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dresse plus spécialement. Ce public-là est généralement porté à la bienveillance, parce qu'habitué aux travaux sérieux, il sait, comme un écrivain devenu classique, tout ce qui se cache de difficultés même dans les choses faciles. En un mot, l'essai suivant attend les suffrages des hommes pour qui la bonne volonté est déjà un mérite; c'est le seul dont le lecteur puisse compter ne pas avoir à regretter l'absence.

PROTECTION LÉGALE

DES ENFANTS

CONTRE LES ABUS DE L'AUTORITÉ PATERNELLE

INTRODUCTION

1. Lorsqu'une maison menace ruine, un architecte prudent a d'autres préoccupations que d'en faire restaurer la façade, renouveler la décoration ou modifier les aménagements intérieurs; il en visite sans retard les fondations, afin de les faire consolider et reprendre, s'il y a lieu.

Cette comparaison, qui a sans doute été déjà employée nombre de fois, est une des meilleures qu'on puisse faire pour indiquer le devoir du législateur dans les temps troublés. Quand une société traverse une crise comme celle où nous nous débattons depuis tantôt un siècle, il y a quelque chose de plus urgent que d'aviser aux formes politiques, c'est-à-dire à des institutions d'un intérêt tout relatif, qui ne changent que la surface d'une nation et n'ont d'importance réelle qu'en raison de l'ensemble des mœurs privées et sociales qu'elles sont appelées à recouvrir. Il faut sonder le cœur et les reins de ce peuple menacé de mort, chercher le mal au fond même de la plaie pour l'extirper ou le guérir; ce qu'il importe

de modifier, encore une fois, ce n'est pas l'aspect extérieur de l'État, c'est l'individu, c'est la famille, cette véritable «monade » sociale, cette unité qui constitue, en se répétant, le peuple entier et qui est la véritable école où les hommes apprennent à connaître l'autorité, le respect, la solidarité, la responsabilité, en un mot tous les principes et toutes les vertus nécessaires dans l'exercice de la vie publique. Il tombe, en effet, sous le sens qu'on ne saurait rien faire de bon en combinant de toutes les manières imaginables des éléments mauvais en soi, et s'il est possible, à un moment donné, de « faire de l'ordre avec du désordre, » il ne s'agit que d'un ordre factice et provisoire, ou plutôt des seules apparences de l'ordre (1). Malheureusement, les luttes politiques attirent les ambitieux comme les dés attirent les joueurs; même dans les consciences les plus sûres, les convoitises égoïstes se colorent facilement du prétexte du bien général, et le plus clair des révolutions, il faut le constater avec tristesse, ce sont les changements de personnel qui en résultent dans les sphères gouvernementales. Qu'est-il resté de tous ces monuments constitutionnels présentés successivement à la France et proclamés plus durables que l'airain ? Qu'est-il resté de tous ces éloquents débats qui ont passionné tout à tour chaque génération pour les mêmes lieux communs, pour des mots, verba et voces... et usé la majeure partie du temps de nos assemblées ? Si cellesci s'étaient moins laissé absorber par les controverses ardentes de la tribune politique, si elles avaient porté leurs efforts dans le domaine réputé plus humble de la législation, notre malheureux pays n'aurait pas eu sans

(1) Les lignes qui suivent commes celles qui précèdent ont été écrites au moment où l'Assemblée nationale touchait à sa dissolution et où son œuvre était ardemment discutée.

doute treize constitutions depuis 1789; mais nous n'assisterions pas aujourd'hui à ce désarroi général, à cet oubli de toute autorité, à cette hésitation universelle entre les limites du bien et du mal, qui sont le résultat de l'instabilité des institutions et de l'abus de la discussion substituée à l'action.

A distance, les illusions d'optique que les hommes sont disposés à se faire sur l'importance relative des différents objets de leurs préoccupations, cessent pour laisser place à une appréciation plus saine des véritables proportions la postérité sait et saura plus de gré à telle de nos assemblées de certaines lois d'affaires discutées, votées et promulguées sans bruit que des plus belles joutes oratoires qui aient jamais enflammé les contemporains, soulevé les masses et renversé les dynasties.

La Chambre élue en 1871 laisse à son propre actif quelques bonnes œuvres de ce genre; au premier rang de ses travaux, envisagés au point de vue de l'utilité et de la portée sociale, il faut citer ce qu'elle a fait pour l'enfance en cherchant à la protéger contre les chances si multiples de mortalité qui pèsent sur les nouveaunés, en la suivant à l'atelier, dans l'usine pour l'empêcher de devenir la proie de la cupidité industrielle, en l'arrachant enfin aux mauvais traitements, derniers vestiges des cruautés du cirque antique, dont usaient à son égard d'infimes entrepreneurs d'amusements publics. L'objet du présent travail est de rechercher s'il n'est pas utile et nécessaire d'aller plus loin et si la loi ne doit pas pénétrer, pour couvrir l'enfant de son égide, jusque dans le sanctuaire, hélas! trop souvent profané de la famille.

2. Quid leges sine moribus? gémissait la grande voix d'un ancien. Ce cri de découragement ou plutôt cet avertissement attristé est de nos jours détourné de

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