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tions illicites, comme des actes de séduction; il s'agit, au contraire, d'un fait qui n'est, à vrai dire, susceptible d'aucune preuve, qui ne peut être l'objet que de présomptions et de probabilités. La loi, en matière de paternité légitime, adopte précisément une présomption très-simple, très-voisine de la vérité et la considère comme étant la vérité même. Est-il possible, en matière de paternité naturelle, de trouver des présomptions approchant autant de la certitude? Toute la question est là.

Ce n'est pas, en effet (est-il besoin de le dire?) une sorte d'indulgence goguenarde pour le vice, ce n'est pas non plus uniquement la crainte du scandale qui a dicté au législateur la règle de l'article 340. La nature ellemême dissimule aux investigations de l'homme le mystère de la génération, et quand la nature est muette, on comprend que le législateur hésite à parler en son nom. Ce n'est que dans un intérêt social bien constant qu'il peut ainsi, encore une fois, élever une présomption à la hauteur d'une preuve.

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Les adversaires de toute innovation au système du Code trouvent aussi une arme dans quelques précédents fâcheux de notre ancien droit à vrai dire, les abus qui se produisaient si nombreux avant la Révolution et que les parlements avaient peine à réprimer par une sévérité croissante, étaient dus bien moins au principe même de la recherche de la paternité qu'au mode de fonctionnement de la preuve, qu'à la fameuse règle: Creditur virgini parturienti. Bien que cette règle n'ait jamais été aussi absolue ni aussi absurde, disons le mot, dans l'application, que certains critiques de parti pris voudraient le faire croire (1), elle n'en a pas moins produit souvent des résultats regrettables, et, s'il pouvait être

(1) V. les intéressants développements historiques donnés par M. Ch. Jacquier dans son livre sur la Recherche de la paternité naturelle.

question de la faire revivre, elle aurait contre elle l'unanimité des jurisconsultes.

Mais est-il possible de remplacer par des dispositions équitables et pratiques cet article 340, dont l'abrogation est réclamée au nom de la morale qui exige le partage égal de la responsabilité dans une faute qu'on ne commet qu'à deux, au nom surtout de l'intérêt de l'enfant et de l'intérêt social?

La thèse de l'affirmative est féconde en généralités éloquentes les esprits distingués qui l'ont abordée par le côté pratique sont arrivés aux conclusions suivantes :

D'abord, il y aurait lieu d'étendre au cas de rapt par séduction l'exception limitée par l'article 340, no 2, au rapt par violence. Cette amélioration dans la loi ne paraît pas rencontrer d'adversaires; elle serait la conséquence logique de dispositions pénales proposées contre la séduction qui est actuellement négligée d'une manière complète par la loi, car les articles 356 et 357 du Code pénal punissent l'enlèvement et non la séduction.

En second lieu, pour rendre la voie des réparations plus facile aux pères naturels, on voudrait que la reconnaissance pût résulter non-seulement d'un acte au— thentique, mais d'actes sous seing privé et même d'actes de dernière volonté.

Ces propositions sont de nature à soulever de graves objections: il y a peu à espérer d'un père qui se laisserait arrêter dans l'accomplissement d'un des plus étroits devoirs qu'impose la conscience, par un sentiment de timidité réellement fort déplacé, par la crainte de comparaître ob turpem causam devant un notaire ou un officier d'état civil: toutes les facilités que lui offrira le législateur ne seront pas encore assez complètes pour un caractère aussi faible; mais sa faiblesse même saurat-elle résister, au lit de mort, à la captation, aux obses

sions d'un étranger qui, en se faisant octroyer par disposition testamentaire le titre d'enfant, sera poussé par une pensée de lucre ou par le désir de se créer un état dans le monde ?

On demande aussi que la paternité même naturelle s'établisse par la possession d'état. En adoptant cette excellente réforme, le législateur ne ferait que consacrer clairement une opinion soutenue, dans l'état actuel des choses, par MM. Demolombe et Valette, mais à laquelle la jurisprudence et la majorité de la doctrine résistent énergiquement (1).

Tout cela est fort bien; mais, au point de vue où nous nous sommes placé, pour assurer l'état des enfants naturels et pour aider à la réforme des mœurs par la consécration de la responsabilité du père, tout cela est insuffisant, parce que tout cela n'est que la reconnaissance sous des formes variées, tout cela émane de l'initiative du père naturel.

19. Pour que l'équité et l'intérêt social soient sauvegardés, il faut plus, il faut que la paternité puisse être prouvée contre le père.

