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de l'acte qu'elles vont signer. On conserverait les facilités accordées par la loi de 1851, en ce sens que les secrétaires des conseils de prud'hommes et les greffiers de justice de paix pourraient recevoir ces contrats, concurremment avec les notaires.

La loi sur l'apprentissage serait susceptible de plusieurs autres réformes utiles, mais celle dont nous venons de parler nous paraît seule se rattacher au sujet de notre étude.

37. De nombreuses et puissantes associations charitables se sont formées, à Paris et dans d'autres villes industrielles, pour surveiller et secourir les apprentis à qui manque totalement l'appui de la famille, par suite d'éloignement, d'abandon ou à cause de leur situation d'orphelin; on ne peut que former des vœux pour la prospérité et le développement de ces sociétés, dont plusieurs sont reconnues comme établissements d'utilité publique (1).

38.Jusqu'à présent, nous n'avons eu sous les yeux que des enfants embrassant une profession régulière où ils trouveront un gagne-pain et une situation honorable. Tous les enfants ne sont pas aussi heureux et l'Assemblée nationale a dû consacrer une loi spéciale à la protection de pauvres êtres qui sont dès le premier âge la proie de misérables entrepreneurs de plaisirs publics; leur santé, leur vie même, sont constamment compromises par d'infâmes spéculateurs ; leur éducation intellectuelle est presque toujours totalement négligée et leur éducation morale détestable.

Il est convenu qu'il n'y a pas de sots métiers; mais il en existe desi propices au développement de tous les vices, que l'autorité doit les surveiller de près. On reconnaît que

(1) V. Ch. Daw et V. Bonnat, loc. cit., chap. xi.

depuis la loi de 1790, l'administration préfectorale et communale a les droits les plus étendus sur les théâtres forains dont elle peut à son gré interdire ou réglementer les représentations. L'Assemblée nationale a voulu compléter cet état de choses; elle a cherché à empêcher l'exploitation de l'enfance par les gens exerçant des professions ambulantes, que le langage populaire englobe dans l'expression de saltimbanques.

Aux termes de l'article 1er de la loi du 7 septembre 1874, les enfants ne peuvent être employés à des exhibitions on à des exercices périlleux par des étrangers avant l'âge de seize ans, par leurs parents avant l'âge de douze. Des précautions sont prises pour que l'identité des mineurs engagés dans une troupe ambulante puisse être à chaque instant constatée.

Des dispositions remarquables de la même loi appliquent l'article 376 du Code pénal (mendicité en réunion) à quiconque emploierait des enfants de moins de seize ans à la mendicité habituelle, soit ouvertement, soit sous l'apparence d'une profession.

Ces dispositions s'étendent aux pères, mères et tuteurs de ces jeunes mendiants.

Nous aurons bientôt à revenir sur ce trait de la loi nouvelle.

Nous n'attendrons pas plus longtemps pour faire remarquer que, seule, avec l'article 335 du Code pénal, elle prononce, comme peine accessoire, la déchéance de l'autorité paternelle; toutefois, lorsque le père a été condamné pour excitation habituelle de son enfant mineur à la débauche, la déchéance a lieu de plein droit, tandis qu'il est facultatif pour le juge de la prononcer contre un père condamné, en vertu de la loi du 7 septembre 1874, pour avoir utilisé son enfant dans une entreprise de mendicité ou pour l'avoir livré, avant l'âge

de seize ans, à des saltimbanques ou à des vagabonds. L'Assemblée de 1871 a montré en faveur de l'enfance une sollicitude dont tous les gens de cœur lui sauront gré. La loi qui vient d'être rapidement analysée complète cette partie de son œuvre.

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CHAPITRE V

DE L'OBLIGATION DE L'ENSEIGNEMENT.

39. Dans l'ordre moral pas plus que contre les maux physiques, il n'y a de panacée universelle et l'on compromet sérieusement un principe, si excellent qu'il soit en lui-même, en lui attribuant des conséquences exagérées. C'est ainsi que d'imprudents amis de l'obligation de l'enseignement l'ont exposée maintes fois à des échecs tout à fait gratuits devant cet adage banal: << Qui veut trop prouver ne prouve rien », en proclamant l'identité de la moralisation et de l'instruction, et en répétant sous toutes les formes cette idée qu'ouvrir des écoles, c'était préparer la fermeture des prisons.

Un enthousiasme aussi prononcé n'est point de mise et, dans l'appréciation d'un fait constant, à savoir que les condamnés pour crimes et délits sont en grande majorité illettrés, nous partageons l'opinion d'un auteur qui appartient cependant au parti le plus avancé en politique et en philosophie : « On lit dans les journaux des comparaisons entre le nombre des criminels sachant lire et écrire et celui des criminels illettrés; en voyant que le nombre des illettrés l'emporte de beaucoup, on admet la conclusion que l'ignorance est la cause du crime. Il ne vient pas à l'esprit de ces personnes de se demander si d'autres statistiques établies d'après le même système ne prouveraient pas d'une façon tout aussi concluante que le crime est causé par l'absence d'ablutions et de linge propre, ou par le mauvais air et la mauvaise ventilation des logements, ou par le défaut de chambres à coucher séparées. Si l'on examinait à ces divers points de vue la question de

la criminalité, on serait conduit à voir qu'il existe une relation réelle entre le crime et un genre de vie inférieur, enfin que l'ignorance n'est qu'une circonstance concomitante, qui n'est pas plus que toutes les autres la cause du crime (1).»

Non, ce n'est ni en apprenant à lire, ni en apprenant à signer son nom, ni en logeant dans sa mémoire la table de Pythagore, que l'homme s'instruit à lutter avec les mauvais instincts de sa nature; tout au plus, lorsque la dose d'enseignement qu'il reçoit s'augmente sous une direction éclairée, peut-on remarquer que son intelligence prend le goût des choses élevées et que chez lui grandit l'amour du travail, source de toutes les vertus. On est alors en droit de répéter avec M. Duruy (2): « Il y a, pour le plus grand nombre des hommes, un lien nécessaire entre l'esprit qui s'éclaire et le cœur qui se purifie. » Encore faut-il, pour que ceci reste un axiome, que l'éducation morale marche de pair avec l'acquisition des connaissances qui ne sont, en somme, que des moyens meilleurs d'arriver à la possession de la vérité.

Laissons donc aux rhéteurs les amplifications et les phrases à effet; dépouillé de ces ornements nuisibles, dégagé surtout de deux idées parasites dont l'une le paralyse, dont l'autre le déshonore, le principe de l'obligation en matière d'enseignement se trouvera en présence d'objections trop faibles pour arrêter longtemps son triomphe.

Ce n'est pas

la première fois que la manie des formu

(1) M. Herbert Spencer, cité par M. Caro, loc. cit.

Il est assez curieux de rapprocher ces réflexions d'une remarque du Rapport signé par M. le garde des sceaux Tailhand, sur le mouvement de la criminalité en 1872. Il en résulte que, de 1866 à 1872, le nombre des illettrés a diminué d'une manière identique dans la population générale et dans celle des accusés (0,03 de part et d'autre). (Compte général de la justice criminelle.)

(2) Discours prononcé à Lyon, le 23 juin 1867.

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