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plication de l'article 334; si celui-ci ne peut être invoqué, l'article 335 reste également inutile.

Il est cependant le seul qui, dans le Code pénal, prononce la déchéance de la puissance paternelle (1); sa portée est même incomplète en raison de la manière dont il est rédigé : « Si le délit a été commis par le père ou la mère, le coupable sera de plus privé des droits et avantages à lui accordés sur la personne et les biens de l'enfant par le Code Napoléon, livre I, t. IX, de la Puissance paternelle. »

De cette disposition limitative, il résulte clairement que les droits tenant à l'autorité paternelle, mais énumérés en d'autres parties du Code civil ne sont pas compris dans la déchéance.

46. Celle-ci devrait pouvoir être prononcée, mais d'une manière plus complète, par les juges à l'occasion d'un assez grand nombre de délits de droit commun, qui prennent un caractère de gravité plus haute lorsqu'ils sont commis par des pères ou mères sur leurs enfants. Tels seraient les délits de coups et blessures prévus par les articles 309 et 311 du Code pénal, ce que le Code qualifie « délits envers l'enfant, » enfin le crime de séquestration de personnes; on a vu des exemples de parents dénaturés à qui manquait le triste courage de tuer leur enfant et qui le faisaient mourir lentement en le maintenant enfermé dans un bouge infect, où il était privé d'air et de nourriture.

Dans ces différentes circonstances, les juges auraient à apprécier s'il y a lieu de priver à tout jamais le père coupable de la puissance paternelle ou d'en suspendre seulement l'exercice entre ses mains, s'il faut la lui enlever en

(1) V., en dehors du Code, la loi du 7 décembre 1874, précitée, prononçant la déchéance de la puissance paternelle contre les parents qui auraient organisé leurs propres enfants en bandes de mendiants.

tout ou en partie, enfin, s'il convient de l'en dépouiller en ce qui concerne seulement l'enfant contre lequel le délit a été commis ou sur tous ses enfants. Dans le cas prévu par l'article 335 du Code pénal, le père perd la puissance paternelle sur le seul enfant qu'il a débauché, quelque nombreuse que soit sa famille, et cependant, n'est-il pas certain que le jugement publiquement prononcé contre lui compromet, paralyse même en fait son autorité sur tous ses enfants? Ne doit-on pas admettre aussi que la société ne saurait le laisser plus longtemps investi, dans sa famille, d'un pouvoir dont il a fait un usage si blâmable?

47. Aux termes de l'article 1384 du Code civil, le père (ou, à son défaut, la mère) est civilement responsable des conséquences pécuniaires des délits commis par son enfant mineur habitant avec lui; c'est-à-dire qu'il est tenu d'acquitter les amendes et les réparations civiles auxquelles celui-ci peut être condamné, ainsi que les frais de la procédure qui aura été suivie contre lui. Cette menace de la loi est pour les parents négligents un frein fort insuffisant, elle est très-souvent illusoire, et tombe devant la constatation d'une insolvabilité absolue. A notre avis, la loi devrait aller plus loin et considérer les parents non plus seulement comme responsables, mais comme complices de certains délits dont leur enfant serait le principal acteur. Une pareille règle n'aurait rien d'incompatible avec les principes du droit pénal. On condamne bien comme complices de vol les recéleurs qui n'ont eu aucune participation directe à l'acte délictueux principal. Il doit en être de même, à plus forte raison, pour des délits que les enfants ne peuvent commettre qu'à l'instigation ou grâce à la négligence des parents. Au premier rang de cette catégorie, il faut citer la mendicité et le vagabondage.

Pour la mendicité, la loi du 30 décembre 1874 a fait

un premier pas les parents qui emploient leurs enfants à la mendicité habituelle sont considérés comme auteurs ou complices du délit de mendicité en réunion et punis accessoirement de la déchéance de l'autorité paternelle; il faut ici la réunion de deux conditions, l'habitude et la présence sous la direction occulte ou déclarée du chef de bande de plusieurs enfants dont un au moins serait le sien.

D'autre part, il est positif qu'un père qui envoie son enfant mendier, qui le dresse à ce triste genre de vie, est théoriquement le complice des délits imputés à ce petit malheureux (1); mais, dans la pratique, il sera toujours extrêmement difficile d'établir sa participation au fait spécial qui, dans une circonstance donnée, fera l'objet des poursuites.