Ah! nous sommes cette fois en présence d'objections sérieuses, redoutables : des précédents célèbres se dressent contre nous, les partisans du statu quo, avec beaucoup plus de raison que lorsqu'il s'agissait de plainte en séduction, parlent du scandale, du chantage pratiqué par des femmes de mauvaise vie : l'honnêteté, l'irréprochable pureté des mœurs ne seront pas une protection, lorsqu'elles seront unies à la richesse, contre de basses

(1) V. sur cette question: Quelques mots sur la preuve de la paternité naturelle pour la possession d'état, par M. Bonnier (Revue pratique, p. 385, t X, 1860, 2me sem., faisant suite à un article du même auteur: Id., p. 317, t. I, 1856 et aussi dans son excellent Truité des Preuves, p. 279, t. I, de la 4o édition).

convoitises doublées d'impudeur. De saints prêtres, de graves magistrats seront en butte aux accusations des plus viles prostituées; aucun maître ne sera à l'abri des calomnies de sa domestique; aucun précepteur, de celles de son élève ; aucun directeur, de celles de sa pénitente. Les juges, effrayés d'une responsabilité sans contrepoids, sollicités de sanctionner une preuve qui, au fond, ne peut être faite, seront, dans presque toutes les causes, tentés de s'arrêter à ce non liquet que la loi leur défend de prononcer. La recherche de la paternité n'aboutira qu'à étaler au grand jour de l'audience de mauvaises mœurs qu'elle sera impuissante à réprimer. Voilà ce qu'on nous oppose.

Nous ne chercherons pas à dissimuler que ce tableau renferme une grande part de vérité; mais, persistant, dans toute question de législation, à n'accorder à l'argument du scandale qu'une très-mince considération, nous continuons à croire qu'il est possible d'admettre le principe avec des correctifs et des règles d'application qui en atténueraient les dangers.

La poursuite en dénonciation calomnieuse serait généralement employée avec succès contre toute recherche de paternité intentée à la légère ou dans un dessein cupide. De plus, soit que cette recherche doive être subordonnée à un commencement de preuve par écrit, soit, plus logiquement, que les juges aient toute discrétion d'accueillir sans distinction d'origine les motifs propres à former leur conviction, dans l'un et l'autre cas, on pourrait établir en règle que les enquêtes se feraient en chambre du conseil. Les poursuites pourraient même être subordonnées à une sorte d'autorisation de plaider émanant du président du tribunal. Qu'on ne se récrie pas contre cette analogie empruntée au droit administratif: Si les communes et les établissements publics

ne peuvent ester en justice sans l'approbation du conseil de préfecture, c'est qu'ils sont soumis à une véritable tutelle. Or les enfants naturels, au nom de qui la paternité sera recherchée, doivent être considérés, en raison du vice de leur état et sous un certain rapport comme étant indéfiniment mineurs ; ils le seront presque toujours en réalité, au moment où l'action sera introduite. Pourquoi ne pas les protéger aussi contre les imprudences qu'ils seraient tentés de commettre ou qui seraient commises pour eux?

Nous ne citons ces points accessoires qu'à titre d'exemple et avec réserve; il est permis d'hésiter là où hésitent des intelligences rompues à toutes les difficultés du droit. L'exemple des nombreux pays étrangers où la recherche de la paternité fonctionne sans tiraillements et sans inconvénients très-sensibles, nous fait cependant espérer que la France pourrait, elle aussi, réaliser ce progrès.

Nous nous bornons, en somme, à souhaiter l'expulsion du recueil de nos lois civiles, d'une formule qui, dans sa sécheresse et son absolutisme, semble assurer une prime à la débauche masculine.

Mais nous ne suivrons pas les novateurs jusqu'à réclamer l'admissibilité de la preuve de la paternité incestueuse ou adultérine; dans ces cas, il ne s'agit plus seulement de protéger un libertin contre un scandale qu'il n'a que trop cherché; il y a une famille légitime qu'il ne faut pas dissoudre par la déconsidération de son chef: pour les fruits de l'adultère et de l'inceste, les articles 763 et suivants suffisent largement. La mère aura à subir plus durement le poids d'une faute cette fois sans excuse; il est douloureux à la vérité d'imposer à l'enfant la responsabilité du fait de sa naissance, mais il ne faut pas, sur ce point, pousser la sensibilité jusqu'à la sensiblerie: la loi est obligée d'admettre parfois cette solidarité morale

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