire dans la répartition des charges budgétaires, quand on n'envisage pas tout d'abord la part que le nombre d'enfants tient dans l'équilibre budgétaire des familles !

Je n'apporte pas ici de chiffre; car, ainsi que je le disais en commençant, je comptais précisément sur notre collègue Lagneau pour exposer, avec sa compétence si autorisée, les conséquences financières du sujet que je viens seulement d'aborder. Il me faut conclure toutefois; car il ne me parait plus permis de se taire en présence du péril non négligeable que fait courir à notre pays une ligue néo-malthusienne telle que celle dont M. Robin s'est fait l'apôtre avec une si grande sincérité et une si indomptable ténacité, en présence même des nouvelles lois fiscales, que tout le monde connaît et dont le caractère commun et dominant est précisément de ne tenir aucun compte des charges des familles nombreuses dans l'assiette de l'impôt.

Qu'il me soit pardonné de faire observer, en passant, que, par une coïncidence singulière, les finances de la France ont presque toujours été dirigées par des hommes n'ayant pas d'enfants, depuis Thiers, Gambetta, Rouvier, qui n'en a eu que depuis qu'il a quitté l'administration des finances, Jules Ferry et bien d'autres que je pourrais nommer; ces éminents politiques ont toujours ignoré pratiquement quelle importance la législation financière exerce en France sur la vie des familles chargées d'enfants et, sans s'en rendre compte, ils ont tous agi en sens

inverse de ce qu'exigeait cette nécessité primordiale de répartir également les charges suivant le nombre des enfants dans les familles. Ce ne sont pas les projets financiers actuellement soumis au Parlement qui permettraient d'oublier que notre système fiscal, malgré les dégrèvements illusoires promis, est encore loin de répondre aux principes évoqués dans la célèbre Adresse aux Français sur le paiement des contributions, que nos pères rédigeaient en juin 1791 dans le but de tenir une juste balance entre les charges des contribuables et leurs facultés, autrement dit en tenant équitablement compte des différences entre leurs revenus et leurs charges de famille.

Il est bon, il me semble, de proclamer ici, que les impôts qui écrasent les familles nombreuses sont les plus funestes de tous; ils font subir à l'hygiène publique un mal incomparablement supérieur au bien que peuvent faire toutes les institutions d'assistance et tout le dévouement du corps médical.

II. Le rôle de la graisse dans les hernies,

par M. JUST LUCAS-CHAMPIONNIÈRE.

Le rôle physiologique de la graisse dans le développement des hernies, ne me paraît pas avoir été l'objet d'une attention suffisante. J'ai déjà insisté sur ce fait dans mon traité de la cure radicale, mais je crois qu'il est indispensable d'y revenir, d'autant plus que la thérapeutique palliative des hernies peut utiliser cette notion de la façon la plus utile.

Les traités classiques parlant de l'anatomie pathologique des hernies, ne s'arrêtent guère à ce détail du développement de la graisse chez les hernieux. On admet même volontiers que l'amaigrissement joue un rôle capital dans le développement de la hernie, et l'on peut en donner une preuve assez bonne en faisant remarquer que la fréquence des hernies croît avec l'âge, et que la hernie du vieillard a souvent paru après une période d'amaigrissement rapide. Cela est parfaitement exact, et l'on doit considérer l'amaigrissement brusque comme une condition favorable à la formation des hernies.

J'ajouterai même volontiers que le phénomène n'est pas

propre au vieillard, que chez des sujets encore jeunes l'amaigrissement rapide, en particulier celui qui est provoqué par un régime sévère et trop efficace a été suivi de la formation de hernies multiples. Nous verrons plus loin que cette tendance peut être combattue heureusement, mais le fait n'en est pas moins parfaitement réel, et il y a lieu d'en tenir compte.

Mais cette action de l'amaigrissement ne contredit pas du tout l'action de l'engraissement dans le même sens.

La genèse des hernies, surtout chez les sujets jeunes, peut être essentiellement différente, et dans la grande majorité des cas elle est essentiellement différente. Sans nier chez eux, d'une façon absolue, la possibilité de la formation d'une hernie par un amaigrissement rapide, on peut remarquer que le fait reste tout à fait exceptionnel. On constate, au contraire, que le développement des hernies en relation avec le développement de l'obésité est un phénomène commun.

La relation de cause à effet est tellement évidente, que nous avons le droit de considérer l'obésité comme cause de la hernie.

L'engraissement donne tout de suite au ventre un caractère particulier. La saillie en avant s'accentue, la double ou la triple saillie à la partie inférieure est peut-être moins accusée dans l'effort, mais cependant on note encore ces saillies.

L'aspect général du sujet se modifie. Il devient lourd, pesant, avec des efforts plus pénibles, la peau devient blanche, souple, transparente, avec une sorte de bouffissure. Ce sera sur le sujet ainsi modifié dans son aspect que la hernie apparaîtra.

Ces sujets quelquefois nous rapportent qu'ils ont fait un effort violent, après lequel ils ont pu constater, à une époque plus ou moins rapprochée, la présence d'une tumeur dans une région herniaire. Mais souvent aussi le sujet accuse seulement quelque sensibilité particulière au pli de l'aine, sans même la rapporter à quelque grand effort, et, quand on l'examine, on trouve une hernie bien formée, et il doit être évident pour un médecin attentif que la formation de la hernie est plus ancienne que l'époque à laquelle le sujet a pu signaler sa douleur ou son malaise, et que eette formation a manifestement coïncidé avec l'engraissement récent.

J'ai fait cette observation tant de fois, qu'il me paraît inutile de citer des faits particuliers, et il suffira à tout médecin occupé de se remémorer quelques cas de hernies chez de jeunes sujets pour en retrouver de semblables dans son souvenir.

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