Notre proposition est beaucoup plus radicale : si l'enfant n'est pas poussé à la mendicité par ses parents, il ne peut néanmoins s'y livrer que par suite d'un défaut de surveillance très-répréhensible. Les pères et mères sont tenus non-seulement de nourrir leurs enfants mineurs, mais aussi de les élever, de les garder, c'est-àdire de les retenir près d'eux pour leur inculquer de salutaires exemples et les empêcher avant tout de commettre des infractions aux lois. Cette obligation est tellement certaine aux yeux de la morale, si clairement écrite, d'ailleurs, dans le Code civil, qu'elle peut et doit devenir le point de départ pour les parents d'une véritable complicité dans le délit de mendicité reproché à leurs enfants.

Il en serait de même du délit de vagabondage, lorsqu'il serait imputable à un défaut de surveillance (2).

(1) L'art. 60 C. p. prévoit textuellement comme constituant la complicité, l'abus d'autorité tendant à provoquer une action qualifiée crime ou délit, les instructions données pour la commettre.

(2) « Si l'on consultait les procédures instruites contre les jeunes vagabonds, on constaterait que, presque dans tous les cas, ils appartiennent à des familles indifférentes à l'éducation de leurs enfants, et trouvant plus commode au premier mouvement d'insubordination

La culpabilité des parents augmente ici avec la gravité du délit. Si les parents insouciants se voyaient ainsi effectivement sous le coup d'une responsabilité pénale relative aux délits de leurs enfants, ils se préoccuperaient attentivement de leur conduite; les tribunaux ne verraient plus s'étaler devant eux ce honteux spectacle d'un père et d'une mère qui, après avoir dirigé leur fils dans la mauvaise voie, le font traîner en police correctionnelle et s'efforcent de le faire envoyer dans une maison de correction afin de s'exonérer de son entretien et des minimes frais qu'exige en outre sa présence à la maison.

Beaucoup d'enfants mènent un genre de vie qui se rapproche du vagabondage, sans en avoir la gravité : du matin au soir, ils errent dans les rues, sur les routes, exposés à tous les accidents et recueillant dans des rencontres suspectes et dans des conversations d'ivrognes les germes d'une éducation déplorable. La loi pénale n'a pas à intervenir, mais la loi civile doit se prononcer. La négligence des parents produit sur l'enfant des effets désastreux, quoiqu'elle ne soit pas de nature à alarmer la société au point d'être classée comme délit. C'est un des cas nombreux où, suivant nous, la puissance paternelle pourrait être mise en question dans l'intérêt de celui qui y est soumis et qui devrait en bénéficier. Les conseils de famille et l'autorité judiciaire civile se prononceraient suivant les formes et dans les conditions qui vont être énumérées bientôt.

Une bonne loi sur l'enseignement primaire contribuerait aussi puissamment à débarrasser le pavé des villes de tous ces enfants qui passent leurs journées abandonnés à eux-mêmes et aux mauvaises inspirations que les exemples de la rue allument dans leur cerveau.

qu'ils manifestent, de leur fermer le domicile paternel, que de les corriger et de vaincre leur obstination et leur paresse.» (M. P. Bernard, Histoire de l'autorité paternelle en France, p. 341.)

CHAPITRE VII

LIMITATION DU DROIT DE CORRECTION.

47. L'incursion que le lecteur a bien voulu faire avec nous dans la loi pénale a retenu pendant quelque temps son attention sur les pires aspects que présente la nature humaine; rentrons en toute hâte dans le domaine moins triste du droit civil, nous y trouverons encore des abus à détruire.

La famille constitue un petit État qui doit se suffire à lui-même; le père y a les charges et la responsabilité du gouvernement; il dispose aussi, au moins en général, de tous les moyens nécessaires pour se faire respecter et obéir. En principe, la correction domestique doit assurer le maintien de la discipline et ce n'est que dans des circonstances très-rares que l'autorité publique peut venir au secours de l'autorité paternelle pour l'aider à dompter des natures exceptionnellement rebelles.

Pour ces cas particuliers, le Code civil a des règles spéciales qui n'occupent pas moins de neuf articles.

Suivant diverses hypothèses subordonnées à l'âge et à la condition de l'enfant, son père, s'il a contre lui de graves sujets de mécontentement, peut le faire détenir soit par voie de réquisition, soit par voie d'autorité.

Si c'est la voie de réquisition qui est suivie, le père s'adresse au président du tribunal de son domicile, et lui rend compte des griefs qu'il a contre son fils; le président en apprécie la gravité et, après en avoir conféré avec le ministère public, accorde ou refuse l'ordre de

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